Abondance 2017. 5- Le but de l’espérance chrétienne

Publié le par Père Maurice Fourmond

Abondance 2017
5ème jour


5- Le but de l’espérance chrétienne, son achèvement, la « fin » de l’espérance

Questions pour la réflexion personnelle
    - Quelle idée avons-nous de la « toute-puissance » de Dieu ?
    -Comment concilier notre espérance en Dieu et la présence de souffrances intolérables dans le monde ?


Exposé :

    Peut-on parler de la « fin » de l’espérance ? Le mot « fin » a deux significations ; il désigne soit le terme au-delà duquel l’espérance n’a plus de raison d’être, n’existe plus, soit le but qui oriente toute la vie et qui donne son véritable sens à l’espérance. Dans ce dernier sens on utilisera le mot « accomplissement ».

1 - Un accomplissement humain
    Quand on parle d’accomplissement, on ne veut pas parler d’une perfection dans tous les domaines, à tous les niveaux de l’existence. Il y a des degrés. Essayons d’y voir plus clair. Un certain nombre de philosophes et de théologiens définissent l’homme comme composé d’un corps, d’un esprit et d’une âme. Le corps étant tout ce qui relève du sensible, de ce que nos sens peuvent percevoir ; l’esprit se rapportant à l’intelligence et à la capacité réflexive de notre personne ; l’âme étant ce qui ouvre sur une transcendance que certains dont nous chrétiens appellent Dieu. Disons d’abord qu’il y a un lien étroit entre ces trois aspects de l’être humain. En suivant la pensée de la tradition de nos ancêtres sémites et contrairement à la pensée grecque, comme chrétien, nous n’avons pas une vision dualiste de l’homme à la manière de Platon. Nous pensons, en nous référant à l’ensemble de la Révélation chrétienne, que ces trois éléments, corps, esprit et âme, sont inséparables pour construire la personne, le « moi », le « je » de chacun ; c’est ensemble qu’ils nous disent qui nous sommes en vérité. Toutefois il convient de faire deux remarques importantes : la première est que la réalisation de ma personne dans son caractère unique est un long chemin qui va de la naissance à la mort faisant intervenir différemment le corps, l’esprit et l’âme selon les moments de notre croissance. La seconde remarque est que, sans sous estimer l’importance de ces trois composantes de la personnalité humaine, elles se situent selon une certaine hiérarchie et n’ont pas la même place ni la même portée dans la construction de notre personne. 

    Certes la santé, l’équilibre du corps sont importantes d’autant qu’ils sont le socle fondateur pour l’émergence de l’esprit et pour l’ouverture sur la transcendance de l’âme. Cependant nous connaissons des personnes dont le corps est particulièrement blessé, abîmé et qui rayonnent d’une grande intelligence comme cet astrophysicien anglais Stephen Hawking ou encore des personnes qui, malgré un corps abimé, manifestent une profonde empathie pour ceux qui les entourent. Dans l’histoire humaine, on a parfois donné une place trop importante au corps au détriment de l’esprit et de l’âme. En effet, si le corps est nécessaire à la personne, il n’a pas la même place dans ce qu’est la personne que l’esprit ou l’âme. Pour donner un exemple, je discutais il y a quelques mois sur le sens de la beauté. Nous étions d’accord pour placer les critères de la beauté dans la subjectivité de celui qui contemple une chose ou une personne. Toutefois nous nous étions accordés sur le fait que la beauté du corps est insuffisante pour définir la beauté de quelqu’un ; on est attiré plus profondément par les qualités de l’intelligence ou par la profondeur de la vie. Certes l’apparence n’est pas neutre, mais c’est en creusant plus loin que l’on pourra découvrir la véritable beauté d’une personne.

    Ainsi lorsque nous parlons d’accomplissement humain, nous parlons de l’accomplissement de la personne qui, certes, intègre la dimension corporelle mais celle-ci n’est qu’un moyen pour aller plus loin dans la construction de la personne. 

    De même le développement de l’intelligence est essentiel. C’est ce développement qui a permis au cours de l’histoire humaine une certaine maîtrise de la nature par toutes les découvertes scientifiques ; c’est l’intelligence humaine qui a permis non seulement ce savoir faire fruit de l’ingéniosité de l’homme, mais aussi tout le développement de la pensée humaine, une réflexion sur le sens de la vie, sur l’organisation de la société, sans parler des arts de la peinture à la musique, de la sculpture à l’architecture.

    Toutefois l’intelligence est encore insuffisante pour accomplir la personne ; il faut encore développer cette réalité humaine plus profonde qu’est l’ouverture à l’autre, le sens de relations aimantes et respectueuses de l’autre et l’ouverture sur un horizon qui nous dépasse. Le chrétien donnera à cette ouverture à l’autre le nom de relation d’amour gratuit, de don de soi et d’accueil de l’autre, cet amour que tous ceux qui aiment découvrent comme plus grand qu’eux-mêmes. Ouverture particulièrement de cet Autre qui est l’amour même et que nous nommons Dieu. 

    Cet accomplissement de notre personne, corps, esprit et âme est-il réalisable pleinement dans notre vie ici-bas ou est-il l’annonce, l’ébauche, une étape certes essentielle, mais inachevée de l’accomplissement de notre « moi », de notre « je ». D’autre part, comment savoir que nous sommes en vérité en marche vers notre accomplissement ? 

    Réfléchissons encore sur le sens que nous mettons sous ce mot « accomplissement » ? Nous connaissons la maxime « Deviens qui tu es » ; elle a été très souvent citée par Nietzsche en particulier dans son livre « Le Gai Savoir » : « Que dit ta conscience? Tu dois devenir celui que tu es » § 270. Expliquant le livre de Bertrand Vergely (écrivain et théologien orthodoxe) dont le titre reprend notre maxime « Deviens qui tu es », un commentateur écrivait : « Comme les philosophes grecs, Bertrand Vergely préconise de mener une vie « juste et belle » et de nous référer à la fameuse phrase de Socrate : « Donne-moi la beauté intérieure et que l’extérieur soit toujours en accord avec l’intérieur. ». N’est-ce pas dans ce sens qu’il nous faut chercher quel doit être l’accomplissement de chaque personne humaine ?

    Mais comme savoir « qui je suis », qui je dois être ? Les psychologues et les psychanalystes peuvent tenter de décrire ce que doit être l’être humain dans sa grandeur à travers des comportements heureux ; les diverses croyances peuvent également tenter de le définir, mais le chrétien a la chance d’avoir reçu une indication essentielle sur ce qu’est la vérité de la personne humaine, à travers la vie la mort et la résurrection de Jésus. Nous pouvons l’affirmer à travers cette parole de Saint Paul à propos du Christ Jésus : « Il est l’image du Dieu invisible, premier né de toute créature ». Col 1, 15.

2 - Jésus, accomplissement de l’homme.
    Ce qui nous est dit de Jésus à travers l’Écriture, n’a nullement la prétention de nous décrire un homme parfait au sens où il aurait toutes les qualités et aucune limite. La perfection dont il est question n’est pas la mise en oeuvre sans faille de toutes les potentialités humaines. Jésus a vécu dans les limites de son temps et de son histoire. Jésus n’avait pas une connaissance illimitée, mas limitée à ce qu’il a pu apprendre dans son enfance et au cours de sa courte vie. La perfection de Jésus n’est pas non plus dans la réussite de son enseignement, dans sa capacité à convaincre puisque ni sa parole ni ses oeuvres n’ont suffi à changer l’esprit et le coeur des responsables religieux de son peuple.

    Alors où était la perfection de l’homme Jésus ? Elle était dans cet accord profond et permanent avec cet amour de Dieu son Père qui lui était sans cesse présent. La perfection de l’homme Jésus n’était autre que cette permanente présence à un amour infini le transformant tout au long de sa vie pour trouver dans sa résurrection son achèvement parfait. C’est en étant et en manifestant chaque jour qu’il était le Fils bien aimé de Dieu et le frère de tous les humains que Jésus est l’homme accompli, notre exemple, celui qui a dit de lui-même « Je suis le chemin, la vérité et la vie » Jn 14, 6. Jésus est devenu « qui il était » en manifestant son amour pour son Père et à tous moments pour ses frères. Il est celui qui a fait en tout la volonté de son Père et celui qui a aimé les siens qui étaient dans le monde jusqu’au bout, jusqu’à donner sa vie pour ses amis.

    Si donc nous cherchons à devenir qui nous sommes, accomplissant ainsi ce pour quoi nous sommes ici sur cette terre, c’est en nous efforçant de suivre le Christ dont cette filiation et cette fraternité étaient toute sa vie.
    On donne un nom à cet accomplissement de l’humain pour chacun, c’est le nom de « sainteté ». La sainteté est la réalisation de mon espérance dans tel instant de ma vie. Et la sainteté n’est pas l’apanage des seuls croyants, elle peut être vécue par des non croyants dans la mesure où ils vivent en vérité cet amour qui est dit à chaque page de l’évangile. Rappelons-nous la parole de Jean dans sa première lettre «Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour vient de Dieu. Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour » 1 Jn 4, 7-8. La sainteté c’est-à-dire l’accord intime entre ce que je suis et le Dieu qui m’aime est sans doute la définition la plus juste de l’accomplissement de l’homme. C’est en cela que se situe la perfection demandée par le Christ : « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait » Mt 5, 48. On voit par là que l’accomplissement de l’homme se situe à la pointe de son être, là où il est relié à celui qui lui donne la vie et l’être. Si, selon la définition de la 1ère lettre de Saint Jean, Dieu est l’amour même, l’accomplissement de l’homme, sa perfection sera dans la participation à ce Dieu-Amour comme le rappelle Saint Paul : « Mais par-dessus toutes ces choses revêtez-vous de la charité, qui est le lien de la perfection » Col 3, 14.

3 - La fin de l’espérance dans le mystère de la résurrection définitive.
    Nous balbutions lorsque nous tentons de parler de notre résurrection définitive au moment de notre mort. Nous parlons alors de « plénitude », de participation à la plénitude de vie et d’amour qu’est Dieu lui-même. Dans cette perspective que pouvons-nous espérer puisque nous avons tout ?

    L’espérance n’a de sens que dans le temps, car elle suppose un avant et un après ; elle suppose une durée temporelle qui justifie l’attente puis la réalisation partielle de l’attente. Lorsque nous serons totalement transformés par l’amour qu’est Dieu, nous sortons du temps pour entrer dans l’univers de Dieu. Il n’y a plus d’attente puisque tout est présent. Est-ce à dire que cet univers de Dieu est sans changement, ce qui ferait craindre, selon certains, un « mortel » ennui ! C’est le mystère d’un tout qui est donné sans cesse et qui renouvelle sans cesse la joie et le sentiment de plénitude. Nous n’avons aucun vocabulaire pour décrire cette plénitude sans cesse donnée car notre capacité de compréhension est limitée à ce que nos sens peuvent percevoir, nous ne réfléchissons qu’à l’intérieur de notre monde temporel et l’entrée dans l’univers de Dieu nous échappe totalement. Il semble toutefois que dans cette plénitude, disparaissent la foi et l’espérance pour ne laisser que la charité comme le dit l’apôtre Paul : « Ce qui demeure aujourd’hui, c’est la foi, l’espérance et la charité ; mais la plus grande des trois, c’est la charité » 1 Co 13, 13.

4 - L’eschatologie chrétienne
    L’eschatologie est un mot bien compliqué. Il vient de deux mots grecs : «eskhatos » qui veut dire « dernier » et « logos » qui veut dire « discours » ; l’eschatologie est dont un discours sur les fins dernières. Toutefois, la pensée chrétienne est complexe ; elle se définit selon les mots du Père Congar comme le « déjà là et le pas encore ». Aussi, chaque fois que nous réfléchissons sur l’humain, il nous faut toujours le situer, et dans l’aujourd’hui de nos vies et aussi dans son achèvement. C’est ainsi que parler de la fin de l’espérance nous projette dans notre propre fin terrestre, mais en même temps dans notre espérance aujourd’hui. Dans quel sens ? En ce sens que l’eschatologie éclaire et donne sa perspective à l’espérance d’aujourd’hui. C’est dire que si mon accomplissement ne sera plénier et définitif dans l’univers de Dieu au-delà de notre vie terrestre, il demeure un véritable objectif pour l’aujourd’hui de ma vie et, en ce sens, il apporte des raisons de vivre et un chemin pour avancer.

    En effet, nous sommes déjà habités par ce projet divin qui est de nous voir participer à la plénitude de la vie de Dieu. C’est dans ce sens qu’il convient de comprendre le récit de la création de l’homme dans le livre de la Genèse avec la phrase : « Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. Qu’il soit le maître des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, des bestiaux, de toutes les bêtes sauvages, et de toutes les bestioles qui vont et viennent sur la terre. » Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme » Ge 1, 26-27. Cette ressemblance habilite l’homme à devenir participant de la divinité. Pour le chrétien, cette participation constitue l’accomplissement dernier de l’être humain.

    Ainsi, on peut dire que la fin de notre espérance est cette transformation progressive de tout notre être corps, esprit et âme en ce amour qu’est Dieu lui-même. Déjà aujourd’hui, il nous est donné de commencer à vivre cette participation jusqu’au jour où totalement transfigurés, nous ne seront dans notre propre personne qu’image de l’amour infini, accomplissement de notre espérance.
 

Publié dans Conférences

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