4ème journée spirituelle, le 22 décembre 2020. Mt 1, 18-24

Publié le par Père Maurice Fourmond

4e semaine : Le songe de Joseph (Mt 1, 18-24)

 

Matin, le personnage de Joseph

L’évangile qui a inspiré les réflexions que je souhaite partager avec vous est l’évangile du 4e dimanche de l’Avent, mais de l’année A, alors que nous sommes dans l’année B ; nous l’avons entendu dans l’évangile de vendredi dernier.

Il nous rapporte le songe de Joseph. Dans la Bible, dieu se manifeste de deux manières soit dans une vision, soit dans un songe. Je m’attarderai ce matin à la figure de Joseph dont j’admire la droiture et qui est un modèle de vie selon Dieu. Cet après-midi, je réfléchirai avec vous sur l’imprévu de Dieu dans nos vies, qui est le message essentiel de l’évangile du 4e dimanche de l’Avent que j’ai choisi.

Joseph est un homme particulièrement attachant. Repérons rapidement quelques qualités de cet homme exceptionnel pour en rendre grâce à Dieu et y trouver une réflexion pour notre propre vie spitiruelle.

 

a) La discrétion.

La première qualité de Joseph est sa discrétion. Joseph ne se met jamais en avant. Joseph est un homme de silence. Il n’y a aucune parole de Joseph dans tous les évangiles. Même dans le récit où le jeune Jésus est resté à Jérusalem après la fête, et dont l’absence bouleversait ses parents, quand ceux-ci après l’avoir cherché plusieurs jours le retrouvent dans le Temple, Joseph ne dit rien, c’est Marie qui prend la parole « Sa mère lui dit : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant ! » (Luc 2, 48). Même dans l’évangile de ce dimanche, lorsque Joseph se réveille, il ne dit rien, pas d’autre réaction que l’accueil sans condition de la parole reçue : « Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse » (Mt 1, 18). Dans tous les évangiles, nous n’avons aucune parole de Joseph, sa discrétion est soulignée d’une certaine manière par l’ignorance où nous sommes même de sa mort. On sait seulement de lui qu’il est désigné comme un charpentier lorsque les gens dans la synagogue de Nazareth s’étonnent de l’autorité de Jésus : « Jésus se rendit dans son lieu d’origine, et il enseignait les gens dans leur synagogue, de telle manière qu’ils étaient frappés d’étonnement et disaient : « D’où lui viennent cette sagesse et ces miracles ? N’est-il pas le fils du charpentier ? Sa mère ne s’appelle-t-elle pas Marie, et ses frères : Jacques, Joseph, Simon et Jude ? (Mt 13, 54-55).

 

On a le sentiment que Joseph a voulu comme s’effacer devant la vocation de Jésus, devant le mystère de Dieu. N’est-ce pas le rôle essentiel du disciple de Jésus qui doit s’effacer comme Jean-Baptiste, comme Joseph devant la présence chez l’autre de Dieu et de son Esprit Saint.

 

Certes Jésus nous demande de proclamer partout la bonne nouvelle de l’amour de Dieu. Il y a des moments où la parole explicite est nécessaire. Mais toute parole est portée par un silence préalable et qui est comme la condition de la disponibilité du cœur. Il est dit dans les évangiles que Jésus tôt le matin s’en allait pour prier et dans le silence de sa prière, il se préparait à annoncer aux foules, le Dieu dont l’amour est infini. Il nous faut apprécier le silence dans nos vies pour laisser Dieu agir dans notre propre coeur comme dans le coeur de ceux qui nous entourent. Nous connaissons le proverbe : « La parole est d’argent, mais le silence est d’or ». Nous savons bien que quand nous sommes devant la souffrance physique ou morale d’une personne et que nous souhaitons partager sa souffrance et l’aider, la présence silencieuse est souvent plus réconfortante que les paroles à condition que cette présence soit une présence vraiment aimante. Notre silence accueille le silence de Dieu.

 

b) Le respect

Un autre aspect de Joseph est son respect vis-à-vis de ceux qui l’entourent et spécialement de sa future épouse. L’évangile dit : « Joseph, son époux, qui était un homme juste, et ne voulait pas la dénoncer publiquement, décida de la renvoyer en secret. » (Mt 1, 19). Le respect est probablement un des signes les plus forts de la vérité et de la qualité des relations que nous pouvons avoir avec ceux qui nous entourent. Il est le signe que nous reconnaissons l’autre dans ce qu’il est, dans sa dignité, dans sa personnalité unique. Je connais une personne qui a beaucoup de difficultés dans sa vie, mais ce que cette personne demande le plus, c’est d’être respectée dans ce qu’elle est, dans ses limites et dans sa souffrance.

 

Comme chrétiens, nous savons que Dieu nous respecte infiniment, non seulement en reconnaissant notre dignité comme ses filles et ses fils bien-aimés, mais en nous regardant comme nous sommes, avec nos qualités comme aussi avec nos faiblesses, mais dans une espérance qui nous ouvre toujours un avenir. Respecter l’autre, c’est lui ouvrir toujours un avenir sans l’enfermer dans une catégorie qui ne le désignera jamais totalement.

 

Le respect est un des attributs de Dieu les plus beaux. Dieu nous respecte au point d’abandonner sa toute-puissance devant nous. Dieu respecte à ce point notre liberté qu’il ne fait jamais rien sans nous. « Rien sans toi » est sans doute la marque la plus claire du respect de Dieu pour notre humanité. Et ce respect conduira Jésus, le Fils bien-aimé du Père, à accepter sa mort injuste sur la croix. Particulièrement dans les situations de dépendance qui sont les nôtres à Marie-Thérèse, le respect de l’autre dans sa fragilité est le signe le plus juste d’un amour authentique.

 

c) Un homme juste

L’évangile dit de Joseph que c’était un homme juste : « Joseph, son époux, qui était un homme juste » dit l’évangile. Ce mot « juste » se traduirait aujourd’hui par le mot « sainteté » ; les justes de l’Ancien Testament sont les saints du Nouveau Testament. Dire d’un homme qu’il est « juste », signifie qu’il est « ajusté » à Dieu, c’est-à-dire accordé à Dieu comme on dit que deux cordes de violon donnent un son juste car elles sont ajustées, accordées l’une à l’autre. C’est d’ailleurs un métier, le métier d’ajusteur : le menuisier, le maçon ou le forgeron qui ajuste parfaitement deux pièces de bois, de pierre ou de métal, en sorte qu’on ne voit même plus la trace de la jointure, accomplissent un beau métier d’ajusteur. C’est exactement cela le saint ou le juste, celui qui s’accorde à Dieu en sorte d’avoir une vie en harmonie l’un à l’autre. C’est à cette sainteté que nous sommes appelés à devenir peu à peu.

 

Être ajusté ne dit pas la fusion : les deux cordes du violon accordées sont distinctes et donnent in son différent, mais elles construisent ensemble une parfaite harmonie. Lorsque Jésus dit « Le Père et moi, nous sommes un » (Jn 10, 30), il ne parle pas d’une identité fusionnelle ; dans le même Jean au chapitre 14, il affirme d’ailleurs la distinction : « Vous avez entendu ce que je vous ai dit : Je m’en vais, et je reviens vers vous. Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie puisque je pars vers le Père, car le Père est plus grand que moi » (Jn 14, 28). Si Jésus est parfaitement accordé à son Père, Joseph, homme juste, est accordé à Dieu selon ses possibilités humaines personnelles, selon ce qu’il est.

 

SI, dans la prière, nous sommes, grâce à la présence de l’Esprit Saint, bien accordés à Dieu, en harmonie avec Dieu, tout en étant distincts et totalement différents de Lui, ce qui nous sépare n’est plus important et nous sommes unis au Seigneur le plus parfaitement possible compte tenu de nos limites humaines. Alors nous n’avons plus besoin de mots pour exprimer cette union intime, elle se vit dans cette présence aimante et silencieuse plus profonde que tous les mots qui peuvent dire quelque chose de Dieu ou à Dieu. Notre prière se poursuit alors dans le silence contemplatif.

 

Nous croyons que Jésus est l’homme juste par excellence et il nous l’a montré en donnant sa vie par amour. Comment ne pas penser que Jésus a appris auprès de Joseph cette « justesse » de sa relation avec Dieu comme avec les autres. Merci Joseph de nous avoir montrés cet humble chemin pour nous accorder le plus possible à ce Dieu qui est l’amour même.

 

d) La fidélité de Joseph à la parole de Dieu

Dans le récit de l’Annonciation, Marie a pu dire à l’ange : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole. » (Lc 1, 38). Joseph ne dit aucun mot, mais l’évangile rapporte en quelques mots la fidélité de Joseph : il fait « ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit ». Cette dernière phrase de cet évangile montre la fidélité toute simple de Joseph. Cette unique phrase montre seulement que dans son cœur et en acte, Joseph s’accorde pleinement à la parole reçue. Pas de discours, pas de questions, simplement un homme droit dans sa vie, droit dans ses actes. Ayant compris le projet de Dieu, il va s’y accorder totalement sans discussion et sans réserve.

 

Nous pouvons demander à Joseph de nous aider à avoir cette humilité, cette droiture, cette discrétion mais aussi cette audace qui furent les siennes. En effet Joseph, l’humble charpentier de Nazareth, a eu une audace étonnante de prendre Marie, dans sa situation sociale à Nazareth, avec le risque d’être jugé par ses compatriotes. Dans le silence de Joseph, dans sa décision immédiate audacieuse, trouvons un exemple qui peut nous aider à nous accorder avec le désir de Dieu pour chacun de nous, quoiqu’il nous en coûte.

 

L’Eucharistie que nous allons célébrer dans quelques instants nous montre que le fils de Joseph a reçu de son père, l’exemple d’un don de soi total et gratuit. Demandons au Seigneur par le don de sa vie, de sa mort et de sa résurrection, de nous ajuster à l’amour de Dieu à son exemple et à l’exemple de saint Joseph.

 

 

Après-midi : L’imprévu de Dieu

 

Ce matin, nous avons médité sur la personne de Joseph, sur quelques aspects de sa vie qui peuvent nous faire réfléchir et nous aider dans notre propre vie. Cet après-midi, à travers le récit du songe de Joseph, je voudrais méditer avec vous sur les imprévus de Dieu qui traversent notre existence. Et comment notre foi nous permet de les accueillir et de grandir spirituellement à travers ces imprévus, à l’exemple de Joseph.

Les évangiles ne nous disent rien sur les projets de Joseph. On peut toutefois légitimement penser que sa situation change radicalement à la suite de la situation décrite par Luc : « Or, voici comment fut engendré Jésus-Christ : Marie, sa mère, avait été accordée en mariage à Joseph ; avant qu’ils aient habité ensemble, elle fut enceinte par l’action de l’Esprit Saint. Joseph, son époux, qui était un homme juste et ne voulait pas la dénoncer publiquement, décida de la renvoyer en secret. Comme il avait formé ce projet, voici que l’ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit…, suit l’annonce que l’enfant que porte Marie est l’élu de Dieu.

 

À travers les quelques mots de l’évangile, nous voyons que Joseph a vu tous ses beaux plans d’avenir bouleversés par l’irruption de Dieu. Il avait pensé épouser Marie, et même si cela n’est pas explicite dans les évangiles, on peut légitimement penser que son mariage avec Marie serait le début d’une merveilleuse histoire et, selon les promesses de Dieu aux hommes justes, entouré de nombreux enfants et une vieillesse heureuse. Et, selon le récit de Luc, voilà que sa future épouse est enceinte et il songe à la renvoyer. Tout s’écroule pour lui. C’est alors qu’il va lui falloir entrer dans une perspective à laquelle il n’avait pas pensé. Et il va le faire en s’appuyant sur la Parole de Dieu entendue dans un songe mystérieux.

 

Les imprévus sont nombreux dans la vie de chacun de nous. Nous voudrions pouvoir tout contrôler, nous voudrions avoir une maîtrise parfaite de nos vies et nous prenons conscience à quel point nous sommes dépendants d’événements qui nous échappent, de circonstances qui nous surprennent. Je pense que c’est l’expérience de chacun de nous. Nous avons tous été confrontés à de multiples événements imprévus, à de multiples dépendances imposées par les événements. Mais cela que nous avons tous vécu au cours de notre vie, est particulièrement marqué ici dans notre maison Marie-Thérèse.

 

Sans doute, souhaitons-nous diriger encore au moins un peu notre vie, mais la vieillesse, la maladie viennent bouleverser notre désir et nous sommes devant une situation qui, pour une part importante nous échappe. Alors, plusieurs attitudes s’offrent à nous : ou subir passivement ce qui nous arrive et dont nous ne sommes pas maîtres, cela dans une résignation mortelle, ou bien assumer ce que nous n’avons pas choisi et, plus encore, en faire une occasion de grandir dans cet amour divin qui nous habite.

 

Dans notre expérience de chrétiens, nous sommes sans cesse invités à « faire la volonté de Dieu ». C’est notre profond désir et l’objet de notre prière permanente, c’est un des souhaits importants de la prière du « Notre Père » : « Que ta volonté soit faite ». L’exemple de Jésus nous montre qu’il a toujours fait la volonté de son Père du ciel. De très nombreux récits nous le disent et nous le montrent comme cette parole de Jésus à la foule qui avait été bénéficiaire de la multiplication des pains : « Je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé. » (Jn 6, 38). Et comment ne pas se rappeler la douloureuse prière de Jésus au jardin des Oliviers : « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme moi, je veux, mais comme toi, tu veux. » (Mt 26, 39). Je pense que beaucoup d’entre nous ont fait ou font encore la même prière que Jésus : « s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ». La volonté de Jésus à suivre le chemin de fidélité à Dieu, n’a pas été sans difficulté, ni sans combat, mais il a toujours su résister à la tentation de dévier de ce à quoi il était appelé. Déjà, rappelons-nous sa tentation au désert : le diable lui propose un chemin apparemment très efficace pour toucher les gens et donc pour réaliser ce pour quoi il a été envoyé. Mais Jésus va résister à suivre cette perspective pourtant favorable, car elle ne correspondait pas à ce que Dieu attendait de lui. La volonté de « faire la volonté de son Père », apportait à Jésus non pas une tranquillité sans souffrance, mais une profonde paix intérieure. Jésus nous a montré le chemin d’un accueil vrai, quoique difficile, de ce que la vie met devant nous et dans laquelle nous pouvons reconnaître le désir de Dieu de nous voir grandir en sainteté.

 

Dans notre foi, nous avons sincèrement le désir de faire la volonté de Dieu. Mais la volonté de Dieu n’est jamais évidente, nous posons toujours à Dieu la même question : « Seigneur, dis-moi quelle est ta volonté pour moi ? » Et toujours, Dieu laisse à notre liberté la décision de la reconnaître à travers les événements prévus ou imprévus qui surviennent dans notre vie.

 

Qu’est-ce donc « faire la volonté de Dieu » ? Cela consiste essentiellement à découvrir dans les divers événements de nos vies, une occasion même douloureuse qui nous est donnée de grandir dans nos relations avec Dieu et avec nos frères et sœurs, soutenus par la force intérieure de l’Esprit Saint. Ceci est valable même lorsque tel événement difficile est le fruit amer de notre manque de réflexion, de notre faiblesse ou de notre péché. Même dans ces événements dont on a la responsabilité, Dieu nous ouvre toujours une porte, ouvre toujours un avenir qui nous permettra de grandir en humanité et en sainteté.

C’est pourquoi, quelles que soient les épreuves ou les difficultés de notre vie, nous pensons qu’il nous est toujours possible de grandir en humanité et en sainteté, en nous fondant sur notre confiance en Dieu.

Toutefois, nous ne pouvons pas croire que ce qui nous arrive peut nous faire grandir, si nous n’avons pas cette certitude de foi que Dieu veut notre bonheur et que, quels que soient les imprévus de notre vie, l’Esprit Saint nous aidera toujours à trouver un chemin qui peut nous faire grandir malgré les souffrances que ces imprévus nous infligent. Grandir, c’est placer l’imprévu et ce que cela provoque en moi, dans l’espérance de Dieu. C’est son espérance qui me remet debout et me fait grandir dans l’espérance qui vient de lui et grandir dans l’amour dont il est la source.

 

Nous nous posons parfois peut-être la question de savoir quels pouvaient être les sentiments de Jésus sur la croix. Certes, la souffrance devait l’envahir tout entier, mais je pense réellement que Jésus était en paix avec lui-même. Dans sa souffrance, il pouvait se dire qu’il avait fait confiance à Dieu son Père et qu’à chaque moment, même les plus difficiles de sa vie, il avait réalisé exactement « qui il était ». À travers les épreuves de sa vie, il avait construit une vie parfaitement juste, c’est-à-dire parfaitement ajustée au regard de Dieu sur lui. Il avait ainsi construit peu à peu la vérité de ce qu’il était, lui Jésus, construisant ainsi son avenir d’intimité éternelle dans l’amour du Père. C’est cette conviction intérieure qui est la paix selon Dieu, offerte à tous ceux qui cherchent à vivre dans la vérité.

 

C’est d’ailleurs une expérience que chacun a pu faire à plusieurs reprises dans sa vie : dans l’épreuve, reconnaître que même au creux de la souffrance, et même à travers elle, il nous était donné la possibilité d’aimer davantage, ou d’aimer mieux et donc de grandir un peu en humanité et en sainteté dans nos diverses relations avec les autres et par le fait même avec Dieu.

 

Certes, nous avons souvent du mal à reconnaître dans une épreuve la possibilité d’aimer davantage et nous avons la tentation du découragement. C’est alors que nous pouvons nous tourner vers le Christ et puiser en lui la force d’accueillir la lumière de son Esprit.

 

Par définition, l’imprévu n’est pas prévisible, ce qui veut dire qu’il nous surprend toujours avec le risque de nous faire basculer dans la fatalité ou le désespoir. Or ces deux réactions, même si elles sont bien naturelles, ne sont pas chrétiennes. La fatalité ou le destin, le « fatum » est une manière de se dégager de toute initiative personnelle : lorsque l’imprévu arrive, on subit passivement. Quant au désespoir, c’est une autre manière de baisser les bras.

 

Pour comprendre comment nous situer dans ces circonstances douloureuses, nous pouvons relire dans les évangiles, les récits de guérisons de nombreux aveugles ou paralysés et trouver un chemin de libération. La plupart des récits tels que rapportés par les évangélistes nous montrent qu’il y a toujours chez les personnes paralysées un désir de guérison exprimé directement à Jésus ou à la suite de démarches infructueuses comme le paralysé de la piscine de Bethzatha qui voulait guérir, mais il arrivait toujours trop tard dans l’eau miraculeuse.

 

Nous trouvons un bel exemple sur l’attitude qu’il convient d’avoir dans les événements imprévus, relisons parmi les nombreux récits de guérisons, le récit de la guérison du paralytique rapporté en saint Marc (Mc 2, 1-12). Vous connaissez ce récit : le paralysé est porté par quatre hommes, ne pouvant approcher Jésus, ils montent sur le toit et font descendre le paralytique juste devant Jésus. Devant la foi du paralysé et de ses compagnons, Jésus commence par libérer l’homme du mal intime qui obscurcit sa vie, le péché, puis devant l’indignation des assistants, il confirme sa parole de libération en disant au paralysé : « Je te le dis, lève-toi, prends ton brancard et rentre dans ta maison. » Il se leva, prit aussitôt son brancard et sortit devant tout le monde. (Mc 2, 11-12).

 

En quoi ce récit nous éclaire sur notre attitude de chrétien devant un imprévu qui nous bouleverse, une maladie, un handicap ? Plusieurs traits ressortent du récit. D’abord, le désir : le paralysé a le désir de s’en sortir. Le désir se concrétise dans une décision d’aller vers Jésus dont la renommée est parvenue jusqu’à lui. Ce désir est habité par la confiance. Il croit que Jésus peut l’aider à sortir de sa situation de paralysé. D’autre part, dans notre récit, le paralysé n’est pas seul ; il a des amis qui vont l’aider à réaliser son désir. L’amitié des amis du paralysé comme toute amitié vraie a sa source en Dieu, a quelque chose de divin. C’est pourquoi Jésus va reconnaître cette dimension divine du groupe qui fait irruption dans la maison, il dira « voyant leur foi ».

 

Second trait du paralysé, il fait quelque chose ; il ne se laisse pas envahir par la fatalité ou le désespoir, il va agir. Sans connaître encore le résultat de sa démarche, il prend le risque d’aller vers Jésus. Il ne se laisse pas abattre par les difficultés, ne pouvant franchir la porte de la maison en raison de la foule, les cinq amis vont trouver une solution, passer par le toit. Ils auraient pu rebrousser chemin en se disant, « on ne peut rien faire ». Mais le désir va travailler leur cœur jusqu’à trouver la solution. Ils n’ont pas baissé les bras et sans savoir le résultat de leurs efforts, ils vont faire ce qui leur est possible de faire, en gardant confiance en celui qu’ils veulent approcher. Rappelons-nous cette parole de Dieu pour moi essentielle dans notre relation avec lui : « Rien sans toi », si je ne fais rien, Dieu ne peut rien faire.

 

Le troisième trait est dans la transformation intérieure de ce paralysé devant la parole étonnante de Jésus : « Voyant leur foi, Jésus dit au paralysé : mon enfant, tes péchés sont pardonnés. » La première attitude de Dieu lorsque nous sommes touchés par un événement difficile ou douloureux, c’est de clarifier notre cœur. Avant de nous ouvrir un chemin, le Seigneur commence par clarifier notre regard, le détacher de cette obscurité qui nous empêche de voir plus loin que notre détresse.

Puis vient la parole qui ouvre la route : « Jésus s’adressa au paralysé : je te le dis, lève-toi, prends ton brancard et rentre dans ta maison. » Soutenu par la parole de Jésus, le paralysé se lève, il prend son brancard et marche.

Et le récit se termine par cette parole d’espérance : « Tous étaient frappés de stupeur et rendaient gloire à Dieu, en disant : « Nous n’avons jamais rien vu de pareil. »

 

Est-ce que les diverses attitudes des acteurs de ce récit ce ne sont pas les attitudes demandées aux chrétiens que nous essayons d’être, en particulier quand nous sommes désemparés devant des événements difficiles ou douloureux de notre vie ?

Quand un imprévu survient : il s’agit donc de refuser de se laisser aller à la fatalité ou au désespoir, mais laisser naître en soi le désir d’avancer ; avoir le courage d’en parler à ses amis et accepter d’être aidé ; savoir demander est souvent très difficile, car alors on devient dépendant des autres. Puis transformer le désir en acte. C’est le passage de la décision à l’action. Déjà, ces diverses attitudes sont « libérantes ». Elles nous font passer de l’obscurité du subi à la prise de responsabilité, selon le contexte dans lequel on est placé. Vient enfin la transformation : d’un moi triste et abattu, à un moi qui se relève et marche.

 

À travers ce mouvement, face à l’imprévu, nous pouvons reconnaître que Dieu est présent, nous aidant, grâce à la présence en chacun de son Esprit libérateur, à vivre ces diverses attitudes qui expriment la liberté certes réduite qui est la nôtre dans ces événements que nous n’avons pas prévus.

 

Nous pouvons reprendre à notre compte cette parole de Jacob se réveillant après une nuit de songes : « Dieu était là et je ne le savais pas » (Gn 32). Dans notre foi, nous croyons que Dieu est présent à chaque instant de notre vie, dans les événements que nous contrôlons et dans ceux qui adviennent et que nous ne maîtrisons pas.

 

Si Dieu est présent dans ce qui m’arrive, alors nous pouvons comprendre que l’imprévu de notre vie a un sens, non pas en lui-même, mais dans la façon dont nous allons réagir.

 

Libérés intérieurement, nous pouvons vivre ces imprévus comme des grâces, non pour la souffrance qu’ils provoquent, mais pour le changement intérieur qu’avec l’aide de Dieu, il nous est possible d’opérer nous faisant entrer ainsi dans la paix de Dieu.

 

Nous avons un beau témoignage de l’attitude chrétienne devant les difficultés spécialement les difficultés qui surviennent sans prévenir, dans la prière de Charles de Foucauld que nous chantons souvent  « Mon Père, mon Père, je m’abandonne à toi, fais de moi ce qu’il te plaira. Quoi que tu fasses, je te remercie. Je suis prêt à tout, j’accepte tout, car tu es mon Père, je m’abandonne à toi, car tu es mon Père, je me confie en toi. »

 

 

(Je n’ai parlé que des imprévus douloureux de la vie, il faudrait aussi parler des imprévus heureux de la grâce comme une lumière neuve sur notre relation avec Dieu, une découverte fulgurante de l’amour infini de Dieu.)

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