Retraite diacres 2017 7ème exposé

Publié le par Père Maurice Fourmond

Une vocation plurielle ; le discernement ; l’équilibre de la vie

    Dans cette rencontre, je voudrais vous donner quelques éléments pour votre méditation et votre prière concernant l’aspect spécifique de votre vocation. En effet votre vocation a ceci de particulier qu’elle est quadruple : vous avez la vocation commune à notre humanité, comme chrétiens, vous avez la vocation commune à tout baptisé, vous avez une vocation particulière comme époux et épouses et vous avez par appel la vocation à un ministère diaconal donné par ordination. 


    Il n’est pas évident de tenir l’équilibre entre ces diverses vocations d’autant qu’elles exigent d’y consacrer du temps : entre la vie professionnelle, l’engagement dans la vie d’une communauté paroissiale, la vie conjugale et familiale, le ministère de diacre, comment concilier les exigences imposées par ces diverses vocations. Il se posera donc diverses questions concernant les priorités, l’équilibre personnel et familial et donc un dialogue entre époux ou encore avec les divers responsables civils ou religieux. Sans donner des solutions qui ne peuvent être qu’individuelles, essayons d’apporter quelques pistes.

1- Ces diverses vocations sont voulues par Dieu pour vous.
    Le terme de vocation dit bien le titre de ce paragraphe. Il vient du mot latin « vocare » qui signifie « appeler ». Ce que vous êtes est le fruit de divers appels qui, s’ils demandent évidemment pour la plupart une décision libre de votre part, ont cependant leur source en Dieu.


    Nous croyons déjà que notre condition humaine est pleinement reliée à Dieu selon le récit de la création de l’homme dans le livre de la Genèse : « Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. Qu’il soit le maître des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, des bestiaux, de toutes les bêtes sauvages, et de toutes les bestioles qui vont et viennent sur la terre. » Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme » Gn 1, 26-27. Selon ce récit, Dieu a voulu l’humain et même un humain qui soit à son image. Ainsi, devenir chaque jour plus humain correspond au désir de Dieu et à la présence efficace de son Esprit Saint en chacun de nous.


    Même si votre vocation de chrétien s’origine sans doute our la plupart à une décision de vos parents, il reste qu’à un moment il a fallu que vous disiez « oui » à cette relation d’amour avec Dieu. Mais c’est Dieu qui en a toujours l’initiative, il est le premier à vouloir cette relation aimante entre chacun de nous et lui. Notre oui est une réponse et non une initiative première. Ainsi devenir chaque jour disciple de Jésus, chrétien est un appel de Dieu qui nous regarde comme ses enfants bien aimés.


    Vous pourriez penser que Dieu n’a rien à voir avec votre vie conjugale. Et pourtant notre foi nous dit que notre capacité à aimer  en vérité a une seule source, ce Dieu qui, comme le dit Saint Jean dans sa première lettre est l’amour même. Si nous sommes créés à l’image de Dieu, cela veut dire qu’il y a en chacun de nous comme une trace divine qui est à l’origine de tout amour qu’il nous est donné de vivre.


    Quant à votre vocation diaconale, il est clair que si l’acceptation de chacun et de son épouse est requise, c’est l’appel de Dieu pour ce service qui vous a mis en route, appel qui, bien sûr doit être confirmé par l’évêque.


    De savoir que votre vie comme chacune de vos vocations s’originent en Dieu doit vous remplir de confiance. En effet si Dieu est à la source des choix que vous êtes amenés à faire, comme il est le Dieu fidèle, il ne vous abandonnera jamais.

2- Dieu est réaliste
    Devant ces vocations diverses et toutes enthousiasmantes, après avoir dit que Dieu en était la source, on peut s’interroger : Dieu a-t-il vu trop grand pour moi et les exigences pour vivre en vérité ces vocations ne dépassent-elles pas mes possibilités ? Ce que toute la Révélation nous enseigne, c’est que Dieu est réaliste, Dieu ne rêve pas nos vies. S’il nous demande quelque chose, il connaît à la fois les exigences pour accomplir ce qui est demandé et tout autant nos propres limites. Cela aussi ouvre sur la confiance. Cela ne veut pas dire que Dieu va arranger les choses en sorte que je puisse réaliser ce qui m’est demandé, mais le réalisme de Dieu m’amène à croire que ce qui m’est demandé ne peut pas dépasser les limites de mes possibilités. Certes je peux être responsables de tel ou tel échec mais seulement si j’ai fait tout ce qui m’était possible à moi et pas ce qui serait possible pour un autre ; et encore Dieu mesure mes possibilité à tel moment où la chose m’était demandée et non pas de façon intemporelle..


    Entendre l’appel de Dieu comme ce qui m’est possible à tel moment, me demande d’avoir une certaine connaissance de moi. « Connais-toi toi-même » était une devise inscrite au frontispice du Temple de Delphes que Socrate avait repris à son compte. Cette expression de la sagesse antique est toujours de mise aujourd’hui et pour chacun de nous. Sans nécessairement recourir aux psychologues ou aux psychanalystes, il est important de tenter d’avoir une  juste appréciation de nos possibilités. Deux dangers nous guettent : soit de majorer nos possibilités par une certaine méconnaissance de nous-mêmes, soit à l’inverse de sous estimer nos capacités dans un repli frileux. Une juste appréciation de ce qui nous est possible va demander non seulement un regard sur soi mais les conseils de personnes de confiance qui souvent ont une meilleure connaissance de nous que nous-mêmes. Nous reviendrons tout à l’heure sur ce point à propos du discernement, mais disons un mot des priorités de nos choix. 

3- Les priorités
    Que voulons-nous dire par là ? Nous employons souvent le mot « prioritaire » pour désigner, au milieu de plusieurs tâches, celle qui nous semble devoir être accomplie en premier. Les raisons peuvent être différentes : on parle d’urgence ou d’importance, de primaire ou secondaire. Il faut savoir que l’urgence implique le facteur temps alors que l’important implique d’abord un facteur de sens en vue de la croissance de la vie. Mais il peut arriver que les deux l’urgent et l’important soient en contradiction l’une par rapport à l’autre. En effet l’urgent peut nous apparaître non comme un choix mais comme une nécessité ; dans ce cas, la décision s’impose et l’important est remis à plus tard. Ainsi, spontanément, nous avons tendance à donner la priorité à l’urgent même au détriment de l’important en oubliant que l’important a une portée décisive pour notre vie au-delà de ce qui est « nécessaire ». Souvent le choix est difficile car les circonstances font pression sur l’urgent au détriment de l’important.


    D’autre part, le choix d’une priorité se heurte à divers éléments qu’il n’est pas toujours évident de repérer avec exactitude. On peut nommer parmi les éléments qui vont intervenir dans le choix d’une priorité : le poids de la parole donnée, les exigences d’un contrat dont les termes nous obligent en conscience, la dimension affective car le sentiment, l’attachement, le désir interviennent dans la décision sur ce que nous allons faire, ajoutons aussi l’influence du milieu, de notre environnement qui, consciemment ou non imprègne notre propre jugement.


    Chacune des vocations que nous avons énumérées tout à l’heure comporte un certain ombre d’exigences pour être remplies convenablement. Parmi ces exigences, il en est une particulièrement déterminante, c’est le facteur temps ; nos journées n’ont que 24 heures et il convient  de mesurer le temps que demande la réalisation de la charge demandée. Pour donner un exemple, je lisais un article concernant le temps du travail professionnel. L’auteur montrait qu’il ne fallait pas seulement considérer le temps effectif du travail pour produire la tâche demandée, mais le temps de transport pour se rendre au lieu du travail ; il ajoutait un troisième paramètre qu’il appelait « le temps de récupération de la force de travail » autrement dit lorsqu’on arrive le samedi trop fatigué, le week-end se passera seulement à récupérer afin de repartir le lundi à peu près en forme. L’auteur montrait en particulier que, pour la vie familiale ce temps de récupération empêchait la disponibilité nécessaire à une vie familiale heureuse.


    L’expérience montre qu’il peut y avoir un conflit entre l’engagement dans le mariage et l’engagement dans le diaconat. Il est clair qu’en cas de conflit c’est l’engagement dans le mariage qui est prioritaire en tous cas qui exige d’être réfléchi en couple. En effet, la vocation diaconale se greffe sur la vocation du mariage qui est première. Encore faut-il s’entendre sur le mot priorité ; celle-ci n’est pas dans la totalité du don de soi en sorte que nous serions donné totalement dans une vocation et partiellement dans une autre, nous sommes donnés tout entier dans ces deux vocations. La priorité s'entend dans l’emploi du temps lorsqu’un conflit se manifeste.


    Il est clair qu’il conviendra souvent de trouver des compromis, une situation idéale n’existant pas. Il faudra toutefois réviser régulièrement ces compromis qui risquent sans que nous en ayons conscience de n’être plus pertinent et de compromettre l’équilibre de la vie de chacun des membres du couple. Je l’ai souvent vérifié à travers les dialogues avec des coupes par exemple lorsque la vie professionnelle, ou pour les diacres la vie ecclésiale prend tellement de temps que l’épouse a le sentiment d’être délaissée : tu n’es jamais  la maison ; on ne se voit plus... Il ne faut pas attendre pour prendre le temps d’en parler en sachant que l’acceptation d’une situation, tout à fait profonde et sincère au départ, peut évoluer et peut devenir inacceptable à certains moments. La parole est alors indispensable pour retrouver le juste équilibre ainsi que les priorités parfois oubliées.

4- Le discernement
    Discerner consiste à reconnaître entre diverses propositions celle qui est la meilleure pour soi et pour les autres, celle qui nous fait grandir devant Dieu en humanité et en sainteté. C’est un exercice difficile tant des éléments, étrangers à la rigueur et à la vérité exigées par le discernement, viennent perturber notre juste appréciation. Saint Ignace a beaucoup écrit sur le discernement spirituel qui est défini : « se décider pour Dieu, à partir d'une conscience éclairée, au souffle de l'Esprit, pour suivre la volonté de Dieu : le meilleur pour nous ». On trouve la pensée d’Ignace dans ses « exercices spirituels ». Le discernement se distingue de l’intuition même si celle-ci est un élément important ; Thomas d'Aquin affirme qu'en chacun de nous, la conscience a l'intuition de ce qui est bien, de ce qui est bon ; mais ce mouvement premier peut être altéré par les nombreuses circonstances qui touchent notre vie.


    Rappelons les conditions d’un juste discernement. Le discernement commence par ce qu’on appelle le « lâcher prise ». Le discernement n’est pas possible si notre esprit et notre coeur sont envahis par toute sortes de préoccupations. Le silence intérieur est de rigueur pour voir « clair » ; il s’agit de laisser l’eau de notre vie se décanter en sorte que les impuretés, les poussières se déposent pour laisser apparaître l’eau dans sa pureté. Ce moment essentiel est déjà l’oeuvre de l’Esprit Saint. C’est l’Esprit Saint qui nous introduit dans son propre silence en sorte que la lumière de ce silence va l’emporter sur toutes les préoccupations inutiles qui nous embarrassent.


    Vient ensuite le silence attentif c’est-à-dire ce silence qui est disponibilité, ouverture, accueil d’une vérité que peut-être nous ne soupçonnons pas, cachée par l’agitation de notre vie. La disponibilité intérieure nous ouvre sur l’imprévu mais dans la confiance : je suis prêt, à cause de l’Esprit de Dieu, à entrer dans une perspective à laquelle je n’avais pas pensé, qui me dérange dans mes habitudes passées ; je l’accepte en me fiant à la force de l’amour de Dieu pour moi, en son espérance pour moi, en cette certitude que Dieu sera toujours sur ma route à mes côtés afin de me donner la force nécessaire pour avancer et pour assumer ce qui arrive en bon ou en plus difficile.


    Il convient alors de passer en revue les diverses possibilités qui s’offrent à nous mais en essayant de laisser notre subjectivité de côté  pour être le plus objectif possible.

 5- La prière comme élément capital pour tout discernement
    La prière est un élément constitutif du discernement spirituel car elle nous situe sous la lumière de l’Esprit Saint. La Bible nous montre de nombreux exemple où le croyant demande à Dieu de pouvoir discerner et avoir qu’on peut appeler la sagesse. Ainsi Dieu bénit Salomon qui demande le don du discernement (1 Rois 3) : « À Gabaon, pendant la nuit, le Seigneur lui apparut en songe. Dieu lui dit : « Demande ce que je dois te donner. » Salomon répondit : « ... Donne à ton serviteur un cœur attentif pour qu’il sache gouverner ton peuple et discerner le bien et le mal ; sans cela, comment gouverner ton peuple, qui est si important ? » Cette demande de Salomon plut au Seigneur, qui lui dit : « Puisque c’est cela que tu as demandé, et non pas de longs jours, ni la richesse, ni la mort de tes ennemis, mais puisque tu as demandé le discernement, l’art d’être attentif et de gouverner, je fais ce que tu as demandé : je te donne un cœur intelligent et sage, tel que personne n’en a eu avant toi et que personne n’en aura après toi ». Jésus lui-même (en Luc 12, 54-57) invite avec vigueur ceux qui l'écoutent à discerner le temps dans lequel ils sont et à juger par eux-mêmes de ce qui est bon : « S’adressant aussi aux foules, Jésus disait : « Quand vous voyez un nuage monter au couchant, vous dites aussitôt qu’il va pleuvoir, et c’est ce qui arrive. Et quand vous voyez souffler le vent du sud, vous dites qu’il fera une chaleur torride, et cela arrive. Hypocrites ! Vous savez interpréter l’aspect de la terre et du ciel ; mais ce moment-ci, pourquoi ne savez-vous pas l’interpréter ? Et pourquoi aussi ne jugez-vous pas par vous-mêmes ce qui est juste ? ». 


    Il est donc important de demander à Dieu la lumière et la force de son Esprit afin de voir les choses avec le regard de Dieu. Pour cela, la fréquentation des Écritures, la contemplation assidue de la vie de Jésus nous permettent d’éclairer nos propres choix par l’exemple du Christ, "folie pour le monde et sagesse de Dieu", et d'adopter progressivement sa manière de voir, de sentir, de juger, d’agir.


    C’est la prière qui nous donne à la fois la lumière nécessaire pour discerner ce qui est juste, ce qui va nous construire et construire l’autre et en même temps la confiance,  la confiance en Dieu indispensable pour surmonter nos peurs comme aussi pour trouver l’énergie nécessaire afin d’accomplir ce qui sera décidé.

6- Le choix, la décision
    C’est alors qu’il nous faut décider c’est-à-dire à la fois choisir et mettre toute sa volonté, son énergie, sa persévérance en vue de réaliser ce que nous avons choisi. La décision est un acte important ; elle tranche, en renonçant à d’autres façons de faire qui avaient été envisagées. Le choix est comme la vérité plus tranchante qu’une épée. Mais le renoncement nécessaire n’est pas traumatisant car le oui du choix est tout rempli d’un amour authentique source de joie et de paix.


    Deux choses sont importantes à propos de la décision. La première est que, dans la mesure où nous avons cherché honnêtement la vérité, où nous avons placé en Dieu toute notre démarche, où nous avons eu l’humilité de demander conseil, alors on peut dire que notre décision a été prise avec une conscience éclairée et que c’était la seule décision juste. Il ne faut donc pas avoir des regrets lorsque les difficultés surviennent ni de culpabilité lors d’un échec car notre décision prise était la seule juste.
    
7- L’accompagnement et la remise en cause régulière
    Conscient de nos fragilités et de la difficulté à vivre l’appel de Dieu, de même que vous avez été accompagnés durant les trois années de formation, il est important  de continuer en couple a être accompagné sur votre route. L’accompagnement se situe à deux niveaux : d’une part avoir l’intelligence et l’humilité de demander conseil comme ensuite d’en tenir compte, mais aussi d’accepter régulièrement de placer sa vie sous le regard d’un tiers.


    Nous sommes des êtres de relation, en relation les uns avec les autres. Dans les moments où il convient de faire des choix, il est indispensable de prendre conseil auprès de personnes en qui nous avons confiance. Déjà le jugement établi à plusieurs a plus de chance d’être un bon jugement, mais aussi nous pouvons penser que ceux qui ne sont pas impliqués aussi directement que nous ont plus d’objectivité dans leur jugement que nous-mêmes. Quant à un accompagnement plus permanent, nous savons que nos vies évoluent, que les circonstances extérieures viennent modifier notre rapport à la réalité des choix antérieurs, avec des moments d’incertitude et de brouillard ; dans ces moments, il est utile là encore d’avoir un regard extérieur qui dépasse les émotions que nous pouvons avoir lesquelles altèrent notre perception des choses.

8- La paix intérieure
    Un dernier mot sur la nécessité de garder la paix intérieure dans les tensions que provoquent les multiples exigences de nos vocations et les aléas de la vie. Deux pistes. L’une est la cohérence et l’autre la confiance. 


    La cohérence c’est cet effort permanent d’accorder ce que j’ai voulu, ce que je crois avec mes décisions et mes actes. La cohérence n’est pas autre chose que cet effort de vérité qui doit traverser sans cesse nos vies. Quant à la confiance, c’est dans la certitude de la présence aimante de Dieu que cette confiance s’inscrit. Nous savons que Dieu n’abandonne jamais son ami surtout lorsque les circonstances sont plus difficiles ou douloureuses. 


    Cette paix intérieure n’est nullement la sérénité mais le sentiment d’être là où nous devons être, à notre place. Elle est le fruit d’un accord entre moi et le Seigneur, entre moi et moi. Elle permet d’avancer sans crainte appuyés sur le roc de l’amour infini de Dieu.
    
 

Publié dans Conférences

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