Abondance 2017. 4- Quand Dieu semble se taire

Publié le par Père Maurice Fourmond

Abondance 2017
4ème Jour

Quand Dieu semble se taire : le silence de Dieu ; la nuit obscure ; le mal

Questions pour la réflexion personnelle
    - Quelle idée avons-nous de la « toute-puissance » de Dieu ?
    -Comment concilier notre espérance en Dieu et la présence de souffrances intolérables dans le monde ?


Exposé :

    L’espérance chrétienne, cette certitude de la fidélité, de la présence de Dieu est mise souvent à rude épreuve. Deux questions fondamentales surgissent immédiatement : que fait Dieu dans ce monde si difficile ? Pourquoi n’intervient-il pas ? Et comment vivre l’espérance quand le mal et la souffrance envahissent notre monde ?

1-Que fait Dieu dans ce monde si difficile ?
    Nous sommes tous impressionnés par le silence apparent de Dieu. Notre idée anthropologique de la toute puissance imagine un dieu qui interviendrait sans cesse pour empêcher la souffrance des hommes et rectifier ce qui provoque la souffrance dans le monde. Mais il nous faut abandonner cette vision de Dieu pour plusieurs raisons. 

    D’abord parce que Dieu est tout autre, il n’est pas ce que nous essayons de penser, de décrire de lui. Nous ne faisons que projeter en lui nos propres désirs, nos propres désirs de toute puissance. Mais Dieu échappe à toute description, à toute projection sur nos questions et nos attentes. C’est notre expérience humaine que nous projetons en Dieu pour répondre à nos désirs. Dieu ne fonctionne pas si je puis dire comme nous ; comme il est dit dans le livre d’Isaïe : « Mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins, – oracle du Seigneur » Is 55, 8. Nous nous trompons lorsque nous plaçons en Dieu nos propres façons de répondre aux défis de nos vies.

    Autre raison, Dieu ne peut agir qu’à travers des manifestations adaptées à notre nature humaine. C’est toujours par des médiations humaines que Dieu parle et agit car c’est le seul moyen d’être entendu et compris par ces petites créatures que nous sommes. Cela découle de ce que nous disions précédemment : Dieu étant le tout autre, s’il souhaite s’adresser aux hommes, il devra emprunter le langage des hommes autrement sa parole comme ses actions resteraient incompréhensibles aux humains dont les capacités pour comprendre sont limitées. Si Dieu agit par des médiations humaines et non directement, cela va exiger une « interprétation » afin de déchiffrer le message que Dieu nous adresse par ces médiations humaines. Ces interprétations disent quelque chose de vrai, mais sont encore loin de la réalité de Dieu.

    Ajoutons que, en nous donnant la vie et l’être, Dieu nous a déjà tout donné, il ne peut donc plus que se donner lui-même. Cela découle de cette affirmation théologique que Dieu ne se divise pas. Ce qui veut dire qu’il est toujours lui-même dans la totalité de son être y compris dans le don qu’il nous fait. Ainsi Dieu est présent en tout ce qu’il crée et il est présent dans la totalité de son être. Quand je dis que Dieu est présent en chaque personne humaine, je ne dis pas qu’il n’y a qu’une partie de Dieu présent, mais la totalité de ce qu’il est. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle cette présence peut être transformante pour chaque être humain, la raison pour laquelle elle nous divinise et cette transformation a nom « résurrection ». Au fond l’agir de Dieu est toujours dans le registre de notre résurrection, c’est-à-dire de notre divinisation, de notre plein accomplissement, même si nous n’en prenons pas tout de suite le sens et l’importance vitale pour notre vie, notre vie éternelle. Ce qui nous est donné par Dieu nous inscrit dans l’univers de Dieu construit notre personne dans la perspective de notre résurrection et son sens échappe souvent à ce que nous percevons ou à ce que nous souhaitons dans l’immédiat de nos vies.

    Enfin il est encore une raison qui explique le silence de Dieu : c’est que Dieu s’adresse toujours à ce qu’il y a de plus profond en nous, à l’intime de notre être. Ce qui veut dire que Dieu ne se manifeste pas dans ce qui est extérieur, visible, superficiel, mais dans l’intime de chacun, dans ce que nous appelons le coeur. Rappelons-nous la phrase du renard au petit prince : « On ne voit bien qu’avec le coeur. L’essentiel est invisible pour les yeux ». D’où cet apparent silence car Dieu ne nous parvient dans aucun aspect sensible, du moins habituellement. La seule exception, mais elle est de taille, c’est la personne de Jésus de Nazareth, celui dont l’auteur de la première lettre de Jean dit « Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie, nous vous l’annonçons » 1 Jn 1, 1. Toutefois cette manifestation était bien cachée car déjà Jésus dans sa réalité visible n’a été qu’un peu de temps au milieu des hommes et plus important encore, l’essentiel de qui était Jésus est resté invisible aux yeux de ses meilleurs amis jusqu’après sa mort et seulement dans la foi en sa résurrection. Au fond, le silence de Dieu était sans doute plus profond à l’époque où Jésus était avec ses amis pendant sa vie terrestre que pour nous aujourd’hui, car par certains côtés, la vue sensible de Jésus cachait la réalité de cet homme que ses amis n’ont découvert qu’après sa résurrection. Notre vision de foi est plus lumineuse sur la présence de Dieu dans nos vies que ne l’était la présence de Jésus sur les routes de Galilée.

    Ce qui serait le plus proche de cette réalité de l’action de Dieu est bien exprimé dans le récit du prophète Élie à l’Horeb lorsque Dieu s’est manifesté à lui comme « un fin silence » selon la traduction de l’hébreu (1 Rois 19, 12). C’est dans ce fin silence qu’Élie a reconnu la présence d’un Dieu qui ne modifiait pas les éléments de la vie d’Élie mais qui lui donnait à la fois le courage et la force de repartir. Ou encore, nous pourrions rapprocher notre réaction devant le silence de Dieu de la parole de Jésus à son ami Thomas. Devant l’incrédulité de Thomas, Jésus affirme : « Heureux celui qui croit sans avoir vu » Jn 20, 29. Notre vie spirituelle ne se situe pas dans le sensible, mais dans cette certitude intérieure que Dieu est présent avec toute la puissance d’un amour qui se donne et qui nous transforme.
    Quelle est alors notre espérance devant le silence de Dieu ? Elle est dans la confiance filiale en ce Dieu qui est notre Père, elle est dans cette certitude de foi que Dieu est présent à chaque instant de notre vie. Le silence de la présence de Dieu ne fait que dire l’absolu de l’amour qu’il nous porte et que rien ne peut exprimer. Ajoutons que les mystiques nous diraient qu’au silence de Dieu peut seul répondre notre propre silence, le silence d’une présence liée à une présence, mais qui dit le tout de Dieu et le tout de chacun de nous.

2 - L’espérance devant le mal et la souffrance ?

    Une brève nouvelle de Jean d’Ormesson sur le mal dans son livre « Guide des égarés » m’a fait réfléchir. Il commence par cette phrase : « Le mal est lié si étroitement à la pensée qu’il se confond avec elle. Pendant les milliards d’années où la pensée n’existe pas encore, le mal n’existe pas non plus » (p.48) ; « En dehors de la pensée réflexive, la matière comme la vie « n’a pas d’autre choix que d’être ce qu’elle est » (p.55). Ces phrases m’ont fait réfléchir. J’ai pris conscience que la souffrance n’est pas le mal. C’est la pensée réflexive de l’homme qui repère la souffrance comme un mal lorsque, par sa réflexion, l’homme voit que la souffrance est injuste, lorsque par sa pensée, il la refuse, c’est-à-dire lorsque sa pensée lui fait comprendre que la souffrance n’est pas une fatalité normale qu’il convient d’accepter sereinement, mais qu’il est juste de s’indigner, de réagir contre, même si elle est inévitable. 

    La souffrance existe avant la pensée réflexive qui est le propre de l’homme. L’animal pense, mais il ne réfléchit pas sur sa propre pensée. Son instinct et aussi son intelligence vont trouver les moyens pour réaliser ce qui est dans sa nature : se nourrir, se reproduire ; pour cela il va chercher ce qui lui est nécessaire en détruisant d’autres êtres ; pour vivre l’animal est prédateur en ce sens qu’il va blesser et tuer d’autre êtres, végétaux ou animaux ; de plus son instinct de reproduction le pousse à s’affronter à ses semblables afin de conquérir celle qui lui donnera une progéniture. Tous ces instincts produisent de la souffrance, mais celle-ci n’est pas perçu par une conscience comme un mal.

    L’homme participe lui aussi à la souffrance dans le monde soit en se conduisant comme l’animal qui prend et tue pour survivre et donc en prédateur et en dominateur, soit hélas en exacerbant toutes ces pulsions qui l’habitent grâce ou à cause de ses capacités d’invention qui peuvent devenir terriblement destructrices. Si je puis dire, l’animal résoudrait pour une part le problème posé par la souffrance si le lion acceptait de mourir plutôt que de tuer la gazelle. N’est-ce pas le rêve des prophètes de l’Ancien Testament annonçant un monde nouveau : « Le loup et l’agneau auront même pâture, le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage ; le serpent, lui, se nourrira de poussière. Il n’y aura plus de mal ni de corruption sur toute ma montagne sainte, – dit le Seigneur » Is 65, 25. Nous voyons ainsi que la souffrance ne peut être vaincue que si quelqu’un, pour nous Jésus de Nazareth, accepte de mourir plutôt que de faire souffrir. C’est le sens même de la révélation chrétienne comme le rappelle l’apôtre Paul dans sa lettre aux Romains : « Alors que nous n’étions encore capables de rien, le Christ, au temps fixé par Dieu, est mort pour les impies que nous étions. Accepter de mourir pour un homme juste, c’est déjà difficile ; peut-être quelqu’un s’exposerait-il à mourir pour un homme de bien. Or, la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs » Rm 5, 6-8.

    Ceci dit, y a-t-il chez l’homme un mal gratuit, une méchanceté gratuite sans motifs autres que la pure méchanceté, contrairement à l’animal qui tue seulement pour vivre ? Beaucoup le pensent, toutefois si nous écoutons les psychologues et les psychanalystes, ils nous expliquent qu’il y a toujours des motifs à chercher dans le moi inconscient, dans la petite enfance de l’homme méchant et qui expliquent les comportements mauvais sans volonté consciente de faire mal. On sait que des enfants ayant subi des violences dans leur enfance, reproduisent ces mêmes violences chez leurs propres enfants.

    Dans ce monde où le mal est omniprésent, quelle peut être la place de l’espérance chrétienne ? Ne se situe-t-elle pas dans cette promesse de Dieu d’un achèvement dans l’oeuvre de la création, dans ce monde nouveau annoncé par les prophètes et réalisé déjà en et par Jésus Christ, lui qui a accepté précisément de donner sa vie plutôt que de l’emporter sur ses adversaires. Toutefois notre foi nous dit que ce monde nouveau n’est pas seulement à attendre après notre mort, mais qu’il est déjà commencé dès ici-bas certes de façon inchoative mais réelle à la mesure de la sainteté des hommes, de notre propre chemin de sainteté. Saint Paul l’affirmait aux chrétiens de Corinthe : « Si donc quelqu’un est dans le Christ, il est une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né » 2 Co 5, 17. Cette espérance nous permet, à notre place et selon nos possibilités, de diminuer un peu cette souffrance et ainsi de travailler à ce monde nouveau dont on peut ainsi voir des signes dans le concret de notre vie. C’est ce que le Père Congar appelait « le déjà là et le pas encore ». Faut-il pour autant parler d’un perfectionnement progressif de l’humain ? cela est beaucoup discuté. Toutefois, c’est dans cette affirmation de la foi que se situe notre espérance, au coeur d’un monde dans lequel Dieu est apparemment silencieux et qui est marqué douloureusement par le mal, mais que Dieu transfigure par et dans le Christ Jésus. 

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