Session Abondance 2015 : Liberté(s) et responsabilité

Publié le par Père Maurice Fourmond

Abondance 2015    Liberté et responsabilité

 

Mercredi : Le discernement

 

    1- Nécessité de réfléchir avant de prendre une décision.

    2-Les composantes de la délibération

    3- Faire la volonté de Dieu.

    4-Quelques repères dans des situations complexes.

    5- Textes bibliques

 

1- Nécessité de réfléchir avant de prendre une décision.

    Les décisions que nous sommes amenées à prendre, sont prises selon des critères différents. Ce sont parfois des choix de vie comme un mariage, un engagement religieux, un choix professionnel, l’adhésion à un parti, à une association… Nous nous demandons parfois quelle a été la part de liberté dans la décision et si le choix n’était pas dicté par des événements pour certains indépendamment de ma volonté. J’ai souvenir d’un dialogue avec un ami médecin psychiatre au cours duquel nous échangions sur les origines de nos professions respectives. Nous étions d’accord pour attribuer son choix de médecin comme mon choix de prêtre à des circonstances indépendantes de notre volonté avec toutefois cette certitude qu’à un moment notre liberté respective avait joué pour une part et cela suffit pour faire de nos choix des décisions personnelles et libres.

    Certes, dans certains cas, les motivations sont tellement évidentes que le choix s’impose, mais souvent, il convient d’avoir tout un processus avant de déterminer de qu’il convient de faire. On appellera donc discernement le trajet que chacun de nous est appelé à parcourir, quand il se propose délibérément d’effectuer un choix, de prendre une décision surtout si ce choix a une implication morale. «Quelles sont les différentes étapes que je vais parcourir pour passer de l’indétermination d’une situation à la décision et à l’action. Quels sont les moments qui jalonnent mon parcours comme sujet moral en partant de la situation qui est la mienne jusqu’à la transformation de cette situation à partir de ma décision ?». Pour cela, ma réflexion prendra en considération différents aspects : quelle est la situation, mon intention, mon projet, ma ou mes motivations, l’attrait pour telle ou telle décision, les valeurs, la loi... Comment passons-nous de l’interrogation à la décision. Qu’est-ce qui se passe en nous ?

    Tout ce processus de décision devrait me conduire à assumer lucidement et de façon responsable, les éléments d’une situation, du projet et de la décision que je vais prendre tout en sachant qu’aucun de nous n’échappera à l’inconfort d'une situation imparfaitement analysée, d'un projet seulement partiellement élaboré, d'une décision toujours plus ou moins risquée en elle-même et dans ses conséquences pratiques. Justement, nous verrons en troisième partie quelques situations complexes et les règles morales qui nous permettent d’agir en conscience.

 

2-Les composantes de la délibération

(les citations sont de René Simon dans « Éthique de la responsabilité » Cerf1993)

a) Cette démarche part d’une certaine indétermination.

    Souvent la décision que je prend devant une situation peut être spontanée mais souvent, dès qu’il s’agit d’une chose importante, elle va demander tout un travail de réflexion. En partant du principe que les choses ne sont pas toutes déterminées, nécessaires, s’imposant à notre agir, on peut parler au départ d’une triple indétermination. La première provient de la complexité de toute situation. Nous nous situons dans une perspective non déterministe c’est-à-dire que les actions ne sont pas totalement déterminées à l’avance. Même si l’action va obéir à un certain nombre de lois, les lois naturelles, psychologiques, sociologiques, celles-ci fonctionnent comme des facteurs nécessaires mais non suffisants pour produire l’action. Tous ces facteurs sont importants, mais laissent entière la question de la liberté et de la responsabilité. En bref il convient de dire que l’action humaine n’est pas le seul déploiement déterministe ou aléatoire des conditions et des conditionnements qui entrent dans la constitution de la situation initiale. Il y a la plupart du temps une «autodétermination», une «auto-implication» «fortement marquée par le redoublement des expressions comme «je me décide», «je m’engage à». Cette distance vient donc de la complexité de la situation concrète de départ.

    La seconde indétermination concerne la visée. Certes nous avons comme visée notre propre accomplissement dans toutes les dimensions de notre vie, mais nous avons aussi conscience qu’il y a toujours un écart entre le désir de se réaliser pleinement soi-même et la réalisation concrète, entre l’idéal désiré et même voulu et les possibilités concrètes. C’est cet écart entre ce que je veux au plus profond de moi et les possibilités concrètes qui constitue une autre indétermination quant à la solution, au choix à faire. C’est d’ailleurs cet «écart» qui impose non seulement la réflexion, mais une décision volontaire.

    La troisième indétermination se situe bien sûr dans la phase délibérative. Par définition, s’il y a délibération c’est que le résultat est encore incertain. Nous expérimentons cette indétermination à travers les «va-et-vient» de notre réflexion avant la décision finale. C’est une expérience que nous faisons sans cesse. Cette indétermination s’exprime souvent par le fait de demander conseil à d’autres : qu’est-ce que tu penses, à ton avis qu’est-ce que je dois faire…

b) Les moments du discernement

    Les moralistes distinguent cinq moments dans l’élaboration d’un choix : d’abord le rapport entre l’acte à poser et mon intention ; ensuite mes motivations ; puis la prise de conscience que c’est « moi » qui agit, la prise de conscience de ma responsabilité ; vient la délibération et enfin à la décision. Reprenons brièvement ces étapes du choix moral.

Action et intention.

    «Une des caractéristiques de l’action est d’être intentionnelle. Si je décide d’agir, c’est «en vue de...». Dire «en vue de» implique deux choses : cela implique de nommer une fin et de désigner les moyens pour l’atteindre. La fin est double : elle est à a fois la «fin ultime», la visée dernière qui engage toute l’existence, mais aussi la fin au sens d’un résultat escompté dans un temps plus ou moins proche. Mais ce but plus proche suppose d’utilise des moyens pour l’obtenir. On ne peut donc séparer le but recherché et les moyens utilisés pour atteindre ce but.

    Si nous voulons avoir une attitude juste, il convient d’accorder la recherche d’un but immédiat avec ce vers quoi nous voulons orienter toute notre vie. C’est une question de cohérence et d’unité personnelle. Est-ce que ce que je vais faire va dans le sens de ce que je désire profondément, de ce que je désire réaliser dans ma vie ? L’autre conséquence est qu’on ne peut pas parler d’un but à atteindre sans considérer les moyens employés. Nous connaissons bien cet adage en morale : «La fin ne justifie pas les moyens». Nous en avons parlé hier.

    Normalement «faire en vue de» implique faire «intentionnellement» ou encore «volontairement» et non pas «par inadvertance», «par habitude», «sans réfléchir». Nous faisons intervenir ainsi la notion de responsabilité que nous étudierons dans la rencontre suivante. En général seul le sujet qui pose l’acte peut dire si oui ou non il a intentionnellement posé cet acte. Nous y reviendrons.

 

Action et motivation.

    La motivation se distingue de l’intention. L’intention répond à la question «dans quel but ?», la motivation répond à la question «pourquoi ?». L’intention c’est «en vue de», la motivation c’est, je fais cela «parce que» ou «en raison de». La raison de mon agir se réfère toujours à des sentiments ou des valeurs comme la haine, la vengeance, l’insécurité, la peur ou l’amitié, l’esprit de solidarité, le sens de la justice, etc.

    La motivation met en jeu le «désir». Le désir est une motivation puissante. Pour donner un exemple : j’ai le désir de m’engager dans un service humanitaire parce que (motivation) j’estime que les pays pauvres ont le droit d’avoir accès au savoir : c’est une explication de ma décision. J’ai le désir de m’engager dans une action humanitaire parce que cela fait partie de mon sens de la solidarité humaine. Ce désir profond donne du sens à ma décision.

    Ainsi le motif n’est pas seulement et uniquement la raison que j’invoque pour rendre intelligible mon action, mais le motif invoqué justifie l’action. Dans la mesure où le motif fait intervenir des valeurs, nous entrons dans le domaine de l’éthique et donc justifie l’acte. Si je trompe quelqu’un pour lui nuire (intention), je le fais par vengeance (motivation) mon acte prend un dimension morale négative.

 

C’est « ma » responsabilité

    Dans la démarche éthique, c’est toujours un «je» qui agit. Personne d’autre que moi, quelles que soient les influences et les contraintes qui s’exercent sur moi, ne peut dire «je» à ma place. Je suis l’auteur de cette action que j’ai faite dans telle intention et pour tel motif.

 

La délibération elle-même.

    La délibération ne porte pas sur la fin ultime voulue, mais sur la fin proche, sur l’acte immédiat à poser. Je veux la fin, je ne le discute pas, mais je vais discuter avec moi-même sur les moyens de l’obtenir. La délibération s’achèvera dans le fait de poser l’acte qui a été délibéré et choisi. Il s’agit donc des fins prochaines qui dépendent d’un choix précis. Ainsi la délibération ne concerne que la fin proche et les moyens d’y parvenir.

    La délibération n’est pas autre chose que le débat que l’agent moral entretient avec lui-même dans l’intention de se formuler pour lui-même ses raisons d’agir. Il sera donc question «de peser les motifs, d’apporter la contradiction, de se référer au code moral de son groupe d’appartenance, de le discuter, de l’invoquer éventuellement pour justifier son choix». 

    Toutefois, beaucoup de nos choix sont posés sans délibération préalable, par habitude. Dans ce cas les choix sont souvent le fruit d’une option profonde et durable «fait de consentements successifs dont les motivations ne sont plus mises en question». Il peut aussi arriver que l’on justifie un choix après coup : ce qui avait été fait dans l’urgence va demander ensuite une réflexion pour justifier les motivations.

    La délibération est nécessaire, mais ne peut prétendre à une conclusion de pleine évidence et sans aucune obscurité.

 

La décision.

    «La décision termine la démarche délibérative et constitue le pas qui conduit à poser un acte». Distinguons d’abord le choix et la décision. Le mot décision vient du latin «de-coedere» qui signifie détacher en coupant, trancher (le noeud gordien). Il faut trancher dans le vif sans que l’on ait la maîtrise complète de la situation. «La délibération analysait, examinait, comparait, évaluait. Il s’agit maintenant de choisir parmi les solutions envisageables... et de se décider à mettre ce choix à exécution». Le choix est donc d’une certaine manière préalable à la décision. Dans la décision, il ne s’agit plus de choisir mais de vouloir efficacement ce que l’on a choisi. 

    Il appartient au sujet et à aucune autre personne de clore le débat intérieur qu’il a avec lui-même et avec les autres, de vouloir ou de ne pas vouloir. La responsabilité du sujet apparaît ici avec clarté. Il ne faut cependant ni la majorer au point de lui faire porter le poids de l’univers et une culpabilité infinie, ni la minimiser au point de la réduire à n’être que le reflet subjectif de déterminismes internes ou externes. Elle est limitée mais réelle et il faut en souligner l’importance face aux fatalismes ambiants et aux démissions découragées». Ajoutons que cette responsabilité concerne une personne qui est toujours en relation, ce qui veut dire que la responsabilité ne peut se comprendre que dans le rapport à autrui.

    Ainsi, dans les décisions que je suis amenées à prendre, si de nombreux facteurs interviennent qui ne dépendent pas de moi, il reste que c’est moi qui décide et qui engage ma responsabilité. Je suis un sujet moral.

 

3- Faire la volonté de Dieu.

    Nous avons parcouru brièvement le processus d’un choix responsable, pour le chrétien une question se pose : dans ce processus où se situe ce que nous appelons «la volonté de Dieu». Lorsque nous relisons les évangiles, nous voyons que Jésus, totalement homme, est placé souvent devant des choix difficiles. C’est un bon juif mais il se sait investi d’une mission particulière qui risque de l’opposer tant à ses chefs religieux qu’à ceux qui prônent une opposition à l’occupation romaine. Comme chacun de nous, il devra passer par toutes les étapes du choix. Mais il dit lui-même à quelle motivation il va toujours s’inspirer. Une parole résume bien la motivation profonde de Jésus ; c’est dans saint Jean au chapitre 5 : «Je rends mon jugement d'après ce que j'entends, et ce jugement est juste, parce que je ne cherche pas à faire ma propre volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé» v.5. Nous reprenons nous-même la motivation profonde de Jésus dans la prière du «Notre Père» : «Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel». Mais que veut dire «faire la volonté de Dieu» ? Est-ce à dire que nos choix sont dictés par un autre, quel est le sens de l’obéissance dans nos choix personnels, et tout d’abord comment connaître la volonté de Dieu ?

    Cela suppose que Dieu «parle», que Dieu me parle. Or personne n’a eu une révélation directe de la Parole de Dieu. Celle-ci passe toujours par des médiations humaines. La preuve majeure en est l’Incarnation où le Verbe de Dieu, la Parole de Dieu va se manifester mais à travers une médiation humaine, l’homme Jésus de Nazareth. C’est donc à travers des médiations humaines que Dieu parle, que Dieu me parle. C’est pourquoi, comme toute médiation, la Parole de Dieu devra être «interprétée». Ceci d’ailleurs respecte à la fois la liberté humaine et l’exigence d’une ouverture du coeur et de l’esprit.

    C’est ainsi que la volonté de Dieu ne s’impose pas ; elle ne m’est manifestée qu’à travers de nombreuses médiations humaines : ma propre histoire, les événements qui m’ont touché, les rencontres qui ont été autant d’appels, la méditation de la Bible. Toutes ces médiations sont discrètes, cachées au point que pour y reconnaître une parole de Dieu il faut une grande attention, la lumière de l’Esprit qui habite en nous, une certaine complicité avec cette parole, bref une certaine vie spirituelle éclairée.

    C’est pourquoi pour le chrétien dans le processus de décision, la place de la prière est-elle essentielle. Celle-ci nous permet de dégager à travers les multiples médiations humaines, un appel qu’il conviendra de reconnaître et, si nous le décidons, de le suivre. 

 

4-Quelques repères dans des situations complexes.

    La décision n’est pas toujours limpide. Il arrive souvent qu’une décision comporte, quelle qu’elle soit, du mal. Donnons deux exemples : Le médecin qui augmente les doses de morphine en sachant que cela va accélérer le processus de mort. Autre exemple, pendant la guerre des résistants capturés par l’ennemi ont été placés devant un choix difficile : se donner la mort ou prendre le risque de dénoncer sous la torture des amis résistants. On dira que ce sont des cas extrêmes, mais la vie ordinaire est également pleine de choix difficiles comme rester avec un conjoint violent, le dénoncer, le quitter. C’est ainsi que les moralistes ont été amenés à définir des règles morales pouvant aider à la décision bonne. Voici quelques uns de ces principes.

    a) Le principe du moindre mal. Par exemple lorsqu’une femme violée est enceinte et se pose la question de l’avortement. Si cette personne décide d’avorter, sa décision va provoquer une mort mais si elle ne voit pas d’autre solution pour sa propre vie, sa décision opte non pas pour ce qui serait considéré comme un bien mais comme ce qui est considéré en conscience par la personne concernée comme un moindre mal. Et personne ne peut décider à la place de la personne concernée. Ce principe demande d'élaborer un jugement de proportionnalité sur la gravité des différents maux.

    b) Le volontaire indirect. Il n'y a pas nécessairement l’obligation de renoncer à une action bonne parce que par hasard ou par malice elle peut avoir des effets mauvais. Il faut cependant pour poser cette action, des motifs proportionnés. Exemple : donner de l'argent à un pays dirigé par un dictateur, en vue de sauver le peuple de la famine. Directement, je veux donner de l’argent à un mauvais dirigeant mais indirectement, je vais ainsi permettre à des populations de ne pas mourir de faim. 

    c) La loi du double effet. Ce principe prend en compte le fait qu’une action produit un effet bon mais produit en même temps comme conséquence inéluctable un effet mauvais. C’est un peu différent du cas précédent, on inverse ce qui est voulu. C’est le cas de conscience posé à de nombreux médecins devant un malade sans aucun espoir de guérison et dont la souffrance est intolérable. On va donner au malade des tranquillisants ou même le plonger dans un sommeil artificiel dont on sait qu’ils vont accélérer le processus de mort. Ce qui est voulu directement, c’est le soulagement du malade, l’accélération du processus mortel n’est pas voulu directement mais est un effet du calmant administré. 

    d) Enfin il y a ce qu’on appelle "l'épikie". L’épikie renvoie à l'idée qu’il convient d'être juste au-delà de la loi, dans certaines situations particulières qui n'ont pas été prévues par la lettre de la loi. L'épikie est modératrice à l'égard de l'observance littérale de la loi. L'épikie fait appel au bon jugement. Il s’agit de privilégier l'esprit à la lettre de la loi. La loi n’est pas en cause, au contraire car c’est l’esprit de la loi qui est privilégié. C'est la conscience individuelle qui reste libre devant la loi et qui juge que la loi ne s'applique pas dans tel cas. N’est-ce pas ce que Jésus a pratiqué lorsqu’il guérissant un malade un jour de sabbat où toute oeuvre est interdite par la Loi.

 

5- Textes bibliques

J’ai choisi quelques textes bibliques pour votre méditation personnelle :

    - La question de Pierre concernant ceux qui ont tout quitter pour suivre Jésus et la réponse de ce dernier : Luc 18, 18-30.

    - « Que sert à l’homme de gagner l’univers » Marc 8, 34-36

    - On peut aussi méditer sur ce passage du livre de l’Ecclésiaste ou Qohéleth : « Il y a un temps pour tout » Qohéleth 3, 1-14

Publié dans Conférences

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