Retraite diacres 2017 10ème exposé

Publié le par Père Maurice Fourmond

Joie, confiance et paix intérieure

    Je voudrais conclure notre retraite en échangeant sur ces fruits de l’Esprit Saint que sont la joie, la confiance et la paix, trois réalités qui se construisent les unes par les autres. Je pense en effet que vous êtes profondément heureux de l’appel que l’évêque vous a adressé en vu de recevoir le sacrement de l’Ordre comme diacre dans l’Église de Jésus Christ. Je souhaite que cette joie demeure et s’approfondisse.

1 - Accueillir la joie
    Il y a plus d’un an, j’avais animé une session pour un groupe de laïcs sur le bonheur. Nous avions longuement échangé sur ce qu’est le bonheur. Dans notre échange, nous nous sommes posé la question de la permanence du bonheur. Beaucoup pensaient que le bonheur permanent n’existe pas, mais qu’il y a seulement des moments de bonheur.  Beaucoup montraient la différence entre le bonheur et la joie, pensant que celle-ci n’était qu’un instant fugitif et comme un éclat passager.


    Lorsque nous réfléchissons sur ces trois notions, le plaisir, le bonheur et la joie, le premier est défini comme une satisfaction immédiate qui touche principalement nos sens : le plaisir d’un bon repas partagé avec des amis, le plaisir d’un corps à corps intime dans une étreinte sexuelle, le plaisir devant un beau paysage, en écoutant une merveilleuse musique. Tous les sens peuvent nous apporter un plaisir réel. Toutefois tout plaisir n’est pas le bonheur et il n’a pas nécessairement des conséquences constructives pour soi-même et pour les autres ; certains plaisirs peuvent avoir des conséquences désastreuses comme par exemple le plaisir dans la drogue ou dans l’alcool.

    Le bonheur est d’un autre ordre. Il comporte bien sûr du plaisir, mais un plaisir « modéré » ce que le philosophe paysan Pierre Rabhi appelle le « sobriété heureuse ». Dans le monde antique, les philosophes ont développé ce bonheur supérieur appelé « la sagesse ». La sagesse serait l’acceptation paisible de ce qui advient dans une vie après avoir fait le maximum pour trouver du bonheur. Il s’agit de s’accorder au réel. N’est-ce pas une façon de comprendre la parole attribuée à Saint Augustin : « le bonheur, c’est de continuer à désirer ce qu’on possède déjà ». N’est-ce pas Saint Augustin qui, dans sa quête de Dieu, entend le Seigneur lui dire : « « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais pas déjà trouvé ! ». La sagesse augustinienne consiste à comprendre que désirer le bonheur c’est désirer ce que nous possédons déjà c’est-à-dire désirer Dieu qui est déjà donné à chacun de nous. C’est un des nombreux paradoxes et de la foi et de toute vie humaine : nous avons à reconnaître ce que nous avons déjà et, en même temps nous avons à le chercher. C’est probablement ce qui fait le dynamisme et l’espérance de la recherche : nous cherchons et ce désir est déjà un socle solide pour avancer.

    À côté du plaisir et du bonheur, l’homme découvre un autre aspect de sa vie qui est la joie. Il la perçoit comme un instant merveilleux, car elle envahit la totalité de l’être au point que nous avons parfois le sentiment qu’elle nous « déborde » de toutes parts, qu’elle nous dépasse, qu’elle est plus grande que nous. Mais la joie n’est-elle qu’un « éclat » qui disparait au moment même où elle nous bouleverse ? La joie n’est-elle que passagère, ou au contraire est-il possible d’avoir une attitude intérieure joyeuse permanente, tout au long de sa vie? Personnellement, je le crois. 

    Cette joie intérieure qui va au delà de l’émotion est très différente du bien-être ou de l’optimisme ; elle est une orientation intérieure ouverte sur la transcendance. C’est ainsi que, en tous cas pour le chrétien, la joie ouvre notre vie sur une réalité qui nous dépasse. Il y a un lien entre le moment présent et ce qu’on appelle l’eschatologie, entre ce que Congar appelle « le déjà là et le pas encore ». Certains philosophes comme Saint Thomas d’Aquin au 13ème siècle ont cherché à concrétiser la notion de transcendance autour de trois mots appelés les transcendantaux qui sont le beau, le vrai et le bien, trois réalités qui désignent la transcendance, et pour le chrétien le Dieu de Jésus Christ. Ces trois réalités ne sont pas séparables et, devant chacune, on est en présence du divin, en présence de Dieu. Or il est possible de vivre dans la joie intérieure que nous procure l’accueil du beau, du vrai et du bien. Pour le chrétien, l’accueil de ces trois « transcendantaux » se confond avec l’accueil du Dieu de Jésus Christ, accueil qui peut habiter en permanence notre vie.

    C’est ainsi que nous pourrions définir la joie comme ce qui surgit en nous lorsque nous sommes en présence du beau, du vrai ou du bien. Je pense que nous avons tous fait cette expérience. La joie serait alors la jubilation intérieure au-delà d’une émotion sensible, qui naît directement d’une beauté, d’une vérité, d’une bonté qui nous saisit et nous dépasse. Cette joie intérieure qui nous accorde au divin nous met en relation avec un Dieu de Joie.

    Sans les opposer, nous voyons ainsi les différences entre le bonheur et la joie. Quand nous nous interrogeons sur ce que cherchent nos contemporains, les réponses sont diverses ; au-delà des petits bonheurs passagers, beaucoup disent qu’ils recherchent un bonheur durable qui ne soit entamé par aucun obstacle grave. D’autres peut-être plus « spirituels » voudraient avoir une joie intérieure durable. Dans ce cas, on définit différemment ces deux termes : on met dans l’aspect durable du bonheur un état de sérénité et de paix, alors qu’on met dans l’aspect durable de la joie une présence qui comble. N’est-ce pas la joie permanente de tous ceux qui aiment. Nous percevons la différence entre ces deux réalités : le bonheur étant une attitude personnelle de sérénité alors que la joie est vécue dans une relation avec quelqu’un. La joie, plus encore que le bonheur est vécue dans une relation, dans une présence qui comble. On pourrait dire encore que le bonheur se caractérise plus négativement et la joie plus positivement. Le bonheur serait ainsi l’absence de soucis, de difficultés, de larmes alors que la joie serait davantage l’accueil d’une certaine plénitude. Ainsi, la joie serait toujours de l’ordre de la transcendance c’est-à-dire en rapport avec une relation, et dans sa plénitude, relation avec Dieu. Cette joie serait déjà participation à la vie de Dieu, alors que le bonheur serait davantage dans l’ici-bas de nos vies, dans la dimension terrestre de notre existence.


    Tout ceci peut nous permettre de trouver du sens à cette affirmation : la joie se reçoit alors que le bonheur se construit. Nous avons tous fait cette expérience : on peut faciliter ou faire obstacle au bonheur. Par contre, la joie advient en dehors de nos efforts, car il est un don de Dieu.

    Il convient de vivre la joie comme d’ailleurs le bonheur, non pas dans un avenir plus ou moins proche, mais comme accessibles dans le réel de nos existences, dans le quotidien de nos vies. Nos vies sont traversées de multiples événements et de multiples rencontres. Ils vont faire surgir des réactions diverses selon l’impact de ces événements ou de ces rencontres. Ces réactions s’inscrivent dans ce qu’on appelle des sentiments : ce peut être des sentiments de joie ou de peine, des sentiments de colère ou de reconnaissance, des sentiments d’amour ou de haine. Un sentiment est ce que je ressens dans mon corps et dans mon âme lorsque je suis touché par quelque chose ou quelqu’un. Et le sentiment peut faire naître de la joie ou du bonheur comme aussi de la tristesse ou de la violence. C’est ainsi que la joie ou le bonheur s’inscrivent dans le réel de notre existence. Ce n’est pas toujours ce que nous souhaitons et pensons, et il nous faut prendre conscience que parfois nous plaçons la joie ou le bonheur dans l’imaginaire, nous rêvons un bonheur idéal loin de la réalité de nos vies. De même pour la joie, nous rêvons d’une joie imaginaire dont nous éprouverions les transports et l’excès. 

    Nous l’avons déjà dit, Dieu est réaliste, Dieu ne rêve pas notre vie. Dieu n’a pas une idée imaginaire de ma vie ; il n’a pas une vision imaginaire de ce que je devrais être, mais il voit ce que nous pouvons être et faire à tel moment de notre vie, compte tenu ce que nous sommes en réalité. Dieu ne nous voit pas comme un homme parfait, une femme parfaite car cela n’existe pas. Il nous voit dans le réel de nos existences, avec ce que la vie fait de chacun de nous en bon et en moins bon. En nous regardant, Dieu n’aime pas une image idéale mais il aime chacun de nous tels que nous sommes. Et c’est tels que nous sommes que Dieu peut nous ouvrir à sa joie.

    Notre vie spirituelle comme cette joie qui vient de Dieu peuvent se vivre avec nos limites et nos faiblesses. Nous avons parfois tendance à penser notre relation à Dieu, notre vie spirituelle hors de la réalité concrète de la vie. Certains opposent le réel et le spirituel, le spirituel se situant dans des zones éthérées, dans le ciel et non dans la réalité souvent mélangée de nos vies. C’est exactement le contraire de ce qui nous est révélé dans le mystère de l’Incarnation. Dieu s’est fait homme précisément afin de nous permettre de vivre une authentique vie spirituelle à travers le concret, le réel de nos vies. C’est bien ce que Jésus a vécu et ce qu’il nous a montré. C’est le risque d’une vie spirituelle de s’évader du réel en particulier dans la prière. Celle-ci n’est nullement détachée du concret de nos vies. Tout au contraire, la prière est un regard réaliste sur notre vie, comme Dieu est réaliste dans le regard qu’il porte sur notre vie à la lumière de son amour infini. Ce regard de Dieu sur nous, nous voit comme nous sommes réellement avec nos générosités et nos faiblesses. Toutefois, certaines visions de l’homme ont amené les chrétiens à majorer leur situation de pécheur devant Dieu. Je suis convaincu que Dieu nous regarde non pas comme des coupables, mais comme des enfants bien aimés ; je pense que des parents qui aiment voient leur enfant d’abord dans sa beauté avant de voir ses défauts. C’est notre beauté, notre dignité que Dieu voit d’abord en nous avant de s’attrister de nos faiblesses et de notre péché.

    C’est donc avec réalisme qu’il nous faut regarder la joie et le bonheur qu’il nous est donné d’accueillir. Certes, nos vies sont traversées par des événements qui ne dépendent pas de nous. Toutefois il y a diverses façons de vivre les événements qui surviennent. Je crois que ce n’est pas d’abord une question de tempérament plus ou moins optimiste ou pessimiste même si le tempérament joue ; je pense que c’est d’abord une question de choix. Vous connaissez certainement la parole du Deutéronome : « Vois ! Je mets aujourd’hui devant toi ou bien la vie et le bonheur, ou bien la mort et le malheur... Je mets devant toi la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie, pour que vous viviez, toi et ta descendance » (Dt 30, 15-19). Il y a donc, pour une part, une façon de vivre qui dépend de nous et qui facilite l’accueil et la naissance de la joie.

    Je viens d’employer le verbe « naître ». En effet la joie est de l’ordre d’une naissance. On peut faire cette remarque dans les deux sens : la joie est une naissance et à l’inverse, toute naissance provoque la joie. Jésus utilise cette expression pour nous parler de notre joie : « Amen, amen, je vous le dis : vous allez pleurer et vous lamenter, tandis que le monde se réjouira ; vous serez dans la peine, mais votre peine se changera en joie. La femme qui enfante est dans la peine parce que son heure est arrivée. Mais, quand l’enfant est né, elle ne se souvient plus de sa souffrance, tout heureuse qu’un être humain soit venu au monde. Vous aussi, maintenant, vous êtes dans la peine, mais je vous reverrai, et votre cœur se réjouira ; et votre joie, personne ne vous l’enlèvera » (Jn 16, 20-22). Généralement une naissance fait naître de la joie pour diverses raisons ; parce qu’un homme, une femme est venue à la vie ; parce que cette naissance est un événement merveilleux, une merveille qui provoque l’étonnement, l’admiration, la joie.
    Cette réalité de la joie comme naissance, nous invite à penser que la joie n’est pas si éphémère que cela. En effet quand un petit homme est né, les parents habituellement en éprouvent une grande joie, mais cette joie ne disparait pas lorsque les difficultés de la vie se présentent. C’est ainsi que la joie est reliée à l’amour et, lorsque l’amour demeure, la joie demeure même si la vie est plus rude et blessante.

2 - La confiance
    Nous en avons déjà parlé au cours de notre retraite. La confiance que Dieu attend de nous n’est autre que celle d’un enfant qui se sait aimé infiniment. Certes la notion de confiance peut s’employer dans des relations d’échanges commerciaux, mais dans ce cas il s’agit de s’assurer de l’honnêteté du partenaire et non d’une relation aimante. La confiance qui engage toute la personne dans une relation, ne peut naître que de la certitude d’être aimé par l’autre. Quand on se sait aimé par quelqu’un, tout en se situant non pas dans l’imaginaire mais dans la vérité de la fragilité humaine, cette certitude permet de garder cette confiance que celui qui m’aime va faire tout ce qui lui est possible pour que je me construise dans mon humanité la plus profonde.


    L’amour de Dieu pour moi, l’espérance de Dieu quant à l’accomplissement de ma vie, la confiance qu’il me témoigne, vont nourrir ma propre confiance. La confiance est un don réciproque : Dieu me fait confiance et je lui fait confiance. De la confiance que Dieu a vis-à-vis de moi va naître la confiance que j’ai en ce Dieu qui m’aime mais aussi va faire naître une réelle confiance en moi. Si Dieu me fait confiance comment je n’aurais pas confiance en moi pour réaliser la charge qui m’est confiée, pour conduire ma vie vers ma sainteté. Cette réciprocité de la confiance est un facteur de dynamisme pour notre vie comme aussi pour notre joie intérieure permanente.

    Jésus n’a cessé de provoquer la confiance chez tous ceux qui l’ont approché. Nous trouvons à plusieurs reprises dans l’évangile selon Matthieu un appel de Jésus à la confiance : « Et voici qu’on lui présenta un paralysé, couché sur une civière. Voyant leur foi, Jésus dit au paralysé : « Confiance, mon enfant, tes péchés sont pardonnés » (Mt 9, 2). Et un peu plus loin : «  Jésus se retourna et, la voyant, lui dit : « Confiance, ma fille ! Ta foi t’a sauvée. » Et, à l’heure même, la femme fut sauvée » (Mt 9, 22). Lorsque ses amis sont effrayés sur la mer déchaînée, Jésus leur rappelle que sa présence doit bannir toute peur et ouvrir à une totale confiance : «Vers la fin de la nuit, Jésus vint vers eux en marchant sur la mer. En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent bouleversés. Ils dirent : « C’est un fantôme. » Pris de peur, ils se mirent à crier. Mais aussitôt Jésus leur parla : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur ! » (Mt 14, 25-27). 


    Notre confiance est fondée sur la présence du Christ Jésus. C’est cette confiance qui donne l’audace d’entreprendre, c’est cette confiance qui assure la joie du coeur et c’est cette confiance qui procure la véritable paix.

3 - La paix intérieure
    La paix intérieure n’est pas la sérénité. La sérénité est d’ordre psychologique ; elle est un certain état de tranquillité, fruit d’une sagesse qui sait accepter les aléas de la vie sans trouble excessif. La paix va beaucoup plus loin : elle est la conscience paisible d’être à sa place, elle est la conscience paisible d’être en cohérence avec sa vie. Elle ne s’acquiert pas, elle est un don gratuit de l’amour de Dieu pour moi.

    De nombreux passages de l’évangile nous le rappelle en particulier en Saint Jean : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé. Vous avez entendu ce que je vous ai dit : Je m’en vais, et je reviens vers vous. Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie puisque je pars vers le Père, car le Père est plus grand que moi. Je vous ai dit ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent ; ainsi, lorsqu’elles arriveront, vous croirez » (Jn 14, 27-29). De ce passage nous pouvons retenir deux choses : d’une part que la paix est celle-là même qui habitait le coeur de Jésus. La paix de Jésus n’était pas une sérénité comme si rien ne l’atteignait. La paix de Jésus et justement cette conscience d’être à sa place, de réaliser ce pour quoi il est ici-bas. C’est pourquoi je pense que Jésus sur la croix était en paix ; il n’était pas serein car plein d’angoisse en raison de sa souffrance et de la proximité de sa mort. Mais il était en paix car il avait accompli tout ce qu’il était ; n’est-ce pas une de ses dernières paroles « Tout est accompli ». C’est la conscience douloureuse de la vérité de sa vie, d’avoir accompli sa vie qui était la source de sa paix, cette paix qu’il nous donne.

     D’autre part cette paix que Jésus nous donne, si elle ne nous préserve pas des difficultés de la vie, nous permet de dépasser la peur puisque cette paix de Jésus nous est sans cesse donnée grâce à la présence permanente du Christ vivant dans notre vie.


    Pierre, dans son discours chez le centurion Corneille, un païen, rappelle que la mission qu’il a reçu de Dieu consiste à annoncer la bonne nouvelle de la paix par Jésus Christ : « Alors Pierre prit la parole et dit : « En vérité, je le comprends, Dieu est impartial : il accueille, quelle que soit la nation, celui qui le craint et dont les œuvres sont justes. Telle est la parole qu’il a envoyée aux fils d’Israël, en leur annonçant la bonne nouvelle de la paix par Jésus Christ, lui qui est le Seigneur de tous » (Ac 10, 34-36). C’est cette bonne nouvelle que Saint Paul de cesse d’annoncer à ceux qui sont devenus disciples de Jésus : « Que le Dieu de l’espérance vous remplisse de toute joie et de paix dans la foi, afin que vous débordiez d’espérance par la puissance de l’Esprit Saint » (Rm 15, 13).


    C’est ce même souhait que je vous adresse au moment où vous allez recevoir la puissance de l’Esprit dans l’ordination diaconale.

Publié dans Conférences

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