« Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit »

Publié le par Père Maurice Fourmond

Catéchuménat Saint Hippolyte

Samedi 22 Avril 2017

 

« Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit »

 

    Les chrétiens commencent leur prière par le signe de la croix avec cette invocation : « Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit ». C’est la spécificité chrétienne de croire en un Dieu qui est Père, Fils et Esprit. Mais d’où vient cette affirmation de la foi qui apparait si contraire à l’affirmation d’un seul Dieu, d’un Dieu unique et qui est considérée comme blasphématoire par nos frères juifs et musulmans ? Quel sens cette foi en un Dieu trinitaire a-t-elle pour notre vie de chrétiens ?

 

1 - Cette affirmation trinitaire trouve sa source dans l’Écriture, en particulier dans le Nouveau Testament.

    Nous n’avons pas « inventé » notre foi en un Dieu trinitaire, elle nous est révélée en particulier à travers ce que Dieu nous dit de lui dans l’Écriture.

 

    Déjà dans l’Ancien Testament, Dieu se révèle Père comme chez le prophète Jérémie qui fait ainsi parler Dieu : « Or moi, je m’étais dit : « Comment te placer au rang des fils et te donner une terre désirable, un splendide héritage, toute la splendeur des nations ? » Je disais : « Tu m’appelleras “Mon père”, tu ne te détourneras plus de moi » (Jr 3, 19). Ainsi Dieu se révèle comme Père.

 

    Un Dieu Fils est suggéré dans divers passages de l’Ancien Testament en particulier lorsque est annoncée la venue d’un serviteur de Dieu très particulier, par exemple dans le prophète Isaïe : «Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu qui a toute ma faveur. J’ai fait reposer sur lui mon esprit ; aux nations, il proclamera le droit. Il ne criera pas, il ne haussera pas le ton, il ne fera pas entendre sa voix au-dehors. Il ne brisera pas le roseau qui fléchit, il n’éteindra pas la mèche qui faiblit, il proclamera le droit en vérité » (Is 42, 1-3). Certes l’interprétation de ce passage du prophère est difficile, mais comment ne pas mettre cette parole en rapport avec celle qui fut adressée à Jésus lors de son baptême par Jean : «Tu es mon Fils bien aimé, il m’a plu de te choisir » (Mc 1,11). Et Saint Matthieu cite ce passage d’Isaïe à propos de Jésus : « Jésus leur défendit vivement de parler de lui. Ainsi devait s’accomplir la parole prononcée par le prophète Isaïe : Voici mon serviteur que j’ai choisi, mon bien-aimé en qui je trouve mon bonheur... Il n’éteindra pas la mèche qui faiblit » (Mt 12, 16-17). Ainsi derrière la notion de Serviteur, nous pouvons lire en filigrane le visage du Fils de Dieu.

 

    Enfin la présence de l’Esprit de Dieu est soulignée à plusieurs reprises dans l’Ancien Testament comme déjà dans le récit de la Genèse  où il est dit que le souffle de Dieu, la « Ruah Yahvé », autre nom de l’Esprit, planait sur les eaux (Gn 1,2). Ou encore chez le prophète Joël : « Alors, après cela, je répandrai mon esprit sur tout être de chair, vos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens seront instruits par des songes, et vos jeunes gens par des visions. Même sur les serviteurs et sur les servantes je répandrai mon esprit en ces jours-là » (Jl 3, 1-2). C’est l’Esprit de Dieu qui est répandu sur toute chair.

 

    Mais c’est surtout dans le Nouveau Testament que nous trouvons la révélation d’un Dieu qui est Père, Fils et Esprit. Déjà nous voyons que, lorsque Jésus parle de Dieu, il n’emploie jamais le mot «Dieu», mais toujours « Père », « mon Père ». Parmi de très nombreux exemples citons simplement en St Matthieu la prière de Jésus : « En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bienveillance» (Mt 11, 25-26). Ou encore dans sa douloureuse prière au jardin de l’agonie : « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! » (Mt 26, 39). De même lorsque ses amis lui demande de leur apprendre à prier, il leur recommande d’appeler Dieu « notre Père ». Jésus nomme Dieu « Père », car ce mot exprime ce que notre expérience la meilleure nous dit : un père est celui qui donne la vie, un père aime et soutiens ceux qu’il aime.

 

    Jésus tout au long de sa vie s’est considéré comme le fils de Dieu. Certes, la tradition juive voulait que le roi soit désigné comme fils de Dieu ; et donc ce qualificatif ne dit pas que celui qui porte ce nom soit Dieu. Toutefois lorsque les évangélistes ont rapporté ces deux moments essentiels dans la vie de Jésus que sont  le baptême et la transfiguration, la voix de Dieu désigne Jésus comme le fils bien aimé de façon toute particulière ; au baptême, nous l’avons déjà cité : « Il y eut une voix venant des cieux : « Tu es mon Fils bien-aimé ; il m’a plu de te choisir » (Mc 1, 11) ; et à la transfiguration : « Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! » (Mt 17, 5). Bien sûr cette désignation de Jésus comme Fils bien aimé n’a été comprise comme appliquée à la divinité de Jésus qu’après la résurrection. Les apôtres ont peu à peu compris qu’il ne s’agissait pas d’une filiation adoptive comme pour chacun de nous, mais d’une filiation inscrite dans l’être même de Dieu. N’est-ce pas ce que les apôtres ont compris de cette parole mystérieuse de Jésus rapportée par Saint Jean : « Mon Père et moi nous sommes un » (Jn 10, 30). C’est ce que dira le credo de Nicée-Constantinople : « Engendré non pas créé, de même nature que le Père ». Jésus par sa vie nous montre comment nous pouvons avoir nous-mêmes une relation filiale avec Dieu Père, en union avec le Fils unique. La relation filiale est la réponse la plus belle à l’amour d’un père et d’une mère ; elle comporte le respect, l’amour, la reconnaissance.

 

    Certes cette unité en Dieu du Père et du Fils n’a été comprise qu’après la résurrection de Jésus comme d’ailleurs la qualité de Jésus comme vrai Dieu et vrai homme. Il reste que pour les disciples de Jésus, penser Dieu, c’est le penser à la fois comme Père et comme Fils dans une relation d’amour parfait.

 

    Quant à l’Esprit Saint, Jésus va en parler à plusieurs reprises, manifestant ainsi un lien étroit de l’Esprit avec Dieu Père et avec le Fils. Même si nos frères orthodoxes pensent que l’Esprit est donné par le Père, « procède » du Père contrairement aux catholiques qui disent dans le credo qu’il « procède du Père et du Fils », il reste que Jésus dans l’évangile est montré comme participant au don de l’Esprit. Jean-Baptiste annonce que celui qui vient après lui, le Messie, baptisera dans l’Esprit Saint : « Moi, je vous ai baptisés avec de l’eau ; lui vous baptisera dans l’Esprit Saint » (Mc 1, 8). Dieu répondra à la prière de ses amis en leur donnant l’Esprit Saint ce que dit Saint Luc parlant de la prière de demande : « Combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! » (Lc 11, 13). Mais c’est en Saint Jean que l’Esprit Saint est particulièrement évoqué : «  Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous : l’Esprit de vérité » (Jn 14, 16) ; et quelques versets plus loin : « Mais le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit » (Jn 14, 26). Jean insiste sur cette action de l’Esprit de Dieu : « Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière. En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même : mais ce qu’il aura entendu, il le dira ; et ce qui va venir, il vous le fera connaître. Lui me glorifiera, car il recevra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. Tout ce que possède le Père est à moi ; voilà pourquoi je vous ai dit : L’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître » (Jn 16, 13-15). Après sa résurrection, c’est Jésus vivant qui donne l’Esprit Saint à ses amis : « Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint » (Jn 20, 22).  Peu à peu l’Esprit Saint sera considéré non pas seulement comme une « émanation » de Dieu mais comme participant à la nature même de Dieu.

 

    C’est ainsi que peu à peu les disciples de Jésus en sont venus à comprendre Dieu comme un amour partagé, comme des relations aimantes au sein d’un même être divin. Et il n’y avait pas d’autre mots plus justes pour désigner une relation d’amour que la relation de parents avec des enfants, d’un père ou d’une mère avec son fiIs ou sa fille. Toutefois, il a fallu plusieurs siècles pour arriver à définir cette foi trinitaire. Deux conciles ont finalement défini le Dieu chrétien comme Père, Fils et Esprit. C’est le concile de Nicée en 325 et le concile de Constantinople en 381. Le premier définit, contre l’arianisme la réalité de Jésus comme étant vraiment Fils de Dieu ; le second concile a voulu définir le divinité de l’Esprit. De ces deux conciles est née la profession de foi dite de « Nicée-Constantinople » affirmant la divinité du Père, du Fils « engendré, non pas créé, de même nature que le Père », et la divinité de l’Esprit Saint « avec le Père et le Fils, il reçoit même adoration et même gloire ».

 

2 - La cohérence d’un Dieu unique en trois personnes.

    Cette façon de voir Dieu comme Père, Fils et Esprit peut apparaître étrange au regard de ce Dieu unique défendu à travers tout l’Ancien Testament comme le souligne ce passage du Deutéronome que nos frères juifs récitent chaque jour ; c’est le fameux « shema Israël » : « Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force » (Dt 6, 4-5). Toutefois, il y a une magnifique cohérence de notre foi en un Dieu à la fois unique et pourtant Père, Fils et Esprit ; c’est même la seule façon de comprendre qui peut être le Dieu de Jésus Christ. Pourquoi ? Nous pouvons le comprendre à partir de l’affirmation qui court dans toute la Révélation et qui est clairement dite dans la première lettre de Saint Jean ; voici ce passage déterminant : « Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour vient de Dieu. Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour » (1 Jn 4, 7-8). C’est à partir de cette affirmation que Dieu est l’amour même que nous pouvons comprendre la cohérence et la beauté de notre foi trinitaire. En effet, si Dieu se définit vraiment comme étant l’amour même, on peut comprendre que cet amour doit se vivre dans des relations entre des personnes. C’est notre expérience à tous. L’amour suppose pour être vrai qu’il s’échange entre des personnes ; l’amour replié sur soi est un amour narcissique qui est sans valeur et source de mort. On peut donc en déduire logiquement, malgré la faiblesse des mots humains pour parler de Dieu, que Dieu vit des relations aimantes non seulement vis à vis des créatures que nous sommes, mais en lui même puisqu’il est amour de toute éternité. Si Dieu est à la fois amour et vie, il a en lui-même ces relations d’amour qui donnent la vie.

 

    Pour dire ces relations d’amour, nous n’avons que des mots humains qui ne peuvent pas rendre la réalité mystérieuse de Dieu. Nous n’avons pas trouvé pas de mots plus justes que les mots de père, mère, fils, fille pour désigner un don d’amour total. Ce sont ces mots qui vont être utilisés par Jésus et par ses disciples pour désigner les relations d’amour en Dieu.

 

    Ainsi Dieu Père est un Dieu qui donne la vie et l’amour, Dieu Fils est celui qui répond par un don et un amour total  à l’amour du Père et l’Esprit Saint est le lien qui les unit, il est cet amour partagé dans une vie éternelle. Ces trois termes pour désigner une relation aimante vraie sont d’une certaine manière confirmés par la psychologie qui, au sujet des relations d’amour parlent d’un « je », d’un « tu » et aussi d’un « nous » qui est le lien entre le je et le tu. De même si les croyants en Jésus n’ont pas trouvé d’autre terme que celui de « personne » pour définir les relations d’amour en Dieu, c’est qu’ils n’avaient pas d’autres mots pour signifier l’altérité des relations en Dieu sans pour cela en faire trois dieux. Il convient donc d’accepter le mystère de ces relations d’amour en Dieu sans qu’elles touchent l’unité de Dieu ; il n’ a pas trois dieux mais un seul Dieu vivant ces relations d’amour en lui-même. La foi chrétienne n’est pas un polythéisme même s’il est difficile de comprendre son véritable monothéisme.

 

3 - Créés à l’image de Dieu : une vie filiale et fraternelle

    En quoi cette vision chrétienne de Dieu change-t-elle radicalement notre relation avec Dieu et avec les autres humains ? C’est la vie de Jésus de Nazareth qui vient nous éclairer. 

 

    Si Dieu s’est fait homme c’est pour que chacun puisse être associé à l’intime de la vie divine, en étant associé au Fils bien aimé afin d’avoir une véritable relation filiale avec Dieu. Notre relation avec Dieu n’est pas seulement ni d’abord une relation de créature à créateur, mais une relation de fils, de fille avec un Père qui est toute tendresse. Dieu ne nous voit pas à travers nos faiblesses ni même notre péché, mais dans une affection et une tendresse que rien ne peut diminuer ou détruire. Cet amour totalement gratuit de Dieu est bien exprimé à travers la parabole dite du fils prodigue. Le père de la parabole ne voit dans l’homme qui revient affamé et repentant, que son enfant aimé infiniment. Il convient donc que nous puissions répondre à cet amour gratuit de Dieu par une confiance et un amour éperdus. Nous sommes en vérité les enfants de Dieu appelés à partager sa vie divine.

 

    Mais si nous sommes en vérité les enfants bien aimés de Dieu, si le Christ Jésus, le Fils par excellence est vraiment notre frère, alors c’est qu’il y a une réelle fraternité entre tous les frères et soeurs de Jésus, entre tous les humains. Être chrétien change radicalement le regard que nous portons sur les autres, connus ou inconnus, proches ou lointains. Une catéchumène me l’avait confié il y a longtemps : « Avant de connaître le Christ, le monde était divisé en deux ; il y avait ceux que j’aimais et les autres qui m’étaient indifférents. Maintenant je ne peux plus regarder les gens sans prendre conscience qu’ils sont mes frères et mes soeurs ».

 

    Vivre cette filiation divine et cette fraternité humaine est l’oeuvre de l’Esprit Saint. C’est l’Esprit Saint qui nous fait vivre en Dieu comme des fils et des filles bien aimés. C’est l’Esprit Saint qui fait naître et vivre un amour divin en chacun de nous, jusqu’au jour où nous serons totalement investis de cet amour divin et transfigurés pour toujours en Dieu.

 

Publié dans Conférences

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