Trois paroles dans le récit de la réanimation de Lazare

Publié le par Père Maurice Fourmond

Matinée Spirituelle

Samedi 24 août 2013

Méditation sur trois paroles du récit de la réanimation de Lazare Jean 11, 1-46

 

Introduction.

    Nous aurons trois parties dans notre matinée spirituelle autour de trois parole de ce grand évangile au chapitre 11 de Saint Jean sur la réanimation de Lazare. D’abord  la remarque douloureuse des deux soeurs : «Si tu avais été là». Elle nous interroge sur le silence de Dieu. Une seconde partie sur le dialogue entre Marthe et Jésus avec la question de la confiance : «crois-tu cela ?». Enfin Jésus devant le tombeau de Lazare et ses dernières paroles «Déliez-le et laisse-le aller», nous renvoyant au coeur de toute vie chrétienne et de toute évangélisation.

 

1- « Si tu avais été là !»

    Cette parole de Marthe et de Marie résonne comme un reproche  : Tu étais notre ami, l’ami de Lazare, tu as été reçu chez nous et quand ton ami est malade tu ne bouges pas. Plusieurs questions nous viennent à l’esprit à nous aussi. Pourquoi Jésus ne s’est pas déplacé quand il a appris que Lazare était gravement malade ? Son amitié pour Lazare et ses soeurs est-elle mise en cause ? Même s’il savait ce qu’il allait faire, comment  la souffrance de ses amis ne l’a-t-elle pas ébranlé ? Que penser du silence de Dieu dans nos vies ?

    Cette question du silence de Dieu nous touche tous. Pourquoi cette apparente absence de Dieu aux moments difficiles de notre vie ? Je pense qu’il faut éliminer plusieurs fausses réponses. D’abord il est clair que Dieu n’est pas «indifférent» à la souffrance des hommes autrement il n’aurait jamais choisi de partager notre condition humaine avec toutes les souffrances qu’elle a comportées en Jésus de Nazareth. Éliminons aussi cette affirmation qu’on entend parfois : «Dieu le permet pour un plus grand bien». C’est une parole pour moi inadmissible quand on est plongé dans le malheur. Dieu ne permet pas que ses enfants souffrent. Alors, où est Dieu ?

    Je voudrais développer plusieurs points. Le premier concerne l’action de Dieu. Lorsque nous méditons sur l’Incarnation qui est au coeur de notre foi de chrétiens, nous voyons bien que Dieu n’est pas venu pour modifier les lois de ce monde, que ce soient les lois naturelles ou que ce soient les lois des sociétés humaines. À priori, il aurait pu le faire et changer les règles de ce monde. Il ne l’a pas fait, Jésus s’est moulé dans l’histoire des hommes et dans l’histoire du monde avec toutes les limites de cette histoire. L’action de Dieu dans cet acte fou qu’est l’Incarnation n’a pas modifié les règles du monde, cette action est tout autre. C’est à l’intérieur du coeur de l’homme que Dieu agit et encore dans un respect absolu de sa liberté. Ainsi la méditation de l’Incarnation vient nous éclairer sur ce qu’est l’action de Dieu dans notre univers ; en effet l’Incarnation nous parle d’un rapport difficile mais essentiel à l’action de Dieu : sa présence et son absence. En Jésus de Nazareth, Dieu est à la fois présent et absent : présent dans cet homme Jésus semblable à tous les hommes de Nazareth. Mais aussi absent en ce sens que la présence divine est invisible et ne se manifeste pas à l’oeil des contemporains de Jésus.

    Revenons à notre récit : «Si tu avais été là». Jésus n’était pas présent visiblement à Marthe, Marie et leur frère Lazare malade, mais nous pouvons dire qu’il était présent par cet amour divin qui l’habitait  et qui rejoignait sans cesse ses amis de Béthanie. Certes, pour les amis de Jésus comme pour nous, cette présence est mystérieuse et dépasse la perception de nos sens. C’est pourquoi ce mystère ne diminue pas le sentiment d’une absence douloureuse. Aussi, nous pouvons dire nous aussi devant le silence de Dieu : «Si tu avais été là». Mais notre foi nous dit cette présence qui ne modifie pas les lois de l’univers et donc n’empêche pas le mort comme pour Lazare, mais qui peut remplir notre coeur d’espérance et de paix. En résumé nous pouvons dire que Dieu ne donne pas d’autres biens que lui-même, il ne peut donner que lui-même, c’est la grande leçon de l’Incarnation. Mais en se donnant, Dieu donne tout ce qu’il peut donner.

 

    La seconde chose que je souhaite développer brièvement concerne l’efficacité de cette présence invisible de Dieu. Il est clair que la présence de l’amour divin dans notre malheur n’apporte pas une consolation sensible. On pourrait dire que cet amour divin entre à l’intérieur de nos propres sentiments, à l’intérieur de notre peine comme pour la faire sienne. Il entre à l’intérieur de notre souffrance, à l’intérieur de l’absurdité et de l’injustice ressenties fortement dans le malheur. Et donc, de l’intérieur et sans que nous en ayons conscience, du moins dans la plupart des cas, cet amour opère un certain changement en nous comme fortifiant notre force et notre courage afin de porter notre douleur. C’est souvent longtemps après que nous prenons conscience de l’efficacité de cette présence et de ce qu’elle a opérée en nous. C’est la découverte de Jacob après le songe de la nuit : «Dieu était là et je ne le savais pas» (Ge 28, 16). C’est le même cheminement qui est rapporté par Luc à propos des deux disciples se rendant à Emmaüs après la mort de leur maître. C’est seulement après qu’ils découvrent l’efficacité d’une présence qu’ils n’avaient pas reconnue. Cette efficacité s’est manifestée par un changement du coeur : «Notre coeur n’était-il pas brûlant tandis qu’il nous parlait sur la route». C’est après qu’ils reconnaissent une présence qui a changé leur coeur au point qu’ils repartent aussitôt vers la ville qu’ils avaient fuie. Là encore nous avons un très bel exemple de l’agir de Dieu dans nos vies.

 

    Une dernière réflexion à propos de la réaction de Marthe et de Marie. Nous n’avons pas à nous sentir coupables des reproches que nous pouvons faire à Dieu. Pourquoi ? Parce que Dieu peut comprendre que nos reproches ne sont que l’expression de notre souffrance, une souffrance que Dieu respecte infiniment. Jésus comprenais tout à fait la réaction de Marthe pleine de souffrance après la mort de son frère et sa parole n’est nullement un reproche pour les propos de Marthe, mais tout au contraire une parole d’espérance. Dieu ne s’est pas senti blessé devant la révolte de Job accablé de malheurs, il a même cette parole étonnante s’adressant aux faux amis de Job : «Vous n’avez pas parlé de moi avec droiture comme l’a fait mon serviteur Job» Jb 42, 7. Jésus ne s’indigne pas du reproche de Marthe car il en saisit la source qui est seulement la douleur de Marthe après la mort de son frère et l’amitié qu’elle porte à Jésus. Il essaie seulement de transformer ce reproche en confiance. C’est ce que nous verrons tout à l’heure.

 

2- «Crois-tu cela ?»

    Jésus vient d’affirmer à Marthe que son frère ressuscitera. Marthe comme tous les juifs d’obédience pharisienne, croyait à une résurrection à la fin des temps. Jésus déplace cette vision en affirmant : «Moi, je suis la résurrection et la vie... crois-tu cela ?». Il est probable que Marthe ne comprenait pas grand chose aux paroles de Jésus : les paroles étranges de son ami dépassaient son entendement. C’est pourquoi sa réponse ne va pas porter sur le contenu des affirmations de Jésus, mais sur la personne de son ami en lui disant sa confiance. Voilà bien ce qui nous est demandé.

    Nous nous sentons proches de Marthe. Dieu est pour nous un mystère dont nous ne saisissons qu’une toute petite partie et encore celle qui peut éclairer sa relation avec nous et celle que nous pouvons avoir avec lui. Comme je le disais tout à l’heure, Dieu est à la fois caché et manifeste, il est à la fois l’infiniment loin et l’infiniment proche. Nous avons à vivre ce paradoxe qui est au coeur de notre vie de chrétien. Même si c’est notre dignité de chercher sans cesse à comprendre ce Dieu que Jésus nous a révélé, si nous devons nécessairement tenter de mettre des mots sur le mystère révélé, il reste que la réalité de Dieu nous échappe : nous aimons celui que nous ne connaissons pas, sauf qu’il est un amour infini touchant chacun de nous. C’est pourquoi notre prière consiste souvent à dire à Dieu : «Toi Dieu que je ne connais pas et pourtant que je veux aimer».

    C’est ainsi qu’il nous est demandé d’avoir la même attitude que celle de Marthe qui répond à Jésus non pas «je crois ce que tu dis», mais «je crois en toi», ce qui suppose, bien sûr, une adhésion mais obscure à sa parole.

    C’est donc sur la confiance que je voudrais insister à la suite de Marthe. Lorsque nous avons, avec honnêteté, cherché à approfondir le message de Jésus et même si certaines lumières, parfois éblouissantes, nous habitent, nous nous heurtons au mystère et nous sommes bien souvent obligés de rester sur une interrogation inquiète. C’est alors qu’il nous faut redire à Dieu notre confiance : «Je ne comprend que peu de choses du mystère infini de ton amour, mais je suis sûr que tu m’aimes et cela me suffit. Je suis sûr que tu m’accompagnes à chaque instant de ma vie me donnant la force d’avancer sur mon chemin fragile. Je sais que tu ne m’abandonneras pas mais que tu m’ouvriras toujours tes bras de Père». Cette confiance est plus grande que toutes nos incompréhensions et que nos doutes. C’est elle qui nous tient debout et nous permet d’avancer.

    La confiance est le maître mot de l’amour. Elle ne dit rien des moyens qui pourraient être employés pour justifier cette confiance. En fait, elle n’a pas besoin de justification, elle est une forme d’abandon paisible à quelqu’un dont on ne doute pas de l’amour. La confiance ne dit rien de ce qui qui va arriver, elle s’en remet à celui que nous aimons et qui nous aime. La confiance est donc une sorte de don total de soi-même. C’est la parole de Jésus avant de mourir : «Père, entre tes mains, je remets ma vie».

 

 

3- «Déliez-le et laissez-le aller»

    Ce sont les dernières paroles de Jésus dans cet évangile. Si le mot «déliez-le» se comprend dans le contexte de ce mort vivant apparu encore couvert des bandelettes de la mort, cette parole a une portée bien plus large et touche chacun de nous aujourd’hui.  Comme Jésus le dit dans la synagogue de Nazareth : «Aujourd’hui, cette parole s’accomplit pour vous».

    En effet, qui d’entre nous n’a pas un besoin de libération, qui ne se sent pas lié par de multiples attaches dont certaines nous empêchent de vivre. Aussi la première interrogation que pose la parole de Jésus est : «Quels sont, dans ta vie, les liens qui t’aliènent, t’empêchent de t’ouvrir à ta vraie vie, t’enferment dans un isolement mortel ?» À cette question, personne ne peut répondre à notre place, c’est à chacun de nous d’avoir l’honnêteté et le courage de repérer ces obstacles à notre véritable accomplissement. C’est un travail intérieur de vérité qui n’est pas toujours facile mais tellement libérateur. Ce travail ne doit pas nous enfermer dans la culpabilité ou le mépris de nous-mêmes. Il est au contraire une ouverture sur la lumière, celle qui nous aide à réaliser qui nous sommes vraiment et donc de trouver cet accord intérieur source de paix.

    Toutefois, la parole de Jésus s’adresse à ceux qui entourent Lazare («déliez-le») comme si cette «libération» ne pouvait être le seul travail individuel, mais un travail accompli avec le secours d’autrui. Aussi, pour moi, aujourd’hui, quel est cet «autrui» capable de me délier de mes chaînes ? Le premier est certainement le Christ lui-même. Il est le «libérateur» comme l’affirme toute l’Écriture à travers ses paroles et ses actes. Il est le libérateur par sa victoire sur le mal et sur la mort. C’est pourquoi il convient de nous tourner en priorité vers Jésus pour être «déliés» de nos chaînes d’esclaves.

    Nous ne pouvons pas entrer dans tout ce qui nous montre la puissance libératrice de Jésus. Relevons seulement quelques exemples particulièrement signifiants. Parmi de très nombreux récits notons les rencontres de Jésus avec la Samaritaine (Jean 4), avec l’aveugle né (Jean 9), avec le possédé au pays des Géraséniens (Marc 5), avec la femme adultère (Jean 8). Qui ne voit le rôle à la fois discret et essentiel que Jésus a joué dans sa rencontre avec la Samaritaine. Les chaînes de cette femme sont manifestées peu à peu  en particulier son exclusion sociale, sa vie  affective, et Jésus va l’aider à voir clair dans sa vie et cette lumière de vérité va la libérer.

    De même avec l’aveugle né. Nous voyons au départ un mendiant qui va peu à peu retrouver à la fois sa dignité, et sa liberté comme le montre son dialogue avec les pharisiens qui refusent d’accepter ce que Jésus a fait pour lui. Le possédé dont nous parle Marc est décrit avec des chaînes qui ne l’empêchent pas de se montrer comme un fou furieux. La rencontre avec Jésus fait tomber ses chaînes le rend à la vie sociale comme un être raisonnable qu’il est devenu. Quant à la femme adultère, Jésus a délié la double chaîne qui l’empêchait de vivre vraiment : l’accusation meurtrière des pharisiens et l’impasse dans laquelle sa vie était enfermée : «va et désormais...»

    Notons aussi que cette libération n’est pas possible sans notre concours et notre propre décision comme le montre l’exemple du jeune homme riche qui est reparti tout triste. Lui aussi avait la possibilité de prendre conscience des chaînes qui enfermaient sa vie, c’était sa propre richesse, les grands biens qui occupaient son espace vital. Mais cet homme pourtant vertueux n’a pas eu le courage de rompre avec ces liens malgré la présence et l’amour du Christ pou lui.

 

    L’autre mot de Jésus est : «laissez-le aller». À travers ce mot il me semble que Jésus souligne la liberté de l’homme nouveau. Saint Paul l’affirme avec beaucoup de force. Nous lisons dans la lettre aux Galates : «Lorsque les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son Fils ; il est né d'une femme, il a été sous la domination de la loi de Moïse pour racheter ceux qui étaient sous la domination de la Loi et pour faire de nous des fils. Et voici la preuve que vous êtes des fils : envoyé par Dieu, l'Esprit de son Fils est dans nos coeurs, et il crie vers le Père en l'appelant « Abba ! ». Ainsi tu n'es plus esclave, mais fils, et comme fils, tu es héritier par la grâce de Dieu» Ga 4, 4-7. Cette liberté des fils de Dieu fait que, même si l’appartenance à une communauté est essentielle, même si l’appartenance à des groupes est une condition de vie pour l’être humain, il reste que cette liberté que Jésus nous a acquise fait qu’un chrétien n’est inféodé à aucun groupe pas même religieux. Il garde cette liberté de conscience qui est sa règle ultime.

 

    Nous ne savons pas ce qu’a été par la suite la vie de Lazare. Lazare devra passer par sa véritable mort humaine pour partager la plénitude de la vie éternelle de Dieu. L’évangile ne nous dit rien de la vie de Lazare sauf qu’il a été amené à partager  avec Jésus l’hostilité des chefs religieux qui cherchaient à le faire mourir en tant que témoin important de la messianité de Jésus. : «Les grands prêtres dès lors décidèrent de faire mourir aussi Lazare, puisque c’était à cause de lui qu’un grand nombre de Juifs les quittaient et croyaient en Jésus» Jn 12, 10. La liberté que Jésus nous a acquise risque de ne pas plaire à tout le monde et pourtant c’est notre dignité de filles et fils de Dieu. Alors, rendons grâce à Dieu et acceptons le risque de notre liberté spirituelle.

Publié dans Conférences

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