Entrer dans le temps liturgique de l’Avent.

Publié le par Père Maurice Fourmond

Pères du Saint Esprit

30 rue Lhomond 75005

Le 30 Novembre 2013

Récollection

 

Entrer dans le temps liturgique de l’Avent.

 

 

    Ce dimanche, avec toute l’Église, nous entrons dans le temps liturgique de l’Avent. Je voudrais au cours de cette journée méditer avec vous ce que peut apporter pour notre vie spirituelle, ce temps qui précède la célébration de la naissance de Jésus. Comme vous le savez, le mot «Avent» vient du latin adventus : venue, arrivée, avènement. Quel est ce Dieu qui «vient» à ma rencontre ? Le temps de l’Avent recouvre les quelques semaines qui précédent Noël, quatre dans la tradition de l'Église latine. C’est le pape Grégoire 1er, nommé aussi Grégoire le Grand qui a instauré ce temps liturgique par analogie au quadragésime du Carême, aussi dans certaines traditions, on nomme l'Avent « Quadragésime de Saint-Martin » ou le « Petit Carême ».

    Je voudrais développer quelques aspects de ce temps liturgique et je réfléchirai avec vous ce matin sur :

I• L’Avent est le temps de la promesse

    1) Les éléments d’une promesse :

        un contenu, un engagement et une fidélité qui se prouve

    2) La promesse que Dieu nous fait

    3) Notre attitude. : attendre et veiller

 

Et cet après midi :    

II• L’Avent est l’annonce d’une naissance

    1) La naissance d’un Dieu fait homme

    2) Mais aussi ma propre naissance.

 

III• Trois grands personnages du temps de l’Avent

    1) Le personnage de Jean-Baptiste

    2) L’attente de Marie

    3) L’attente de Joseph

 

 

 

I - L’Avent est le temps de la promesse

 

1 - Les éléments d’une promesse.

    La Révélation que Jésus nous a faite, nous dit que l’être de Dieu comme l’être de l’homme est essentiellement un être en «relation». Le Dieu des chrétiens n’est pas, comme le dit Jean-Noël Bezançon, un Dieu solitaire. Parce que notre Dieu est l’amour même selon les mots de Saint Jean dans sa première épitre, il comporte nécessairement en lui-même des relations aimantes. Un véritable amour est don et accueil d’un autre, autrement il est narcissique c’est-à-dire mortel. C’est ainsi qu’avec nos mots humains nous parlons de Dieu comme Père, Fils et Esprit. Mais le livre de la Genèse nous affirme que nous sommes tous «à l’image de Dieu». Ce qui veut dire que nous ne pouvons pas nous définir en dehors de relations, et, pour être à l’image de Dieu de relations aimantes.     Une relation aimante ne peut pas se construire sans une certaine assurance donnée de part et d’autre, sans une parole qui dise un engagement vis à vis de l’autre, bref sans une promesse. C’est ainsi que deux personnes qui s’aiment vont exprimer cet amour à travers un rite public qui, pour les chrétiens a nom «sacrement du mariage». Au cours de ce rite, les futurs époux promettent de s’aimer fidèlement, de se soutenir l’un l’autre et cela jusqu’à la fin de leur vie.       

 

    Il en est de même pour Dieu. Puisque le Dieu de Jésus est l’amour même, il va dire son amour pour l’humanité à travers une promesse. Toute l’histoire de l’humanité est l’histoire d’une promesse de Dieu réalisée peu à peu, promesse qui s’appuie sur une fidélité, la fidélité de Dieu.

 

    Mais qu’est-ce qu’une promesse ? Dans une promesse, il y a plusieurs éléments : il y a l’objet de la promesse c’est-à-dire son contenu, qu’est-ce que je promets ; ensuite la promesse implique un engagement en faveur d’une personne ou d’un groupe, je donne ma parole ; cet engagement se manifeste dans une fidélité qui se prouve. 

 

    Si je promet quelque chose à quelqu’un, c’est pour sa joie, pour son bonheur, c’est pour lui permettre de grandir dans son humanité. Encore faut-il «tenir» sa promesse car une promesse engage. Quel serait le sens d’une promesse si celui qui a promis ne se sentait pas engagé par sa parole, s’il ne se sentait pas tenu de réaliser sa promesse. C’est pourquoi l’engagement est toujours un risque. Nous qui avons engagé notre vie au service de l’évangile, nous savons bien et vous en avez fait plus d’une fois l’expérience. C’est le risque de la promesse, c’est le risque de l’engagement. Nous aurons l’occasion d’y revenir, mais pendant ce temps de l’Avent, nous pouvons prendre conscience du beau risque que nous avons pris à la suite du Christ et réaffirmer notre promesse, notre engagement.

 

2 - La promesse que Dieu nous fait.

    Reprenons ce que nous avons dit de la promesse en l’appliquant à ce que la Révélation nous dit de Dieu.

 

    Lorsque nous relisions l’histoire de la Révélation de Dieu, nous voyons que la trame de cette histoire c’est une promesse de Dieu qui se dit et s’actualise peu à peu, d’abord en une Alliance, puis de façon définitive par l’Incarnation de Jésus de Nazareth. Le temps liturgique de l’Avent nous rappelle toute la force de cette promesse divine. La promesse de Dieu à l’humanité ne concerne pas autre chose que l’accomplissement de l’homme et de l’humanité tout entière. Cet accomplissement plénier de notre humanité s’appelle notre «divinisation». Nous devenons pleinement homme dans la mesure où nous sommes peu à peu divinisés par l’action de l’Esprit Saint. Mais cette divinisation nous dépasse et nous comprenons quelle distance existe entre ce à quoi nous sommes destinés et notre capacité à l’atteindre et à l’accomplir. Je ne peux ni connaître, ni réaliser cet accomplissement par mes seules forces. Je ne peux devenir «qui je suis» tout seul. Cette incapacité à connaître et à réaliser l’accomplissement de ma vie me dit à la fois ce qu’il me manque pour être moi-même et en même temps m’ouvre sur une réalité inimaginable. En effet, cet accomplissement selon le désir de Dieu se réalise bien au delà de ce que l’homme pouvait espérer, désirer, réaliser puisqu’il s’agit d’une parfaite divinisation qui nous accorde et nous associe à la vie même de Dieu. 

 

    Ainsi, la promesse de Dieu ouvre à chacun et à l’humanité un avenir qui dépasse toutes les espérances humaines. Il s’agit de devenir «qui je suis». Mais ce que je suis ne m’est ni clairement connu, ni accessible par moi-même. La connaissance et la réalisation de «qui je suis» est l’objet à la fois d’une Parole et d’un Agir de Dieu. Mais, pour être connue et vécue par l’homme, pour respecter la liberté humaine, cette Parole de Dieu devra être accessible à notre intelligence et perceptible à nos sens humains.

 

    Cette Parole et cette action qui vont permettre à notre humanité de se réaliser, vont se déployer dans l’histoire de l’humanité comme aussi dans mon histoire personnelle. Cela va se faire selon trois modalités différentes, mais convergentes.

 

    La première est la Parole d’amour de Dieu adressée à toute personne humaine dès le premier instant de sa vie. Ce regard d’amour de Dieu laisse comme une trace dans le coeur de chacun. Cette trace est toute chargée de la promesse du Seigneur, celle d’associer chacun à sa propre vie divine ; dans ce premier regard, Dieu nous assure qu’il ne nous abandonnera jamais. Chacun, croyant ou non, peut repérer cette trace d’amour à travers sa propre capacité à aimer dont le chrétien comprend que cela lui est donné gratuitement. J’ai en moi depuis le premier instant de ma vie comme une trace de l’amour de Dieu pour moi et je reconnais cette trace chaque fois que j’essaie d’aimer en vérité. Je la reconnais en moi mais aussi chez les autres en tout acte d’amour vrai. Rappelons-nous cette merveilleuse parole de Jean dans sa première lettre : «Tous ceux qui aiment sont enfants de Dieu,et ils connaissent Dieu. Celui qui n'aime pas ne connaît pas Dieu, car Dieu est amour» 1 Jn 4, 7-8. C’est pourquoi toute annonce de l’évangile, toute évangélisation commence par révéler à l’autre qu’il est déjà habité par un amour infini, par un amour divin.

 

    La seconde façon dont la promesse de Dieu m’est communiquée est la Parole d’Alliance adressée à un petit clan qui devient le peuple d’Israël.  Cette Alliance a été vécue particulièrement à travers la geste d’Abraham dans le livre de la Genèse et la geste de Moïse dans le livre de l’Exode. Vous connaissez par coeur les grands textes de l’Alliance de Dieu en voici un parmi d’autres : «Lorsque Abram eut atteint quatre-vingt-dix-neuf ans, le Seigneur lui apparut et lui dit : « Je suis le Dieu tout-puissant ; marche en ma présence et sois parfait. J'établis mon Alliance entre moi et toi, et je multiplierai ta descendance à l'infini. » Abram tomba la face contre terre et Dieu lui parla ainsi : « Voici l'Alliance que je fais avec toi : tu deviendras le père d'un grand nombre de peuples. Au lieu d'être appelé Abram, comme jusqu'ici, ton nom sera désormais Abraham, car je fais de toi le père d'un grand nombre de peuples... J'instituerai mon Alliance entre moi et toi, et après toi avec ta descendance, de génération en génération ; ce sera une Alliance perpétuelle par laquelle je serai ton Dieu, et celui de ta descendance après toi» Gn 17, 1-7. Cette Alliance entre Dieu et l’humanité fut à nouveau exprimée à travers la geste de Moïse. Là encore, nous connaissons ce récit de Moïse au Sinaï : «Et maintenant, si vous entendez ma voix et gardez mon Alliance, vous serez mon domaine particulier parmi tous les peuples - car toute la terre m'appartient - et vous serez pour moi un royaume de prêtres, une nation sainte. Voilà ce que tu diras aux fils d'Israël. » Moïse revint et convoqua les anciens du peuple, il leur communiqua tout ce que le Seigneur avait prescrit. Le peuple tout entier répondit d'une seule voix : « Tout ce qu'a dit le Seigneur, nous le ferons. » Ex 19, 5-8.

 

    Enfin la troisième Parole essentielle et définitive qui me dit la promesse de Dieu envers moi comme pour l’humanité tout entière est l’Incarnation en Jésus de Nazareth : «Au commencement était la Parole... et le Verbe, la Parole s’est faite chair» Jn 1, 1...14. C’est l’Incarnation qui manifeste toute la profondeur du lien que Dieu souhaite vivre avec nous. C’est l’Incarnation en Jésus de Nazareth qui me dit «qui je suis». Je développerai la réalisation de cette promesse de Dieu cet après midi en montrant que le temps de l’Avent est l’annonce d’une naissance, de ma naissance.

 

    Ainsi la promesse de Dieu est de nous ouvrir sa propre vie divine afin que nous puissions participer à cette éternité de vie et de bonheur qui émane de Dieu lui-même.

 

    Dans sa promesse, Dieu s’engage et le prouve. Toute promesse sérieuse engage celui qui promet. Dieu ne fait pas exception. C’est une question de vérité. Or Dieu est le vrai par excellence, aussi, si nous avons la certitude spirituelle, la foi, que Dieu nous a promis de partager sa vie, nous croyons par le fait même que Dieu s’est engagé totalement, autrement il ne serait pas Dieu. Dieu a pris le risque d’une promesse car ce qu’il promet, ce ne sont pas des choses, mais lui-même. Il prend ainsi le risque d’un refus. Il suffit de relire la Bible, l’Ancien Testament mais plus encore le Nouveau pour toucher du doigt le risque que Dieu a pris par amour pour l’humanité. C’est le risque de l’amour. 

 

    Nous en avons tous fait l’expérience au cours de notre ministère comme missionnaires. Quel est celui d’entre nous qui, à un moment de sa vie n’a pas éprouvé la tentation du découragement devant l’inefficacité de son travail pastoral : on s’est donné à fond pour le service de l’évangile et nous constatons que les fruits ne sont pas à la hauteur de nos efforts. Plus encore il nous arrive parfois comme on dit d’être mal récompensés de notre travail apostolique. La reconnaissance n’est pas toujours en proportion du don de notre personne, de l’amour que nous avons prodigué. Nous l’acceptons paisiblement car c’est le risque de tout amour donné. Nous sommes dans un monde où la gratuité est peu prisée ; on cherche le rendement. Or l’amour vrai ne fonctionne pas comme cela tout au contraire il donne, espérant certes un retour, mais il donne, même si le retour ne se fait pas. Dieu donne gratuitement d’une façon encore plus parfaite que nous. Dieu sait que l’humanité est inconstante et que l’infidélité est constitutive de sa vie. C’est bien ce que l’apôtre Paul écrivait aux Romains : «Le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas, je le fais» Rm 7, 19. Et pourtant, Dieu ne reprend jamais sa promesse. 

 

    Dieu a pris le risque de notre infidélité et pourtant sa fidélité ne se dément pas. Comment ne pas citer ces trois magnifiques paraboles en Saint Luc au chapitre 15, celle de la brebis égarée, de la pièce de monnaie perdue, et celle du fils prodigue. Je vous laisse méditer à quel point Dieu s’est engagé vis à vis de chacun de nous. Juste un mot sur la première parabole de la brebis égarée. Qu’est-ce que souhaite le berger ? C’est que sa brebis perdue retrouve le bien-être du bercail ; c’est le bien de la brebis qui intéresse le berger. De même ce qui intéresse Dieu, ce n’est pas lui, c’est nous. C’est ainsi que nous pouvons comprendre les mots «perdu» et «retrouvé». Nous sommes souvent perdus, loin du lieu de notre paix intérieure, ce lieu qui est notre propre coeur, le bercail où habite l’Esprit, là où nous pouvons trouver le véritable sens de notre vie. Et nous sommes perdus au sens où nous ne savons plus «qui nous sommes» vraiment et cette confusion intérieure est source de malaise et de tristesse. 

 

    Mais Dieu qui est l’amour même ne se console pas de nous voir «perdus». Comme le bon berger de la parabole, il part à notre recherche jusqu’à ce qu’il nous ait retrouvé. Ce n’est pas pour lui qu’il vient à notre secours, c’est pour nous. Nous avons parfois une idée fausse de Dieu. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas lui, c’est nous, notre bonheur et notre accomplissement. Cette recherche de Dieu de la brebis égarée que nous sommes si souvent a comme seul but que nous puissions nous retrouver : retrouver le lieu de notre identité qui est d’être les enfants de Dieu et nous retrouver nous-mêmes dans une cohérence intérieure, source de paix. Alors, aujourd’hui et pendant ce temps de l’Avent reprenons conscience que Dieu nous a promis sa vie divine et qu’il ne cesse de nous chercher sur nos routes fragiles afin de nous prendre sur ses épaules et nous ramener à l’espérance et à la paix intérieure. 

 

3 - L’attente de celui qui a reçu une promesse. 

    Venons-en maintenant à notre propre attitude devant la promesse de Dieu en ce temps de l’Avent. Nous pouvons la définir en deux mots : attendre et veiller.

 

a) Attendre. L’attente est une notion qui n’a pas bonne presse aujourd’hui. Notre société vit sous le régime du “tout, tout de suite”. C’est l’obtention immédiate de biens de consommation favorisée par le crédit ; c’est la société du téléphone portable qui exige d’être joignable partout et à tout moment ; c’est l’univers de l’informatique avec ses merveilleuses possibilités mais aussi ses exigences de réponse immédiate ; on ne comprend pas qu’un e-mail envoyé à 8 heure 54 ne reçoive pas de réponse à 8 heure 55 ; c’est l’information qui fait qu’un événement même minime à l’autre bout du monde nous est communiqué dans l’instant ; ce sont tous les moyens de communication qui raccourcissent et l’espace et le temps. Certes les raccourcis ont souvent du bon, nous ne vivons plus heureusement à l’époque des diligences et des chandelles, les moyens modernes permettent de résoudre plus rapidement des situations douloureuses qui autrefois demandaient des mois voir des années. Il reste que le souci de rentabilité, de rapidité  risque de faire l’impasse sur des réalités essentielles pour notre vie.

 

    En effet, l’attente est une attitude humaine fondamentale. La naissance d’un petit homme va exiger environ neuf mois de gestation, neuf mois tellement importants, essentiels, nécessaires pour se préparer à accueillir celui ou celle à qui on a donné la vie. Ainsi, la nature vient sans cesse nous rappeler qu’il faut du temps pour que la graine devienne un arbre, qu’il faut du temps pour que le fruit mûrisse. Certes, dans certains domaines, les progrès techniques permettent de raccourcir certains délais, mais ce qui est essentiel ne se construit pas en un jour, mais demande qu’on lui laisse le temps. Même si aujourd’hui, les personnes qui éprouvent un sentiment amoureux brûlent les étapes en décidant trop rapidement de vivre ensemble, beaucoup comprennent, après coup, que l’attente fait mûrir et grandir le désir, donnant plus de sens et plus de poids au don de soi, à l’amour.

 

   Si ce qui est essentiel demande du temps, et quoi de plus essentiel que notre construction humaine et spirituelle. Saint Paul parle de “l’homme intérieur” qui se renouvelle chaque jour (2 Co 4, 16). Cet homme intérieur, c’est ce que nous avons de plus précieux, c’est ce qui donne du sens à notre vie, ce qui nous fait vivre, ce pour quoi nous nous battons chaque jour. L’extérieur, l’apparence restent relatifs, superficiels s’ils ne sont pas habités de l’intérieur, s’ils ne sont pas l’expression de notre profondeur. C’est cet essentiel, cet important qui va demander du temps ; or nous sommes impatients. Ainsi, la première condition de l’attente, c’est la patience. La parabole du figuier stérile nous le rappelle : le maître pense résultat, rentabilité : “À quoi bon garder cet arbre qui ne produit pas de fruit et épuise le sol”. Et c’est le gérant, lui qui “aime” la terre, qui aime son arbre, qui va invoquer la patience : “Maître, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche tout autour et que je mette du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir” Lc 13, 6-9. Soyons patients envers nous-mêmes ; il est important de s’aimer, condition de l’amour du prochain.

 

    Un autre mot de l’attente est la confiance qui va nous permettre de surmonter les découragements devant nos fragilités, nos défaillances, notre faiblesse, notre péché.

 

    La confiance n’est nullement cette attitude béate où on attend les bras ballants que les choses se fassent toutes seules. La confiance, c’est entendre cette voix intérieure qui murmure : “Tu peux”. La confiance, c’est cette énergie intérieure qui nous permet d’avancer, de nous relever. C’est ce qui habite le petit d’homme qui fait ses premiers pas en titubant et qui tombe. Mais il entend la voix de sa mère qui lui dit : “Aller, relève-toi et viens vers moi ; je sais que tu peux le faire”. Habité par la confiance que lui donne la parole de celle dont il se sait aimé, l’enfant va trouver la force de se relever et de faire encore quelques pas. C’est exactement ce que Dieu nous dit tous les jours et particulièrement dans le sacrement de la réconciliation : relève-toi, je sais que tu peux, je te fais confiance.

 

   Bien souvent dans l’évangile, Jésus fait appel à la confiance de ceux qui l’approchent. Dans le récit de la femme souffrant d’une hémorragie depuis douze ans et qui, par derrière, touche le vêtement de Jésus, Matthieu continue : “Mais Jésus, se retournant et la voyant, dit : Confiance, ma fille ! Ta foi t’a sauvée” Mt 9, 22. Il est intéressant de souligner le lien entre la confiance et la foi. Les deux mots ont d’ailleurs la même racine ; “fides”, foi, confiance. Dans le récit précité on peut s’interroger sur le sens de la remarque de Jésus : “Confiance, ma fille” ; en effet, la femme avait déjà une grande confiance puisque Jésus affirme que sa confiance, sa foi, l’a sauvée. Peut-être Jésus entend lui dire et nous dire : aie confiance en moi, mais aussi garde ta confiance, persévère. 

 

    La persévérance est en effet un autre mot de l’attente. Nos vies sont toutes marquées par des moments où les choses vont bien et d’autres moments où les choses sont plus difficiles, plus obscures. Vient alors la tentation d’abandonner, de baisser les bras, un sentiment amer d’inutilité voire l’impression d’avoir raté sa vie. C’est le “à quoi bon” qui bascule dans la perte de l’espoir. On a alors envie de reprendre à notre compte la parole du prophète Élie fuyant la colère de Jézabel : “Il demanda la mort et dit : Je n’en peux plus ! Maintenant, Seigneur, prends ma vie, car je ne vaux pas mieux que mes pères” 1 R 19, 4.

 

    Dans ces moments que nous traversons tous, il est important de revenir à l’essentiel de ce qui nous fait vivre. Il convient de s’arrêter et de se poser la question de fond : “Est-ce que ce que je vis, ce qui m’arrive, me fait perdre l’essentiel de ma vie, ce sur quoi j’ai misé ma vie, ce qui pour moi donne sens à ma vie ? Est-ce que cela me retire l’amour infini de Dieu pour moi ?” La réponse est “non” puisque Dieu est fidèle. Cette certitude intérieure peut avoir une puissance de paix et de “réveil” pour lesquels nous n’avons jamais fini de rendre grâce.

 

b) Veiller. J’en viens à cet autre aspect constitutif de l’attente et qui est si présent dans l’évangile : la nécessité de veiller. La première raison qui confirme cette exigence, c’est que nous ne savons “ni le jour, ni l’heure” de la visite de Dieu ou plus exactement le jour et l’heure d’un appel particulier de Dieu, d’un signe de Dieu : “Veillez donc car vous ne savez ni le jour ni l’heure” Mt 25, 13. Nous savons que l’agir de Dieu passe toujours par des médiations humaines : rencontre, parole, événement qui sont autant de signes à travers lesquels Dieu nous parle. Ces signes ne manifestent pas avec évidence la présence et l’agir de Dieu ; ils demandent que nous restions attentifs sinon nous risquons de passer à côté, de rater le rendez-vous de Dieu.

 

    Rappelons-nous quelques passages de l’évangile particulièrement suggestifs de cette attention, de cette veille. J’en citerai trois entre beaucoup d’autres. D’abord la parabole des jeunes filles qui doivent accompagner l’époux jusqu’à la salle des noces et dont l’invitation à veiller par Jésus, citée plus haut, est extraite (Mt 25, 1-13). Ce qui est intéressant dans cette parabole, ce n’est pas le fait de ne pas dormir car toutes les jeunes filles se sont assoupies, mais le fait d’être “prêtes”. Les une ont de l’huile pour leurs lampes tandis que les autres n’en ont pas. “Être prêt”, cela ne consiste donc pas à garder sans cesse les yeux ouverts, mais à avoir l’habitude de vivre dans la vérité. C’est la vérité de notre vie qui est cette huile apportant la lumière qui ouvre la chemin vers la salle des noces. Jésus nous a dit l’importance de faire la vérité dans nos vies ou du moins de chercher cette vérité : “Celui qui fait la vérité vient à la lumière” Jn 3, 21. Chercher la vérité est comme l’huile d’où sort la lumière ; c’est sans doute la meilleure manière d’être prêts pour les rendez-vous de Dieu.

 

    Une autre parabole est celle du serviteur fidèle et avisé. L’évangile de Matthieu précise : “Heureux ce serviteur que son maître en arrivant trouvera en train de faire ce travail” Mt 24, 46. Et Luc dans le passage parallèle dit : “Restez en tenue de travail et gardez vos lampes allumées. Et soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces” Lc 12, 35-36. Jésus nous dit par là que la meilleure façon de veiller, d’être prêt, c’est de faire son travail correctement, faire ce qu’il nous est demandé de faire consciencieusement. Bien sûr, il convient de s’interroger sur “ce travail” qui nous est demandé. Il est à la fois réponse à des appels, prise de conscience de nos responsabilités et ce que nous appelons “le devoir d’état” c’est-à-dire ce que les circonstances ou les choix personnels nous demandent de faire jour après jour.

 

   Le troisième passage qui nous touche est plus dur : c’est juste avant l’arrestation de Jésus. Jésus est sorti, il a besoin d’être seul et il laisse d’abord ses disciples puis ses trois apôtres, Pierre, Jacques et Jean pour aller prier un peu plus loin. Cependant, il leur laisse cet appel douloureux : “Mon âme est triste à en mourir ; demeurez ici et veillez” Mc 14, 34. Revenant vers ses disciples, il les trouve en train de dormir. S’adressant à Pierre, il lui dit : “Simon, tu dors ! Tu n’as pas eu la force de veiller une heure ? Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation : l’esprit est ardent mais la chair est faible” v. 37-38. Trois aspects importants pour notre vie spirituelle peuvent être retenus de ce court passage. D’abord : veiller avec le Christ, c’est-à-dire se sentir porteur de ce qui le touche, de ce qui le rend triste ; aujourd’hui, c’est peut-être l’indifférence à l’égard de tant de malheurs et de souffrances dans le monde ; sans doute aussi le fait que l’amour vrai dont le Père est la source, est ignoré par tant d’hommes et de femmes qui passent ainsi à côté de la Vie. Certes, selon l’expression connue : on ne peut pas porter toute la misère du monde, cependant si on n’est pas touché par ce mal qui blesse tant d’hommes et de femmes, il y a quelque chose de faux dans notre prétention à être disciples de Jésus. 

 

 

 

    L’autre aspect concerne notre propre vulnérabilité : l’esprit est prompt, la chair est faible. C’est pourquoi un autre mot de l’exigence à veiller est le mot “vigilance”. C’est d’abord le regard réaliste sur nous-mêmes qui nous permet de mesurer nos limites compte tenu de notre expérience passée. C’est ce qui a marqué l’apôtre Pierre affirmant avec la spontanéité qu’on lui connaît : “Même si tous tombent à cause de toi, moi, je ne tomberai jamais” Mt 26, 33. On connaît la suite et son reniement dans la cour du Grand-prêtre. Pauvre Pierre qui avait présumé de ses forces et n’avait pas mesuré l’emprise de la peur. C’est pourquoi la vigilance comporte aussi une dimension de prudence, non pas qu’il faille être timide ou timoré dans la gestion de notre vie, il ne s’agit pas d’éviter tout risque, mais d’être capable de discerner les limites qu’il serait trop imprudent de dépasser.

 

   Le troisième aspect est l’importance de la prière : “Veillez et priez” dit Jésus à ses disciples. L’évangile selon saint Luc reprend cette demande de Jésus : « Restez éveillés dans une prière de tous les instants” Lc 21, 36. Certes, Jésus ne nous demande pas d’être à tout moment en état de prière, toutefois il est important de prendre du temps pour “écouter” Dieu. Un contemplatif disait que prier, c’était coller son oreille près du coeur de Dieu. Veiller demande d’être “attentif”. Nous constatons tous les jours combien la vie est stressante. Nous sommes sollicités de mille manières. Notre attention est souvent détournée au profit de choses parfois nécessaires, mais parfois futiles ou du moins secondaires. Veiller va donc demander parfois de se retirer dans sa chambre dans le silence de la prière. Être attentifs à Dieu, c’est prendre du temps pour le rencontrer, pour l’écouter : ce sont tous ces moments que nous pouvons nous offrir et lui offrir dans la méditation de sa Parole, le silence de la prière.

 

    Être attentif suppose deux choses : un désir et une disponibilité. Un désir, celui qui naît de la foi et de l’amour. Le désir de Dieu, c’est un appétit ou plutôt un élan du coeur qui nous tourne vers celui que nous ne connaissons que comme un amour infini qui nous est offert. Une disponibilité qui naît des choix que nous pouvons faire et des priorités que nous pouvons nous donner.

 

    Pendant ce temps de l’Avent, demandons à Dieu de faire grandir notre désir de mieux le connaître, de mieux le rencontrer et demandons-lui la lumière pour discerner les priorités dans nos vies.

 

    Ainsi, à travers ces trois textes de l’évangile, nous pouvons repérer les grandes caractéristiques de l’attente. D’abord “se tenir prêts” ; il ne s’agit pas d’être sans cesse sur le qui-vive, de maintenir une tension permanente, mais d’essayer que notre vie soit “en ordre”. Saint Thomas d’Aquin avait défini la paix comme “la tranquillité de l’ordre”. Être prêt n’est pas autre chose que cet ordre qu’on s’efforce de mettre dans notre vie, source de paix intérieure. Mettre de l’ordre dans notre vie n’est pas autre chose que de rechercher une cohérence entre nos paroles et nos actes, de vérifier nos priorités, nos choix essentiels et d’essayer d’y être fidèles. Ainsi, paisiblement, nous pourrons attendre le passage de Dieu. L’autre aspect que nous avons souligné, c’est la simplicité de cette “veille” spirituelle. Il n’est pas demandé d’être sans cesse en prière, mais de faire simplement notre travail au fur et à mesure qu’il se présente à nous. Le jardin des oliviers, la compassion demandé par Jésus à ses amis, nous disent aussi que veiller, c’est être attentif à ce monde qui comporte tant de violence et de malheurs. Veiller c’est aussi accepter nos limites et notre vulnérabilité et faire des choix en conséquence. C’est aussi prendre du temps pour Dieu, pour laisser Dieu nous introduire dans son univers qui est un univers de don et d’amour vrai.

 

    Enfin, il est un autre aspect contenu dans l’invitation à veiller ; c’est ce qui est suggéré par le substantif “veilleur”. Il s’agit d’être attentifs aux signes d’espérance afin de réconforter ceux qui nous entourent. “Veilleur, où en est la nuit ?” crie-t-on au prophète Isaïe (Is 21, 11). La demande qui nous est faite de veiller comporte une responsabilité à l’égard du monde. Parfois la nuit est trop longue et l’obscurité trop pesante engendrant souffrance et désespoir. Nous avons à être des veilleurs d’espérance, pas seulement par l’évocation de cette vie bienheureuse en Dieu après notre mort humaine, mais déjà, dès maintenant par cette présence de Dieu au plus profond de chacun et par tous ces germes d’amour et de vie que nous pouvons repérer autour de nous.

II - L’Avent est l’annonce d’une naissance.

 

    Nous poursuivons notre réflexion sur le temps de l’Avent à partir de cet aspect essentiel qui est l’attente d’une naissance : celle du Christ Jésus, mais aussi la nôtre.

 

1 - Dieu veut naître en nous.

    Nous connaissons, rapporté dans l’évangile de Jean, le dialogue entre Jésus et Nicodème. Jésus a des paroles apparemment mystérieuses qui déconcertent Nicodème et pourtant, elles nous révèlent le coeur de notre destinée qui est une destinée divine : “En vérité, en vérité, je te le dis : à moins de naître de nouveau, nul ne peut voir le Royaume de Dieu” Jn 3, 3. 

 

    Certes, le temps de l’Avent a pour but de nous préparer à vivre le mystère de la naissance du Christ. Le temps de l’Avent, le temps de l’avènement du Fils de Dieu s’achève et s’accomplit dans le mystère de Noël. Cependant, selon l’univers spirituel qui est le nôtre, nous ne pouvons pas séparer la naissance de Jésus de notre propre naissance ; nous ne pouvons séparer le mystère de l’Incarnation qui est présence de Dieu en Jésus, de la présence de Dieu en chacun de nous. Nous ne pouvons séparer le mystère de Dieu qui prend chair en Marie, du mystère de Dieu prenant corps en chacun de nous. Le mystère de l’Incarnation se prolonge dans notre réalité humaine personnelle et collective. Le temps de l’Avent est donc comme un temps de « gestation » avant un enfantement, le nôtre. Si le temps du Carême est un temps de libération, le temps de l’Avent est un temps d’enfantement. Noël n’est pas seulement ni d’abord le souvenir de la naissance de Jésus à Bethléem, mais le rappel que Dieu souhaite naître en chacun de nous comme il est né en Jésus de Nazareth. 

 

    De la même manière que c’est l’Esprit Saint qui est le maître d’oeuvre dans la naissance de Jésus, de même c’est l’Esprit Saint qui est le maître d’oeuvre de notre naissance à la vie de Dieu. La présence de Dieu en nous, si elle est une présence discrète, n’est pas une présence inefficace. Dieu n’est pas comme un objet qu’on transporte, il n’est pas une idée qui est logée dans une cellule de notre cerveau, elle est cette relation intime qui se propose sans cesse à notre liberté. Dieu agit en nous par son Esprit. Cette action de Dieu en nous s’appelle “divinisation”. Comprenons ce mot : il ne s’agit pas de quitter notre personnalité humaine pour devenir Dieu, Dieu est Dieu et nous resterons des hommes. Il s’agit de laisser se construire en nous, dans notre humanité quelque chose de divin pour nous permettre d’entrer dans l’intimité divine. Il est nécessaire d’avoir une ressemblance divine pour pénétrer dans le divin. Bien sûr, cela n’est possible que par grâce, comme un don, un cadeau de Dieu. C’est dans ce sens que nous employons le mot “divinisation” dans notre propos.

 

    Ainsi, le temps de l’Avent est un temps où nous redécouvrons notre propre mystère qui est celui de notre divinisation progressive, de notre naissance progressive à une vie divine, nous permettant d’entrer en relation avec la Vie de Dieu. Saint Irénée avait cette formule hardie, reprise par les Pères grecs  : “Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne dieu”. C’est notre destinée, mais une destinée qu’il nous faut accueillir comme un cadeau de l’amour qu’est Dieu. Le chapitre trois de la Genèse nous rapporte la tentation au jardin de l’Eden avec la parole du tentateur : “Vous serez comme des dieux”, invitant la femme à prendre ce qui ne pouvait qu’être offert par Dieu. C’est bien cela le sens de l’Incarnation : Dieu s’est fait homme afin de dire à notre liberté cette proposition de Dieu de nous donner sa vie, ce qu’il est, afin qu’une relation d’amour puisse se nouer et se vivre à jamais.

 

    Quand nous méditons le mystère de l’Incarnation, nous en avons parfois une vision bien imagée. Nous imaginons Dieu  là-haut, très loin vivant cette triple réalité de Père, Fils et Esprit ; et nous pensons l’Incarnation comme une descente du Fils en Marie, réalisant par l’Esprit Saint cette unité mystérieuse qu’on appelle l’Homme-Dieu. Mais il est une autre façon de percevoir le mystère de l’Incarnation. La foi nous dit que Dieu habite le coeur de l’homme. Mais Dieu ne se divise pas. Sa présence en chacun est présence de Dieu dans son unité profonde comme Père, Fils et Esprit. On ne peut séparer en Dieu le Père, le Fils et l’Esprit, même si on peut distinguer trois relations que les philosophes appelleraient subsistantes, personnelles. Ainsi Dieu est en Marie, comme en chacun de nous, Père, Fils et Esprit. Mais cette présence dans sa dimension filiale va investir la totalité de ce petit être que Marie porte en son sein en sorte que la vie, les paroles, les actes de ce fils d’homme soient totalement assumés par la divinité. Dieu parle à travers les paroles de Jésus, Dieu guérit à travers les gestes de Jésus, Dieu meurt lorsque Jésus meurt sur la croix.

 

    Ce qui est donné à Jésus en plénitude et dès le premier instant de sa vie, nous est donné à nous aussi par grâce. Il nous est donné de participer à ce mystère. Le désir de Dieu, pour chacun de nous, est de nous “diviniser”, c’est-à-dire de faire en sorte que, par Jésus et à la manière de Jésus, nos pensées et nos actes soient habités par cet amour qu’est Dieu lui-même. Ce qui est réalisé en Jésus dès le premier instant de sa vie, cette totale union de l’humanité et de la divinité, il nous est donné de pouvoir la réaliser. C’est notre destinée merveilleuse unie à celle de Jésus, semblable à celle de Jésus.

 

    Cette solidarité, cette ressemblance entre Jésus et tous ses frères et soeurs humains est exprimée à maintes reprises dans la Bible. La source est déjà manifestée dans le livre de la Genèse quand l’auteur nous assure que nous sommes créés à l’image de Dieu : “Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa” Gn 1, 27. Saint Paul reprendra le même mot “image”, en le déployant dans toute sa richesse quand il écrit dans la lettre aux Colossiens à propos de Jésus : “Il est l’image du Dieu invisible, premier-né de toute créature” Co 1, 15. Nous touchons là le mystère de l’Incarnation dans toute son ampleur. Jésus est le premier-né, ce qui veut dire que nous aussi, nous avons à naître comme Jésus en devenant peu à peu images du Dieu invisible, c’est-à-dire, divinisés.

 

    La solidarité de Jésus avec tous les humains est exprimée également quoique de façon symbolique lors du baptême de Jésus dans les eaux du Jourdain. Vous connaissez cet épisode. Jean, cousin de Jésus pratique un baptême de conversion. Beaucoup viennent à lui pour recevoir ce baptême et exprimer ainsi leur désir de convertir leur vie, de changer de vie. Nous connaissons les paroles fortes du Baptiste aux marchands qui faussent les balance, aux soldats qui violent et qui pillent. Or Jésus vient se mettre avec eux, dans leur rang au grand scandale de Jean qui ne comprend pas l’attitude de son cousin dont il sait la rectitude de vie : “Jean voulut s’y opposer : C’est moi, disait-il qui ai besoin d’être baptisé par toi et c’est toi qui vient à moi !” Mt 3, 14. Mais Jésus lui demande de le laisser faire “C’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice” v. 15. Nous connaissons la suite, au moment où Jésus sort de l’eau, l’Esprit Saint descend sur lui comme une colombe et une voix venant des cieux disait : “Tu es mon Fils bien-aimé, il m’a plu de te choisir” Mc 1, 11. En quoi cet acte de Jésus accomplissait toute justice ? En quoi Jésus réalisait là ce qui était juste selon le dessein de Dieu ? En prenant place au milieu des pécheurs, Jésus entendait nous associer tous au mystère annoncé dans son baptême ; le mystère de sa filiation divine. C’est ce qui est signifié à travers le baptême chrétien. Dans la préparation au baptême d’un bébé, je dis aux parents : le baptême de votre enfant, c’est comme si Jésus lui-même prenait votre enfant dans ses bras afin d’être plongé avec lui dans l’eau du baptême en sorte que votre enfant entende la même parole que celle qui fut adressée à Jésus : “Tu es mon enfant bien-aimé”.

 

    La solidarité entre Jésus et tous les hommes est manifestée à maintes reprises dans le Nouveau Testament. Pour ne donner que deux exemples : nous lisons en saint Jean ces paroles attribuées à Jésus dans la prière dite sacerdotale : “Désormais je ne suis plus dans le monde ; eux restent dans le monde, tandis que moi je vais à toi. Père saint, garde-les en ton nom que tu m’a donné, pour qu’ils soient un comme nous sommes un” Jn 17, 11. Ce nom est justement le nom de fils qui nous associe au Christ Jésus pour que notre unité avec Dieu soit la même que celle dont Jésus vit à jamais. L’autre exemple se trouve dans les lettres de saint Paul. Parmi beaucoup de passages, citons celui qui nous parle du corps du Christ : “Vous êtes le corps du Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part” 1 Co 12, 27. On ne peut parler plus clairement de cette solidarité qui nous unit au Christ, du lien entre le mystère de Jésus vrai Dieu et vrai Homme et notre propre mystère.

 

    Ainsi, de même que Jésus est né dans cette merveilleuse unité entre son humanité et sa divinité, de même, solidaire du Christ, membres de ce corps qu’est Jésus, le Fils de Dieu, nous avons nous aussi à naître à cette union pleine de respect et d’amour avec Dieu. Nous n’en avons jamais fini de naître ; le temps de l’Avent vient chaque année, nous le rappeler.

 

2 - Un temps où tout commence

    Quel est le sens de cette naissance dont il nous faut prendre conscience en ce temps liturgique de l’Avent ? Dans son livre “La logique de l’espérance”, Bernard Perret a tout un chapitre sur la naissance. Il s’émerveille d’une naissance qu’il désigne comme un commencement absolu. Tout ce que nous vivons, dit-il, peut être considéré comme un “événement” qu’il soit petit ou grand et pour Bernard Perret, tout événement est un commencement, une naissance. Bien sûr, cette façon de voir ce qui arrive dans nos vies demande un regard de foi. Au plan humain nous ne pouvons pas ne pas être marqués par notre histoire passée avec ses moments de bonheur, de croissance, de richesse intérieure, mais aussi avec ses ombres et ses blessures. Aussi, selon le regard humain, ce qui advient dans nos vies n’est pas toujours perçu comme un commencement mais comme la suite d’un passé qui étend son voile pas toujours lumineux sur notre façon de vivre ce qui nous arrive. Cependant, je crois que le regard de Dieu sur nous est autre. Certes, il ne gomme nullement notre passé, mais il nous offre dans ce qui nous arrive, la possibilité réelle d’un commencement, d’une naissance. C’est cet amour de Dieu se donnant et se manifestant dans tout événement heureux ou douloureux de nos vies, qui nous permet de commencer quelque chose de neuf. C’est l’espérance de Dieu offerte dans tout événement de notre vie, qui nous ouvre sur une possible nouveauté, sur un réel commencement. Une relation neuve peut commencer à tout moment de notre vie puisque Dieu nous offre à tout moment sa pleine et entière confiance. N’est-ce pas d’ailleurs le sens de la fête de Noël, inaugurant une relation nouvelle avec Dieu grâce à l’initiative de Dieu manifestant son amour aux hommes en la personne de ce petit enfant de Bethléem.

 

    Ainsi, le temps de l’Avent est un temps privilégié pour redécouvrir que tout peut commencer en nous, qu’une conversion est possible, qu’une nouvelle naissance nous est offerte à l’image de cette naissance de Dieu au milieu de notre humanité.

 

    Contrairement aux autres créatures, l’humain est un être inachevé. Le déroulement de son existence n’est pas programmée selon l’ordre des divers instincts qui l’habitent. Il a à construire sa vie, non pas que tout soit l’objet d’un choix libre, nous savons bien que notre espace de liberté est faible, mais suffisant pour ce qui touche à l’essentiel. Je sais que certains prisonniers dans les camps de concentration, alors que tout tendait à détruire leur humanité, qu’ils n’avaient aucune liberté extérieure, restaient cependant des hommes et des femmes libres par le refus intérieur qu’ils ne cessaient de se redire. Je viens de lire ce livre très émouvant de Maïti Girtanner intitulé “Même les bourreaux ont une âme”. Cette jeune résistante, torturée par la Gestapo allemande, détruite dans son corps, raconte qu’elle gardait cette toute petite part de liberté intérieure qui lui permettait encore de prier. L’essentiel peut toujours être choisi. Or cet essentiel est précisément cette présence en nous de l’Esprit Saint nous ajustant à cet amour qu’est Dieu. Encore faut-il que nous apportions notre désir, notre volonté qui permettra notre naissance progressive.

 

    La difficulté que nous avons à aborder notre sainteté vient de ce que nous confondons souvent sainteté et perfection. La sainteté ne consiste pas à avoir toutes les qualités, d’ailleurs, même les plus grands saints, les saints canonisés avaient aussi leurs défauts, leur caractère, parfois leur “mauvais caractère”, leurs faiblesses, leur péché. On ne les déclare pas saints parce qu’ils seraient parfaits, mais parce qu’ils se sont efforcés d’être fidèles à Dieu, qu’ils se sont efforcés de mettre leur vie en accord avec l’évangile et cela d’une manière “exemplaire”, ce qui n’exclut pas leurs faiblesses ; et cela même au dernier moment de la vie comme ce fut le cas de ce fameux “bon larron” à côté de Jésus sur la croix. Même Jésus avait son tempérament, les qualités et les limites d’un caractère  humain comme tout un chacun. Aux yeux de certains, il n’avait pas les qualités requises pour un prophète. Nous connaissons les reproches qui lui étaient faits par certains pharisiens : “Le Fils de l’homme est venu, il mange, il boit et vous dites : Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des collecteurs d’impôts et des pécheurs” Lc 7, 34. Cela n’enlève rien à la profondeur de sa vie et son accord parfait avec la volonté de son Père.

 

    Chacun de nous a son tempérament, son caractère, ses qualités et ses défauts, ses générosités et ses faiblesses. C’est avec tout cela, tout ce que nous sommes que Dieu nous appelle à la sainteté c’est-à-dire à mettre en oeuvre tout ce qui nous est présentement possible pour nous “ajuster” à l’amour de Dieu. Cela, nous pouvons le réaliser à tout moment car Dieu ne nous demande que ce qu’il nous est possible de réaliser dans l’instant présent.

 

    La difficulté n’est pas là, car, je suis sûr qu’à certains moments, vous êtes “ajustés” à Dieu, vous êtes des saints. La difficulté est dans la durée. Nous sommes saints de temps en temps, mais il nous est demandé de l’être le plus souvent possible. La sainteté est un travail comme l’amour lui-même. Il demande de reprendre sans cesse notre métier de saints. Et s’il nous arrive (hélas trop souvent !) de rester sourds à cette Parole, le pardon de Dieu vient toujours nous redresser afin que nous poursuivions l’oeuvre de notre sainteté. Celle-ci est donc à la fois le travail de l’Esprit et notre effort personnel. C’est une tâche magnifique car c’est une tâche d’amour.

 

    Certains peuvent tendre à une certaine perfection par un processus lent et difficile d’ascèse. La sainteté est d’un autre ordre : elle est l’accord avec Dieu, l’ajustement de ce que nous sommes à l’amour de Dieu révélé en Jésus de Nazareth. Et cet accord, cet ajustement est possible à tout moment de notre vie. Elle ne suppose aucun préalable puisque Dieu n’attend de nous que ce qu’il nous est possible dans le moment présent. On peut donc toujours commencer sur ce chemin de notre sainteté qui est le chemin de notre divinisation. J’ai toujours été frappé par le récit de ce brigand attaché à la croix à côté de Jésus que nous évoquions il y a un instant. Il reconnaît l’obscurité de sa vie et que son châtiment est juste : “Pour nous c’est juste : nous recevons ce que nos actes ont mérité ; mais lui n’a rien fait de mal” Lc 23, 41. C’est une attitude de sainteté car ce truand est, dans cet instant, pleinement accordé à la vérité, pleinement accordé à Dieu et au regard que Dieu porte sur lui. Dieu sait qu’il n’est pas parfait, mais dans cet instant il s’accorde parfaitement au regard de Dieu, c’est pourquoi Jésus peut lui dire : “En vérité, je te le dis, aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis” v. 43. Au fond, c’est le premier “canonisé”, reconnu saint par Jésus lui-même, ce qui veut dire que la sainteté est à notre portée à chacun moment de notre vie. Nous pouvons commencer à vivre selon Dieu à chaque moment de notre existence.

 

    Le temps de l’Avent n’est ni un temps pour rappeler un souvenir passé, ni un temps pour évoquer une espérance pour l’au-delà de notre vie terrestre. Il est une espérance pour l’aujourd’hui de nos vies. Nous savons que l’espérance chrétienne n’est autre que cette certitude d’une présence aimante de Dieu, nous accompagnant dans les moments heureux ou douloureux de notre vie. Or le temps de l’Avent prépare notre coeur à mieux saisir cette certitude de foi. Alors, les événements de nos vies peuvent être faciles ou difficiles, lumineux ou plus obscurs, Dieu est présent au plus profond de notre vie avec cette lumière qui rayonne de l’amour qu’il nous porte.

 

    La tradition chrétienne, parlant de la mort d’un croyant, la définit comme sa naissance au ciel. Mais nous savons que cette naissance est préparée par toute notre vie. Dieu n’en finit pas de naître en nous. Aussi pendant le temps de l’Avent, c’est de la naissance de Dieu en nous, de la croissance de la petite semence de son amour au coeur de notre vie, dont il est question. Saint Paul, à propos de la création écrivait aux chrétiens de Rome : « Nous le savons en effet : la création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement. Elle n’est pas la seule, nous aussi...etc » (Rm 8, 22-23). Et bien sûr, cela est particulièrement valable pour chacun de nous. 

 

III - Trois grands personnages du temps de l’Avent

 

    Je voudrais terminer notre réflexion sur le temps de l’Avent en évoquant trois personnages qui sont particulièrement présent en cette période qui précède Noël, Marie, Joseph et Jean-Baptiste. Et d’abord le personnage de Marie.

 

1) Marie. On ne peut pas réfléchir sur notre attitude spirituelle pendant ce temps de l’Avent sans tourner notre regard vers Marie. Pendant ce temps qui a précédé la naissance de Jésus, deux attitudes de Marie nous touchent particulièrement. La première est la réaction de Marie devant l’annonce que lui fait l’ange. Marie a seulement cette parole à la fois toute simple et profondément engageante : «Je suis la servante du Seigneur, que tout se passe pour moi comme tu me l’as dit» Lc 1, 38. L’autre attitude est celle du service qui la fait quitter en hâte Nazareth afin de se rendre près de sa vielle cousine Élisabeth qui attend un enfant. Reprenons ces deux attitudes de Marie en pensant qu’en ce temps de l’Avent il nous faut entrer dans le même don généreux.

 

    «Que tout se passe pour moi comme tu me l’as dit». La parole du messager de Dieu est doublement déconcertante. Certes, comme toute bonne juive, Marie attendait la venue d’un Messie qui sauverait son peuple ; mais elle ne pouvait pas imaginer que ce Messie serait son fils. D’autre part, la parole annonçait une action efficace de l’Esprit Saint qui, en Marie donnerait chair à ce Messie divin. Deux perspectives qui n’auraient pas manquées de provoquer non seulement des questions mais des réticences justifiées. Or Marie va dire «oui» à cette Parole en se fondant sur la confiance qu’elle n’a cessée de donner à son Dieu. Ce n’est nullement naïveté de sa part ni inconscience, mais cette certitude inébranlable que Dieu ne peut ni la tromper ni la décevoir.

 

    Ce matin j’avais longuement parlé de la promesse de Dieu, promesse qui engageait son amour et sa fidélité. Marie fait confiance en s’appuyant seulement sur cette certitude intérieure que son Dieu et un Dieu d’amour infini et de fidélité absolue. Alors, demandons pour nous au Seigneur d’avoir la même confiance ce qui n’exclut pas les questions et les doutes mais les dépasse pour ne s’appuyer que sur Dieu et sa Parole.

 

   L’autre attitude de Marie st celle du service. Nous en avons de très nombreux exemples dans l’enseignement de Jésus. Jésus lui-même s’est désigné comme un serviteur : «Je suis venu non pour être servi mais pour servir»Mt 20, 28. Combien de paraboles nous parlent de serviteurs qui doivent attendre le retour de leur maître et la conclusion est importante pour nous : «Heureux ce serviteur que son maître en arrivant trouvera en train de faire son travail» Lc 12, 43.»Servir» est sans doute la façon la plus juste de préparer son coeur à une action de Dieu de nos vies. En effet cette attitude manifeste à la fois la générosité et la disponibilité de notre vie. Cette attitude ouvre notre vie à la venue de Dieu. Marie va se mettre au service de sa vielle cousine et ainsi, elle est dans la vérité de l’annonce qui lui a été faite par l’ange ; elle met en acte son oui ; elle est à sa place en vérité devant Dieu.

 

2) L’attente de Joseph. On oublie parfois l’importance de Joseph qui est à la fois un grand bonhomme et un grand saint. Sa situation dans les neuf mois qui ont précédé la naissance de Jésus est bien délicate. Déjà dans sa relation avec Marie, quelle ne dût pas être sa confiance, son attention, son respect. Mais aussi que de questions dans sa tête : qui était cet enfant qui allait naître : Joseph comme Marie attendait certainement la venue un jour d’un Messie qui rétablirait la royauté en Israël, mais que cet enfant soit le Messie attendu, quelle surprise pour lui comme aussi quelle responsabilité !

 

    La visite de Dieu au cours d’un songe  avait mis sa foi à rude épreuve. Et pourtant l’évangile conclut par cette phrase magnifique dans sa simplicité et qui nous interroge pour notre propre vie : «Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l'ange du Seigneur lui avait prescrit» Mt 1, 24.

 

    Les évangiles ne disent pratiquement rien de Joseph. Lorsque Jésus avait 12 ans et qu’il resta à Jérusalem à l’insu de ses parents, c’est Marie et non Joseph qui prend la parole : «Vois, ton père et moi nous te cherchons tout angoissés» Lc 3, 48. On ne sait rien de la relation que Joseph a dû avoir avec son fils et rien n’est dit de sa mort. Toute la vie de Joseph est restée cachée. Même l’Église a donné peu de place à Joseph et il a fallu attendre ces dernières années pour que le nom de Joseph soit ajouté au nom de Marie dans la prière eucharistique.

 

    L’humilité, la modestie, la force intérieure de cet homme, sa foi inébranlable constituent pour nous un bel exemple en ce temps liturgique de l’Avent. Nous qui avons, certes à juste titre, soif de reconnaissance, demandons à Joseph d’accomplir notre travail dans l’ombre, de construire le corps du Christ à travers de très petites tâches mais que nous pouvons, comme Joseph, transfigurer par l’amour qui nous habite.

 

3) Enfin le personnage de Jean-Baptiste. Nous terminons avec le personnage de Jean-Baptiste. Il est un personnage incontournable du temps liturgique de l’Avent en raison de son rôle de précurseur. Il a été celui qui «préparait les chemins du Seigneur». Ce qui caractérise Jean-Baptiste c’est à la fois sa force, son souci de vérité personnelle et son humilité. Sa force se manifeste à la fois dans on style de vie ascétique mais surtout par la vigueur de sa parole. Celle-ci est violente comme toute parole de prophète. Il a ces mots violents comme Saint Matthieu les rapporte : «Voyant des pharisiens et des sadducéens venir en grand nombre à ce baptême, il leur dit : « Engeance de vipères ! Qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? Produisez donc un fruit qui exprime votre conversion, et n'allez pas dire en vous-mêmes : 'Nous avons Abraham pour père' ; car, je vous le dis : avec les pierres que voici, Dieu peut faire surgir des enfants à Abraham. Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres : tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu» Mt 3, 7-10. Cette expression «engeance de vipères» sera reprise par Jésus pour dénoncer l’hypocrisie de certains (Mt 12, 34). Le témoignage de Jean Baptiste doit nous mettre en garde contre une attitude lénifiante qui juge que rien n’a d’importance. Il ne s’agit pas de condamner les personnes mais d’avoir le courage de dire ce que nous pensons vraiment et qui est pour nous essentiel.

 

    Le second aspect de la personnalité de Jean Baptiste qui complète le premier est son souci d’être vrai. Jean Baptiste ne s’arroge pas une fonction qui n’est pas la sienne ; il ne se prend que ce pour quoi il a reçu mission : préparer les chemins du Seigneur. Il n’est pas le Messie, le Christ comme il le dit aux prêtres et aux lévites venus l’interroger : «Je ne suis pas le Christ» Jn 1, 20. Ses amis voudraient sans doute lui voit occuper un poste plus important ce qui amènera l’évangéliste Jean à préciser : «Cet homme n'était pas la Lumière,mais il était là pour lui rendre témoignage» Jn 1, 8. 

 

    Mais c’est l’humilité de Jean baptiste qui nous touche. Dans sa relation avec son cousin Jésus, il dira : «Je ne suis pas digne de me courber à ses pieds pour défaire la courroie de ses sandales» Mc 1, 7. Plus encore, ayant rempli sa mission, il sait se retirer : après avoir désigné Jésus comme le Messie, il va laisser ses propres disciples le quitter pour laisser se faire la rencontre avec Jésus. Quel bel exemple pour notre Église et pour chacun de nous : savoir se retirer après avoir accompli son travail en gardant paisiblement au coeur la parole de l’évangile : «'Nous sommes des serviteurs quelconques : nous n'avons fait que notre devoir» Lc 17, 10.

 

Conclusion.

    L’évangile de Luc, dans le passage cité plus haut, nous invite à la vigilance : « Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre coeur ne s’alourdisse » Lc 21, 34.. Les derniers temps dont l’évangile parle de façon apocalyptique peuvent être entendus de plusieurs façons. Ce peut être effectivement la fin du monde avec l’arrêt de l’horloge du temps, le rassemblement définitif de tous les amis de Dieu mettant un magnifique point d’orgue à la joie des bienheureux. Ce peut être la fin de notre propre vie terrestre, quand nous basculerons dans l’éternité de Dieu. Mais ce peut être aussi le temps de la venue de Dieu, le temps d’un particulière invitation de Dieu s’adressant à chacun de nous, un pressant appel à la sainteté c’est-à-dire à nous accorder davantage encore à cet amour que Dieu ne cesse de nous offrir. Et cela, c’est pour aujourd’hui. Comme le dit Paul aux Romains : « Vous savez en quel temps nous sommes : voici l’heure de sortir de votre sommeil ; aujourd’hui en effet, le salut est plus près de nous qu’au moment où nous avons cru. La nuit est avancée, le jour est tout proche. Rejetons donc les oeuvres des ténèbres et revêtons les armes de la lumière. » (Rm 13, 11-12). Et encore dans la seconde lettre aux Corinthiens : « Au moment favorable je t’exauce, et au jour du salut je viens à ton secours (Isaïe 49, 8). Voici maintenant le moment tout à fait favorable. Voici maintenant le jour du salut. » (2 Co 6, 2). Noël c’est ce « moment favorable » pour chacun de nous et il convient de ne pas le manquer. Ainsi le temps de l’Avent nous invite à rester attentifs pour ne pas rater le rendez-vous de Dieu.

 

    Certes, les évangiles parlent souvent d’une certaine “urgence”. La proximité du Royaume de Dieu est proclamée souvent dans les évangiles. Quand Jésus envoie ses disciples dans les villes et villages où il devait aller, il leur demande d’annoncer que le Règne de Dieu est arrivé (Lc 10, 11). La parabole des invités qui se dérobent l’un allant à son champ, l’autre à son commerce (Mt 22, 5 ou Lc 14, 18...) nous interpelle. L’homme généreux qui avait préparé ce grand repas dit aux invités : “Venez, maintenant, tout est prêt” Lc 14, 17.  C’est maintenant qu’il faut venir participer à la fête. Nous pensons aussi au commentaire de la parole de Dieu que Jésus a fait dans la synagogue de Nazareth avec ce mot merveilleux et redoutable : “Aujourd’hui cette parole s’accomplit”  Lc 4, 21.  L’attente qui caractérise le temps de l’Avent et toute chose importante, ne viennent pas contredire la notion “d’urgence” qu’on peut lire dans de nombreux textes bibliques. car l’urgence n’est pas de conclure, mais de commencer. Alors, répondons à l’urgence de la parole de Dieu en commençant aujourd’hui l’aventure de notre conversion., de notre sainteté.

Publié dans Conférences

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