Le fils prodigue (Luc 15, 11-32)

Publié le par Père Maurice Fourmond

Le fils prodigue

Luc 15, 11-32 

 

« Jésus dit encore : « Un homme avait deux fils.

12 Le plus jeune dit à son père : “Père, donne-moi la part de fortune qui me revient.” Et le père leur partagea ses biens.

13 Peu de jours après, le plus jeune rassembla tout ce qu’il avait, et partit pour un pays lointain où il dilapida sa fortune en menant une vie de désordre.

14 Il avait tout dépensé, quand une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin.

15 Il alla s’engager auprès d’un habitant de ce pays, qui l’envoya dans ses champs garder les porcs.

16 Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien.

17 Alors il rentra en lui-même et se dit : “Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim !

18 Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi.

19 Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers.”

20 Il se leva et s’en alla vers son père. Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers.

21 Le fils lui dit : “Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.”

22 Mais le père dit à ses serviteurs : “Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller, mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds,

23 allez chercher le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons,

24 car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé.” Et ils commencèrent à festoyer.

25 Or le fils aîné était aux champs. Quand il revint et fut près de la maison, il entendit la musique et les danses.

26 Appelant un des serviteurs, il s’informa de ce qui se passait.

27 Celui-ci répondit : “Ton frère est arrivé, et ton père a tué le veau gras, parce qu’il a retrouvé ton frère en bonne santé.”

28 Alors le fils aîné se mit en colère, et il refusait d’entrer. Son père sortit le supplier.

29 Mais il répliqua à son père : “Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis.

30 Mais, quand ton fils que voilà est revenu après avoir dévoré ton bien avec des prostituées, tu as fait tuer pour lui le veau gras !”

31 Le père répondit : “Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi.

32 Il fallait festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé !” 

 

    Des quatre évangiles, l’évangile selon saint Luc est particulièrement appelé l’évangile de la miséricorde. Nous avons en effet en saint Luc au chapitre 15 les trois grandes paraboles de la miséricorde : la brebis perdue, la pièce de monnaie égarée et la grande parabole du fils prodigue. C’est cette dernière que je voudrais méditer avec vous ce matin. Vous connaissez bien cette parabole d’un fils qui ayant réclamé son héritage quitte la maison pour vivre une vie de désordre, puis il revient vers son père qui le reçoit comme un fils ; cette parabole se poursuit avec le refus du fils aîné et l’intervention du père. Je voudrais reprendre chacun de ces personnages afin d’éclairer notre prière.

 

    Et d’abord l’attitude du fil cadet. Le fait de quitter la maison de son père n’est pas en soi une blessure. Nous savons qu’il est normal à un certain âge de quitter ses parents pour construire sa propre vie et même cela est souhaitable. Toutefois deux éléments viennent changer la donne. Le premier est la revendication de l’héritage. L’héritage n’est remis aux enfants qu’après la mort des parents. Revendiquer son héritage est, d’une certaine façon faire mourir le père. C’est la mort du père qui est signifiée par cette revendication de l’héritage. On peut comprendre la blessure que cette attitude provoque dans le coeur du père. Il est un autre élément qui condamne le départ du fils : partir pour construire sa vie, soit, mais partir pour dilapider son bien et se détruire soi-même est vraiment catastrophique. C’est pourtant l’attitude du fils. Il agit comme si son père était mort et il va dépenser son bien en des plaisirs frivoles qui loin de construire sa vie, la détruisent : il « partit pour un pays lointain où il dilapida sa fortune en menant une vie de désordre » v. 13.

 

    Cette destruction est exprimée à travers sa solitude. Il n’avait d’amis qu’en raison de sa richesse ; celle-ci dissipée, il n’a plus personnes pour l’accueillir, il est seul. La destruction de sa vie est également signifiée par la faim qui le tenaille ; il doit garder les porcs (des animaux considérés comme impurs !) et on ne lui donne rien, pas même la nourriture pour les porcs : « personne ne lui donnait rien » v. 16 .

 

    Cette situation du fils prodigue nous interroge : est-ce que notre manière de vivre nous construit ou nous détruit, quelle est la part d’extériorité superficielle et la part d’intériorité profonde dans notre vie, que sacrifions-nous à l’apparence au détriment du fond solide qui donne son véritable sens à l’aventure de notre vie ? Quel type de relation entretenons-nous avec les autres ? Autant de questions sur ce qui nous construit et ce qui est du vide. Nous sommes renvoyés à l’affirmation de Jésus : « Ne vous amassez pas de trésor sur la terre, où les mites et les vers font tout disparaître, où les voleurs percent les murs et dérobent. Mais amassez-vous des trésors dans le ciel, où ni les mites ni les vers ne font de ravages, où les voleurs ne percent ni ne dérobent. Car où est ton trésor, là aussi sera ton coeur » Mt 6, 19-21. Le jeune homme de l’évangile se pose ces questions : « Alors il rentra en lui-même » v. 17.

 

    Le fils rentre en lui-même et se dit : “Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim ! Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers.” v. 17-19. Cette réaction du fils prodigue nous interroge. Il est habité par plusieurs convictions. La première est qu’il a faim et qu’il cherche où il pourra retrouver un lieu où il sera nourri. Le premier lieu qui lui vient à l’esprit est la maison de son père où il a passé son enfance et sa jeunesse. Sa motivation n’est pas très glorieuse, c’est la faim qui le pousse à chercher une solution à son problème. D’autre part c’est la mémoire de son passé qui lui fait retrouver le lieu où sa faim était assouvie, dans la maison de son père.

 

    Toutefois, l’image qu’il a de son père est à la fois aimante, car il pense que on père va l’accueillir, mais très loin de la réalité de l’amour que son père lui porte. Il espère que son père lui donnera un emploi d’ouvrier assurant sa nourriture mais il n’imagine pas que son père le recevra comme son fils. Nous sommes ainsi interrogés sur l’image que nous nous faisons de Dieu. Curieusement nous avons eu et beaucoup ont encore la vision d’un Dieu comme un juge sévère ne laissant passer aucune dérogation à la loi. Nous avons parfois le même regard sur Dieu que le mauvais serviteur de l’évangile de Luc qui avait enfoui dans un linge la pièce d’or de son maître et qui disait au roi : «Seigneur, voici ta pièce d'or, je l'avais mise de côté dans un linge. En effet, j'avais peur de toi : tu es un homme exigeant, tu retires ce que tu n'as pas déposé, tu moissonnes ce que tu n'as pas semé.» Lc 19, 20-21. Ce dieu qui fait peur, qui pèse les actes de chacun et condamne n’est pas le Dieu de Jésus Christ. Dans son entretien avec Nicodème Jésus affirme : «Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui» Jn 3, 17. Nous avons souvent l’image d’un Dieu qui ne nous voit que comme des coupables sous le regard impitoyable de sa justice. Nous oublions que l’amour de Dieu est un amour gratuit sans conditions autre que notre retour vers lui. C’est pourquoi l’expression du « rachat » à propos de nos fautes est plus qu’ambigüe, elle est erronée. Le Christ ne rachète pas notre pardon, il le donne gratuitement et le don de sa vie n’est nullement le prix à payer pour notre pardon, mais l’expression d’un amour fou qui va jusqu’à accepter d’être tué par ceux-là même qu’il aime jusqu’au don de sa vie.

 

    Le fils prodigue va même préparer la petite phrase qui devrait amadouer son père : « Je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers.” v.18-19. Et le fils prend la route du retour vers la maison de son père. Là encore cette attitude nous interroge : que signifie pour nous ce « retour » ? Le mot peut se dire selon un verbe « se retourner », qui est le même que le mot « conversion ». Il s’agit d’une conversion, de se retourner, de changer de direction. C’est la lumière et la force de l’Esprit Saint qui seules nous permettent d’opérer cette conversion de notre vie. Certaines peuvent être radicales, d’autres plus modestes, mais tout aussi importantes pour construire notre vie. Nous ne savons pas combien de temps a duré le retour du fils prodigue, sans doute assez longtemps puisqu’il était parti vers un pays lointain.

 

    Et le fils revient vers son père. Le verbe « revenir » est très important dans la Bible. C’est le cri constant des fils d’Israël soit pour demander à Dieu de revenir vers son peuple, soit pour demander à Dieu que nous revenions vers lui soit que Dieu nous demande de revenir lui. Par exemple le Psaume 79 (80) : « Dieu, fais-nous revenir ; que ton visage s'éclaire et nous serons sauvés ! » v. 4. Ou dans le livre du prophète Isaïe : « J’efface tes révoltes comme des nuages, tes péchés comme des nuées. Reviens à moi, car je t’ai racheté » Is 44, 22. Le prophète Jérémie, le prophète de l’exil écrit s’adressant à Dieu : « Pourquoi ma souffrance est-elle sans fin, ma blessure, incurable, refusant la guérison ? Serais-tu pour moi un mirage, comme une eau incertaine ? Voilà pourquoi, ainsi parle le Seigneur : Si tu reviens, si je te fais revenir, tu reprendras ton service devant moi. Si tu sépares ce qui est précieux de ce qui est méprisable, tu seras comme ma propre bouche ». N’avons-nous pas là l’expression de toute démarche de conversion, de la démarche demandée pour le Carême. Jésus parlant du pardon a cette belle parole : « Même si sept fois par jour il commet un péché contre toi, et que sept fois de suite il revienne à toi en disant : “Je me repens”, tu lui pardonneras. » Lc 17, 4.

 

    On ne sait pas quelle fut l’attitude de ce fils réintégré dans sa dignité de fils. On peut supposer que, redécouvrant l’amour infini de son père, il trouvera dans son coeur un nouvel élan d’amour qui répondra à l’amour de son père. 

 

 

    Mais maintenant, regardons l’attitude du père ; c’est le personnage principal de cette parabole. Les chrétiens pensent que le père du fils prodigue représente sans doute la plus belle image de Dieu qu’il soit possible d’imaginer. Le père a certainement été profondément blessé par l’attitude de son fils cadet. Nous l’avons déjà dit, réclamer l’héritage est pour ainsi dire signifier la mort du père, agir comme s’il n’existait plus. Cette blessure aurait pu conduire le père à rejeter ce fils. Or nous voyons que le père non seulement ne le rejette pas, mais ne se console pas du départ de son enfant, plus encore, il s’inquiète pour lui : est-il en bonne santé, va-t-il bien, est-ce qu’il n’est pas mort… Cette inquiétude le pousse à guetter un éventuel retour. L’évangile nous montre le père qui voit son enfant de loin : « Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers » v.20.

 

    Nous voyons là l’amour du père. Il ne pense qu’à une chose, son fils est vivant, c’est tout ce qui lui importe. Il est vivant et il est revenu. Le père ne lui demande rien ; il ne demande pas à son fils pourquoi il a fait cela, il ne pose pas de questions, il n’exige aucune explication, il est seulement à la joie de le voir en bonne santé. On a le sentiment que le passé n’existe pas : c’est son fils bien-aimé qui est là. Le fils balbutie la petite phrase qu’il a préparée, mais son père ne lui laisse même pas le temps de confesser sa faute, en hâte il appelle ses serviteurs : “Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller, mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds, allez chercher le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé ». Et ils font la fête !

 

    Si vraiment ce qui est dit du père correspond bien à l’attitude de Dieu à notre égard, comment pouvons-nous avoir peur de ce Dieu-là, comment le regarder comme un juge sévère, comment construire notre vie de foi dans la culpabilité ! Certes, l’attitude aimante du père ne nous empêche pas de prendre conscience de notre faiblesse, de notre péché, mais seulement dans le sens d’un amour infidèle devant un amour infini.

 

    En cette année jubilaire de la miséricorde, nous nous interrogeons souvent sur le sacrement de la réconciliation. Quel est le sens du sacrement de la réconciliation ? Certes, il nous dit le pardon de Dieu de notre péché lequel est toujours un refus d’aimer à la manière de Dieu telle que Jésus en a été l’image. Mais il me semble que l’acte de Dieu va beaucoup plus loin. Dans la parabole, on a l’impression que l’attitude du père est bien plus qu’un pardon qui n’est même pas prononcé, il dit tout simplement l’amour qu’il a pour son fils : « “Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller ». En effet, non seulement il nous pardonne au sens de l’expression « je ne t’en veux pas ! », mais plus fondamentalement, Dieu nous redit à travers la parole sacramentelle, toute la confiance qu’il a envers nous. Ainsi le sacrement de la réconciliation est le sacrement de l’espérance de Dieu pour nous, espérance et confiance qui nous sont réaffirmées dans la parole sacramentelle. C’est cette confiance, cette espérance de Dieu qui peut nous remettre debout car elle nous réintroduit dans cette intimité filiale comme le fut le fils prodigue de la parabole. Si Dieu espère en moi, croit en moi, je peux reprendre le chemin de ma sainteté.

 

    Dans le récit du fils prodigue, nous voyons dans l’attitude du père, que son pardon consiste à ouvrir un avenir à son fils. Nous nous interrogeons sur le sens du pardon accordé. L’attitude de Jésus envers le pécheur telle que rapportée par les évangélistes, nous montre que le pardon consiste à ouvrir un avenir à la personne pardonnée. Plusieurs rencontres de Jésus le montrent avec évidence. Prenons par exemple le récit de la femme adultère en Jn 8, 3-11. Vous connaissez ce récit : on amène à Jésus une femme surprise en flagrant délit d’adultère ; la loi mosaïque exige que cette femme soit mise à mort par lapidation ; Jésus renvoie les accusateurs à leur propre vie : «Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre » ; les accusateurs se retirent les uns après les autres et Jésus reste seul devant la femme. Relevons la parole de Jésus qui clôt le récit : «Moi non plus je ne te condamne pas. Va et désormais ne pèche plus». Ce qu’il faut retenir surtout, c’est la confiance de Jésus envers cette femme. Il croit qu’elle peut changer sa vie. L’évangile ne dit rien sur le comportement de cette femme par la suite, mais la foi de Jésus en cette femme lui ouvre un avenir, un avenir que ses accusateurs avaient fermé. Le pardon est une confiance donnée et redonnée qui ouvre toujours un avenir.

 

    Nous avons cette même démarche dans le récit de la rencontre entre Jésus et la Samaritaine (Jn 4, 1-42). Nous voyons Jésus qui accueille, presque d’égal à égal, cette femme que sa conduite marginalisait dans son village. Petit à petit une confiance s’installe et, se sachant enfin reconnue dans tous les sens du mots « reconnu », cette femme voit s’ouvrir un avenir nouveau pour elle ; elle court vers le village et, si je puis dire, elle retrouve la parole et s’adresse à ses compatriotes devenant ainsi prophète. L’abandon du passé est signifié symboliquement par l’abandon de la cruche au bord du puits.

    C’est ainsi que le sacrement de la réconciliation est un sacrement de réconfort par un Père dont l’amour pour nous est infini ; il est le sacrement de l’espérance de Dieu pour nous, de sa confiance ; c’est, malgré l’appréhension qui a été celle du fils prodigue, un sacrement de joie parce que notre avenir heureux est rouvert.

 

 

    La parabole met en scène un troisième personnage, celui du fils aîné. C’est un fils d’une fidélité exemplaire. Il le rappelle à son père : “Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis » v.29. Cependant, cette belle fidélité du fils aîné, celui-ci la considère comme un droit. Nous introduisons souvent dans nos relations ce que nous considérons comme un droit en oubliant qu’une relation d’amour ne peut être que gratuite. Je pense que le mérite selon lequel ma fidélité me donnerait des droits sur Dieu n’est pas chrétien. On ne mérite pas l’amour de quelqu’un. Dans une relation aimante, on ne peut jamais dire : « je n’ai pas mérité cela » ou « je mérite bien cela ». Il conviendrait de réfléchir au sens de la gratuité d’un véritable amour.

 

    De plus notre revendication d’un droit s’accompagne d’un jugement porté sur la bonté de l’autre vis-à-vis de ceux que nous considérons comme moins méritants. Nous jugeons cette bonté soit comme une faiblesse, soit comme une injustice. Nous retrouvons cette attitude dans d’autres parabole comme celle des ouvriers de la dernière heure (Mt 20, 1-16). Vous vous rappelez cette parabole dans laquelle le maître donne le même salaire à tous les ouvriers qu’ils aient subi le poids du jour ou qu’ils aient été dans le champ seulement une heure. Le but de cette parabole n’est pas de parler d’une justice sociale, mais de la gratuité de l’amour de Dieu.

 

    Nous avons souvent l’attitude du fils aîné. Nous acceptons mal une égalité de traitement entre tous les enfants de Dieu : pourquoi le bon larron sur la croix est invité à partager tout de suite la gloire de Jésus, n’est-ce pas injuste par rapport à tous les juifs pieux qui ont lutté pour rester fidèles au Dieu de leurs pères. Ceux qui ont été fidèles toute leur vie ne devraient-ils pas avoir un meilleur traitement, ne devraient-ils pas être favorisés pour leur fidélité ?

 

    Nous tenons souvent ce même raisonnement. Nous pensons que notre fidélité nous donne des droits sur Dieu. Nous oublions ce qu’est et devrait être notre relation avec Dieu. Nous oublions l’importance de la gratuité dans une vie humaine. Nous oublions que c’est l’attitude de vérité devant Dieu qui nous ouvre à l’amour gratuit de notre Père. L’évangile de ce samedi est celui du pharisien et du publicain en Luc 18, 9-14. Le pharisien est un homme particulièrement fidèle à la Loi ; l’évangile précise même qu’il va au-delà de ce qui est prescrit. Ce qui blesse Jésus, c’est le jugement qu’il porte sur le publicain. Jésus nous rappelle que toutes les oeuvres même les plus spirituelles sont vaines s’ils ne sont vécues dans l’amour. N’est-ce pas ce que Saint Paul nous dit dans sa lettre aux Corinthiens. Il énumère les plus hautes activités humaines, la connaissance, la foi, la générosité en ajoutant que cela ne vaut rien, ne sert à rien si cela n’est pas habité par l’amour. Le fils aîné n’a jamais « transgressé les ordres » de son père, mais cette fidélité était-elle habitée par l’amour de son père ? Peut-être, mais ses reproches et la comparaison qu’il fait avec son frère cadet permettent d’en douter.

 

    L’attitude du père est là encore exemplaire : voyant que son fils aîné refuse d’entrer pour partager la fête, il sort afin de tenter de le convaincre : “Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Il fallait festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé !” . La parabole s’achève sur cette parole du père. Nous ne savons pas si le fils aîné s’est rendu à la prière de son père et est entré dans la maison pour participer à la fête. Mais l’essentiel est dit : Dieu nous regarde comme ses enfants bien-aimés, qui que nous soyons et quels qu’aient été les désordres de nos vies à condition que nous gardions confiance en l’amour infini de notre Père. Il nous demande aussi d’avoir les uns pour les autres ce regard fraternel qui se réjouit de ce que peut recevoir l’autre. C’est pourquoi cette parabole pourrait s’intituler le vrai sens de la fraternité entre les hommes.

 

    Il est important de reprendre conscience de l’amour gratuit de notre Dieu et de ce que doit être un amour fraternel. En terminant, permettez-moi d’imaginer un autre scénario pour cette parabole : le père, ne se consolant pas de l’éloignement de son fils, inquiet pour sa santé et même sa vie, demande à son fils aîné de partir à la recherche de son frère cadet pour lui dire combien il est aimé et le ramener à la maison. Le frère aîné accepte par amour pour son père et pour son frère ; il retrouve son frère et ils reviennent tous les deux dans la maison du père pour la joie de tous. Mais n’est-ce pas exactement ce que nous dit notre foi de chrétiens : en effet, nous croyons que Dieu a envoyé le fils aîné, notre frère aîné, Jésus de Nazareth pour nous retrouver et nous dire que nous étions attendus dans la joie par un Père dont l’amour est infini.

 

… et à notre tour, nous avons aussi à nous projeter dans l’image du fils aîné invité à partir à la rencontre de nos frères et soeurs pour leur manifester la miséricorde du Père.

Publié dans Conférences

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