"La vie fraternelle" 5/5 Abondance 2019

Publié le par Père Maurice Fourmond

Abondance 2019

5e jour

 

 

Le bonheur d’une vie fraternelle

 

Il me semble qu’il convient de terminer notre parcours sur la vie fraternelle en soulignant que la fraternité est source de bonheur.

 

Ce bonheur était déjà annoncé dans les psaumes en particulier ce psaume très bref 133 (132) : « Oui, il est bon, il est doux pour des frères de vivre ensemble et d'être unis ! On dirait un baume précieux, un parfum sur la tête, qui descend sur la barbe, la barbe d'Aaron, qui descend sur le bord de son vêtement. On dirait la rosée de l'Hermon qui descend sur les collines de Sion. C'est là que le Seigneur envoie la bénédiction, la vie pour toujours ». Ces quelques mots expriment la visée des relations entre les humains et ce que nous pouvons éprouver lorsque nous construisons une vie fraternelle.

Essayons de décliner un peu la première phrase du psaume. D’où vient cette bonté, cette douceur de la vie fraternelle ? Je pense qu’il y a plusieurs raisons même si elles n’ont pas la même importance ni la même valeur. Nous avons déjà dit que la vie ensemble découle déjà d’un besoin primordial qui est la survie de l’espèce. Nous savons que tout seul il est difficile de survivre dans un univers où les prédateurs sont multiples. La vie à plusieurs est une exigence fondamentale et le désir que cela se passe le mieux possible habite chaque participant. Il y a donc une raison vitale à cette vie ensemble, et quand ce besoin se vit dans l’harmonie, la vie ensemble malgré les difficultés, est une vie heureuse. L’expérience montre que l’effort pour une vie ensemble heureuse s’accompagne d’un résultat positif, d’un peu de bonheur, alors que l’abandon de la fraternité détruit l’individu comme le groupe. S’il est vrai que l’être humain va défendre ce qui lui tient à c œur, l’histoire montre que les conflits sanglants pour résoudre un désaccord sont toujours destructeurs. La parole du Pape Paul VI à l’ONU « Jamais plus la guerre » ne fait qu’exprimer un désir humain fondamental, même si cette conviction partagée par beaucoup, a énormément de mal à se mettre vraiment en place sur l’ensemble du globe.

 

Mais lorsque, à des échelles plus petites, de couples, de groupes d’amis, d’une société restreinte, la fraternité est vraiment vécue, même avec des hauts et des bas, les personnes découvrent une joie et un bonheur profonds. S’efforcer de vivre une vie fraternelle est donc une expérience humaine heureuse : on est bien ensemble, on a le sentiment de vivre en vérité, que notre vie a un sens, une visée heureuse. Nous l’avons tous éprouvé à un moment ou à un autre et cela nous suffit pour penser la valeur incomparable d’une vie vraiment fraternelle. Est-ce que, ce que nous vivons ici à Abondance, n’en est pas un signe parlant ?

 

Certains rassemblements manifestent cette joie d’une communion intime entre tous les participants et je ne parle pas simplement des rassemblements chrétiens, mais des rassemblements autour d’une belle idée commune ou une émotion partagée comme ce que nous avons pu constater dans ces rassemblements après un drame qui a touché un certain nombre de personnes plus largement que les liens de solidarité et le lien affectif. Je pense aux réactions après les attentats en France ces dernières années, les rassemblements spontanés, les personnes qui ne se connaissent pas et qui s’embrassent... Même s’il faut être prudent pour parler des réunions familiales à l’occasion d’une célébration de baptême, de mariage ou d’obsèques, combien de fois les participants ont profondément ressenti une réelle fraternité dans ces moments heureux ou douloureux et qui apportaient de la joie, une véritable paix due à la vérité des liens établis par ce rassemblement.

 

Une autre raison du bonheur de la fraternité, c’est que dans la fraternité, nous vivons et éprouvons la puissance de la vie. Un de mes amis s’exprimant sur le sens qu’il donnait à la « résurrection », disait que pour lui, la résurrection, c’est cette force de la vie qui se transmet, qui donne du sens à l’existence humaine, cette force de la vie qui est belle et bonne. La fraternité manifeste la puissance de la vie malgré et avec les difficultés et les épreuves qu’il nous faut vivre.

 

La force de la vie fraternelle se manifeste autant dans le malheur que dans le bonheur. Particulièrement dans les circonstances douloureuses, un soutien fraternel est un immense réconfort. On dit que les vrais amis se reconnaissent au moment de l’épreuve. Cela est vrai car c’est particulièrement à ce moment que la parole biblique : « qu’as-tu fait de ton frère » est provocante. Si la compassion est un des aspects les plus pertinents de la vie de Jésus, le frère universel, c’est bien pour nous dire que la compassion est un aspect essentiel de la vie fraternelle. Nous en avons parlé hier.

 

Qui d’entre nous n’a pas fait cette expérience de sentir palpiter la vie dans les gestes fraternels ? Lorsque deux amis se retrouvent après une absence plus ou moins longue, et qu’ils ont ces gestes profonds de l’amitié en s’embrassant, en se prenant dans les bras, en se donnant la main, ils éprouvent alors dans ces gestes, non seulement l’amitié qui les unit, mais comme un souffle de vie qui vient les toucher. Dans ces moments-là, la vie est heureuse et ce bonheur trouve sa source dans les gestes fraternels qui l’expriment.

 

La joie de la vie fraternelle est exprimée dans ce que les chrétiens appellent la communion des saints. Derrière ce terme et dans précisément la relation qui s’établit entre tous les amis de Dieu, nous inscrivons la joie de Dieu partagée entre tous. Dans la communion profonde entre tous ceux que Dieu aime, il y a quelque chose de la joie de Dieu qui est partagée. Nous trouvons dans les évangiles des échos à cette joie : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi, j’ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour. Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » (Jn 15, 9-12). Comme l’affirme Jésus si nous nous aimons de cet amour fraternel dont Jésus nous a montré l’exemple, alors nous aurons une joie et même une joie parfaite.

 

La vie fraternelle est un bonheur car elle participe à la construction d’un corps, le corps du Christ. C’est le bonheur de toute création. Quand un artiste a achevé une belle œuvre, il ressent et aussi ceux qui la contemple une joie profonde, c’est la joie qui nait de ce que quelque chose est sortie de nos mains. C’est la joie de toute naissance, c’est la joie de toute œuvre créatrice, c’est la joie du créateur. La construction du corps du Christ participe à la création de l’humanité selon le désir de Dieu. Si nous croyons qu’en Jésus nous a été révélé l’homme selon Dieu, si nous croyons que cette création est une source de joie pour Dieu, alors chaque fois que nous essayons de vivre à l’exemple de cet homme selon Dieu, chaque fois, nous participons à la création. Comme membre du corps du Christ, nous participons modestement mais réellement à la création de cette humanité nouvelle dont parle saint Paul : « Il s’agit de vous défaire de votre conduite d’autrefois, c’est-à-dire de l’homme ancien corrompu par les convoitises qui l’entraînent dans l’erreur. Laissez-vous renouveler par la transformation spirituelle de votre pensée. Revêtez-vous de l’homme nouveau, créé, selon Dieu, dans la justice et la sainteté conformes à la vérité. » (Ep 4, 22-24). Cet homme nouveau, « créé, selon Dieu, dans la justice et la sainteté » l’est comme membre du corps du Christ, promu à la vie éternelle et source de la joie de Dieu. La vie fraternelle construit ce corps du Christ et ouvre la participation à la joie même de Dieu.

 

La vie fraternelle est un don qui est offert à chacun. Nous avons déjà dit que la vie fraternelle n’est pas acquise au départ, elle se construit dans la pensée chrétienne avec l’aide de l’Esprit de Jésus. En ce sens, elle est un don de Dieu. Le fondement de la fraternité pour le croyant est la paternité de Dieu. Ainsi, de même que la fraternité de sang est un don des parents qui ont engendré des enfants reliés entre eux par le lien du sang, de même tous les êtres humains sont engendrés spirituellement par Dieu d’où la ressemblance originelle. C’est pourquoi, la vie fraternelle est à la fois l’objet d’une prière d’intercession et en même temps une action de grâce. Elle est une prière d’intercession car pour vivre comme un membre du Christ vivant, il nous faut surmonter, comme nous l’avons dit dans les jours précédents, de nombreux obstacles. Il nous faut le soutien de l’Esprit fraternel, un soutien que nous pouvons demander avec cette certitude de foi que cet Esprit ne nous manquera pas. Prière aussi d’action de grâce pour le bonheur que nous apporte notre effort pour vivre une vie fraternelle.

 

La vie fraternelle est une source de bonheur car elle me fait exister. La fraternité donne du poids à la vie de chacun des frères et sœurs. Le lien fraternel me fait exister. L’amour qui se manifeste dans la vie fraternelle donne la vie. Certes on arrive tant bien que mal à vivre avec des relations superficielles, matérielles, mais l’expérience nous montre que le don réciproque d’un amour, d’une amitié vraie apporte paix et joie intérieure. La vie fraternelle est portée par un amour authentique et cet amour est source à la fois de vie et de joie profonde. Alors, cela vaut la peine de travailler à faire naître une vie fraternelle au moins dans le cercle de ceux qui me sont proches d’une manière ou d’une autre pour donner du sens à la vie et à la joie qu’elle apporte.

 

Enfin, la vie fraternelle est porteuse d’une immense espérance, l’espérance d’un accomplissement de ce qui nous unit les uns les autres. Les derniers chapitres de l’Apocalypse terminent le livre sur la vision heureuse d’un univers transfiguré : « Puis j’ai vu un ange debout dans le soleil ; il cria d’une voix forte à tous les oiseaux qui volent en plein ciel : « Venez, rassemblez-vous pour le grand repas de Dieu » (Ap 19, 17). Et deux chapitres plus loin : « Alors j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés et, de mer, il n’y en a plus. Et la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle, je l’ai vue qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari. Et j’entendis une voix forte qui venait du Trône. Elle disait : "Voici la demeure de Dieu avec les hommes ; il demeurera avec eux, et ils seront ses peuples, et lui-même, Dieu avec eux, sera leur Dieu. Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur : ce qui était en premier s’en est allé." Alors celui qui siégeait sur le Trône déclara : "Voici que je fais toutes choses nouvelles." » (Ap 21, 1-5).

 

Saint Paul exprime cette espérance heureuse dans sa lettre aux chrétiens de Corinthe : « Alors, tout sera achevé, quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu son Père... Car c’est lui qui doit régner jusqu’au jour où Dieu aura mis sous ses pieds tous ses ennemis. Et le dernier ennemi qui sera anéanti, c’est la mort... Et, quand tout sera mis sous le pouvoir du Fils, lui-même se mettra alors sous le pouvoir du Père qui lui aura tout soumis, et ainsi, Dieu sera tout en tous ». (1 Co 15, 24-28)

 

« Dieu sera tout en tous » est, pour le chrétien l’accomplissement heureux de la vie fraternelle. La relation fraternelle trouvera une parfaite réalisation quand, après le passage de la mort physique, le lien fraternel sera transfiguré dans la plénitude de la vie en Dieu. C’est alors que les liens qui nous unissent auront une plénitude que nous ne pouvons pas imaginer, apportant en même temps la plénitude de la joie et la réalisation d’une parfaite unité. Car alors la prière de Jésus telle que Jean l’a rapportée au chapitre 17 de son évangile sera pleinement accomplie : « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi » (Jn 17, 21).

 

Alors, dès maintenant, travaillons à notre bonheur et au bonheur de l’humanité en construisant humblement, mais avec persévérance, la vie fraternelle désirée par Dieu dans le Christ Jésus.

Publié dans Conférences

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