“Les chrétiens de toutes confessions  ont ensemble à porter au monde une espérance”

Publié le par Père Maurice Fourmond

Oecuménisme
Saint Hippolyte
29 Octobre 2017

“Les chrétiens de toutes confessions 
ont ensemble à porter au monde une espérance”


    Ce 500ème anniversaire de la Réforme a en particulier comme objectif de nous rappeler la responsabilité commune de l’Église de Jésus Christ. Au fil de l’histoire, il est possible de mesurer le contre-témoignage apporté par les divisions de nos églises, tant entre confessions chrétiennes qu’au sein de chacune de nos églises. Cet anniversaire peut donc nous permettre de réfléchir à la conversion qu’exige notre responsabilité commune : être témoins de l’espérance fondée sur Jésus Christ. Cet anniversaire de la Réforme invite chacun à réfléchir également sur les changements qu’impose l’évolution de notre monde.
    Ma réflexion portera d’abord sur les fondements de notre espérance chrétienne, pour ensuite repérer comment les paroles et les actes de Jésus ont traduit concrètement cette espérance dans la vie des gens pour repérer enfin, à partir de l’expérience de Jésus,  à quelles conversions nous invite la fidélité à l’évangile.

1- Dieu espère en l’homme, fondement de notre espérance
    Adrien Candiard dans son livre « Veilleur où en est la nuit ? » cite cette phrase du Père Carré : « Vivant dans un monde malheureux, nous devons être à ses yeux les professionnels de l’espérance ». La désespérance de tant d’hommes et de femmes dans le monde est dramatique ; l’évangile de Jésus Christ ne montre-t-il pas un chemin d’espérance dont nous chrétiens devons être les témoins. 
    Toutefois il ne faut pas confondre l’espérance chrétienne avec les espoirs humains. Ceux-ci sont aléatoires et souvent déçus. L’espérance du chrétien n’est pas l’attente d’une chose désirée, mais la confiance en quelqu’un, le Dieu de Jésus Christ.


    Mais si nous avons au coeur une espérance inébranlable en Dieu, c’est que Dieu le premier espère en nous. Cette espérance de Dieu pour l’humanité s’exprime pleinement dans le mystère de l’Incarnation. C’est parce que Dieu espère en l’homme qu’il a pris le risque de prendre notre condition humaine fragile afin de lui montrer le chemin de son accomplissement. La vie de Jésus de Nazareth est l’expression parfaite de l’espérance de Dieu pour l’homme, cette espérance qui a accompagné Jésus tout au long de sa vie dans ses joies comme dans les oppositions douloureuses qu’il a rencontré et jusque dans sa mort. Dieu a exprimé son espérance en l’homme dans l’espérance qu’il a eu en l’homme Jésus, espérance qui a trouvé son accomplissement dans la résurrection de Jésus. Cette espérance s’est manifestée dans notre condition difficile. En effet, Dieu a pris en Jésus notre condition humaine avec toutes ses limites comme le dit l’épître aux Hébreux : « En effet, nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, mais un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché » He 4, 15. Jésus a connu les limites de toute vie humaine. Il a vécu à une époque précise, dans un pays particulier, dans une culture et un peuple, le peuple juif ; il a connu les joies de la famille mais aussi des contradictions douloureuses, des persécutions et finalement une mort injuste et cruelle. C’est dans cette condition humaine difficile que Dieu a voulu vivre, afin de nous révéler son espérance indéfectible en l’homme et cela à travers l’homme Jésus, non pas seulement en raison de la résurrection définitive de Jésus, mais en raison de la présence aimante, fidèle et forte de Dieu à chaque instant de la vie du Christ. À travers la vie de Jésus, Dieu a voulu nous faire partager son espérance : l’espérance en l’avenir de notre humanité, l’espérance en l’avenir de chaque personne humaine en sorte qu’elle puisse trouver son parfait accomplissement.


    Cette espérance de Dieu en l’homme, fruit d’un amour infini de Dieu pour l’homme, ouvre chaque vie humaine sur des relations aimantes où sont exclus toute rivalité, toute compétition orgueilleuse, tout mérite, mais seulement la gratuité d’un don qui fait vivre et fait grandir chacun.


    Cette espérance de Dieu habite en chacun et elle est reconnue par tous les disciples de Jésus quelles que soient les confessions auxquelles ils appartiennent. Cette espérance de Dieu commande ou devrait commander la pensée et les actes de chacun de nous, comme aussi de chacune de nos églises.


    Le témoignage de cette espérance pourrait ouvrir notre monde sur un « a-venir » où le “vivre ensemble” apporterait un profond bonheur. Il n’est pas question d’un « lendemain qui chante » avec l’illusion de le construire par la force, mais de bâtir un présent que les chrétiens appelle le Royaume de Dieu et qui se construit dans le partage d’un amour gratuit. C’est là l’espérance de Dieu.


    Cette espérance de Dieu qui habite nos différentes églises, a besoin d’un témoignage commun pour être entendu, perçu, lisible, crédible aux yeux de ceux qui nous voient vivre. D’où l’impérieuse nécessité de manifester notre espérance commune au-delà de nos légitimes différences. Cette espérance de Dieu nous réunit très profondément, et de façon définitive, bien au-delà de ce que nous pouvons imaginer. N’est-ce pas cette communion des saints, cette participation comme membres d’un même corps, le corps du Christ, qui signifient une communion à laquelle il nous appartient de travailler sans relâche en nous appuyant sur cette espérance efficace de Dieu.

2-Comment les paroles et les actes de Jésus ont traduit concrètement l’espérance de Dieu dans la vie des gens.
    Il suffit de relire la Bible et particulièrement la vie de Jésus Christ pour repérer comment, par Jésus, l’espérance de Dieu s’est incarnée dans la vie des gens. À travers la vie de Jésus, le Seigneur nous montre le chemin que nos églises doivent prendre afin de rouvrir à notre humanité une espérance dont  l’histoire a bien montré les douloureuses limites.


    S’il fallait caractériser la façon dont Jésus a redonné de l’espérance à ceux qui l’entouraient, je dirais que Jésus n’a cessé d’ouvrir et réouvrir un avenir à des personnes dont précisément l’avenir était fermé. Parmi de nombreux exemples, je regarderai trois épisodes significatifs. D’abord le dialogue de Jésus avec la femme prise en flagrant délit d’adultère. L’avenir de cette femme est fermé, c’est la mort selon la loi de Moïse, loi rappelée de façon perverse par quelques scribes et pharisiens. Cette femme n’a plus aucune espérance. Après que les accusateurs se soient retirés, Jésus reste seul avec la femme : « Femme, où donc sont-ils, personne ne t’a condamnée ? Personne, Seigneur ». Et Jésus qui seul sans péché aurait pu la lapider lui dit simplement : « Moi non plus, je ne te condamne pas : va, et désormais ne pèche plus » (Jn 8,1-11). L’espérance de Dieu pour cette femme passe par la parole libératrice de Jésus. Cette espérance non seulement l’arrache à la mort, mais de plus elle lui dit par la bouche de Jésus qu’elle peut changer de vie et devenir une intime de la vie de Dieu.


    Un autre récit est la guérison de l’aveugle né toujours dans saint Jean (9, 1-38). La condition de cet homme était misérable, non seulement il était aveugle, non seulement on le considère comme un pécheur, sa cécité étant considérée comme une punition, mais, nous dit l’évangile, il ne faisait que mendier. Or Jésus va lui ouvrir un avenir : non seulement en lui ouvrant ses yeux de chair, mais en lui donnant de se redresser dans sa dignité humaine jusqu’à tenir tête aux pharisiens qui cherchaient la faille de cette aventure et finalement en lui donnant de pouvoir découvrir et professer sa foi devant Jésus.


    Et comment ne pas citer la vie de Simon Pierre à la fois si généreux et si faible. Plusieurs moments de sa vie peuvent être compris comme une manifestation de l’espérance de Dieu pour lui. D’abord bien sûr sa vocation : sa vie ordinaire de pêcheur sur le lac de Tibériade va s’ouvrir à l’infini d’un amour qui lui donnera de donner sa vie pour la bonne nouvelle de cet amour fou accueilli. Deux moments de sa vie sont particulièrement significatifs de cette espérance de Dieu lui ouvrant un avenir. L’un, toujours sur le lac est le récit de cette aube où Jésus marchant sur l’eau invite son ami à le rejoindre. Pierre  avance sur l’eau mais à un moment il prend peur devant la force du vent et il commence à sombrer. Il crie alors vers Jésus qui lui saisit la main et ils se retrouve tous les deux dans la barque. Même si cet épisode a une portée symbolique, nous pouvons retenir que la main de Jésus tirant Pierre de l’eau mortelle lui ouvre un avenir que la fragilité de Pierre rendait improbable. Mais cette manifestation de l’espérance pour Pierre est encore plus signifiée lorsque, après la résurrection de Jésus, il y a ce dialogue étonnant entre le ressuscité et Pierre. Pierre avait montré sa faiblesse dans le triple reniement dans cour du grand prêtre et Jésus lui pose la question simple : “ Pierre m’aimes-tu ? ”, puis, sur la réponse à la fois pleine de confiance et un peu tremblante de Pierre, Jésus lui confie la charge de confirmer ses frères dans la foi. Pierre aurait pu penser qu’après son reniement, peut-être qu’une toute petite place lui serait accordée. L’espérance de Dieu par la bouche de Jésus transcende la fragilité de Pierre en lui accordant une confiance totale. L’espérance de Dieu fait de Pierre un témoin de sa foi devant ses frères.


    Ainsi, à travers ces quelques exemples, nous voyons quel chemin prend l’espérance de Dieu pour conduire l’humanité à son accomplissement. Essayons  de voir comment aujourd’hui, il nous est donné à nous, disciples de Jésus, de prendre ce chemin et de témoigner ensemble de cette espérance, avenir pour notre humanité.

3- Quel témoignage nos églises peuvent-elles donner ensemble ?
    Nous pourrions résumer cette espérance qui nous habite et que nous partageons, autour de trois pôles.
    Le premier est cette certitude de foi que Dieu habite toute personne humaine et donc que l’Esprit Saint peut faire naître en chacun, croyant ou non, un désir qui s'apparente au désir de Dieu. Ce désir de Dieu nous pouvons le connaître pour notre monde, pour chacun comme aussi pour nos églises. À travers sa vie Jésus ne cesse de nous dire que le désir de Dieu n’est autre que le bonheur et la réussite de notre vie humaine, le bonheur et la réussite de l'humanité. La vie et les paroles de Jésus nous tracent le chemin qui amène au bonheur et permet la réussite de notre humanité. Ce chemin peut se traduire dans ce que certains appellent des valeurs, c’est-à-dire ce qui oriente la vie de chacun, ses choix, ses décisions, ses actes.


    On hésite parfois à employer le mot de « valeur » tant il a été employé à tort, tant aussi il apparait lié à l’histoire de chacun et donc à la subjectivité de celui qui utilise ce mot. Cependant, la réflexion humaine permet d’affirmer qu’il y a des valeurs communes qui portent le bonheur des hommes, même si elles ne sont pas encore reconnues par l’ensemble de l’humanité. C’est ainsi qu’on peut inscrire comme valeurs universelles la dignité de chaque personne humaine, le respect de l’autre dans sa singularité. Certes ces valeurs, même reconnues comme telles, sont difficiles à vivre dans le concret de nos vies ; elles ont beaucoup de mal à s’inscrire dans la vie des personnes comme des sociétés. 


    C’est là que, nous qui croyons que Jésus est chemin, vérité et vie, nous portons la responsabilité d’être les témoins de ces exigences fondamentales, témoins fragiles mais témoins de leur vérité fondée sur le regard aimant que Dieu porte sur chaque personne humaine quelle qu’elle soit.


    Comme nous le disions au début, nous ne serons témoins de cette espérance que si nous essayons de le vivre personnellement entre nous mais aussi dans les rapports entre nos différentes confessions. C’est donc un grand travail, un travail de conversion qui est demandé à chacun et à chacune de nos églises.

 

    Précisément ce travail au sein de nos églises est le second pôle de l’espérance dont il nous faut témoigner et comme son préalable. C’est l’effort de réforme exigée pour chacune de nos églises en raison de l’évolution permanente du monde, cette évolution étant le signe que la vie pousse toujours en avant. Certes, au cours de leur histoire, nos églises ont pris conscience de cette exigence pour la vérité de leur témoignage. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la Réforme inaugurée par Luther au 16ème siècle comme aussi la convocation du Concile Vatican II par Jean XXIII, Concile qu’il désignait comme le nécessaire aggiornamento,  la “mise à jour” de la pensée et de la pratique de notre église.


    La formule “ecclesia semper réformanda”, “l’Église doit être toujours à réformer” a été particulièrement utilisée par ce grand théologien qu’est Karl Barth. Cette formule souligne la nécessité de revisiter sans cesse la manière d’exprimer et de traduire en acte notre foi. En effet le monde évolue sans cesse dans sa pensée, dans ses préoccupations fondamentales, dans sa manière de vivre ; les disciples de Jésus Christ ont l’impératif devoir de proposer leur espérance en tenant compte de cette évolution permanente. Cela implique un travail des théologiens des diverses confessions afin de proposer des orientations nouvelles de la pensée et du comportement chrétien. Cela implique dans chacune de nos églises, la lucidité et le courage pour proposer aux disciples de Jésus Christ une nourriture adaptée aux attentes du monde contemporain. Cela implique également un échange et un dialogue permanents entre nos églises afin d’accueillir les efforts de réforme vécus par les uns et les autres.

 

    Le troisième élément qui pourra donner une espérance à notre monde est le témoignage d’une recherche permanente de la vérité.


    Prenant conscience que personne ne possède la vérité mais que toute personne honnête et sincère cherche dans sa vie une part de vérité, nous pourrons témoigner de l’espérance en rejoignant chacun dans cette quête permanente et en reconnaissant la part de vérité qu’il me révèle. Reconnaître la part de vérité qui est dans l’autre est sans doute un des plus beaux témoignages que nous pouvons donner de l’amour infini de Dieu et de son espérance. 


    Cette quête de vérité à la fois personnelle et collective demande à la fois beaucoup de courage et beaucoup de lucidité. Beaucoup de courage pour accepter de nous remettre en question dans notre pensée, dans nos jugements, dans nos pratiques. Beaucoup de lucidité pour discerner l’essentiel de l’accessoire, ce qui est fondamental et ce qui est secondaire. 


    Or pour nous croyants, la recherche permanente de la vérité a besoin d’être partagée. Elle demande en particulier un dialogue permanent avec tous ceux qui, de confessions différentes, cherchent dans la personne de Jésus un chemin de vérité. Ce dialogue fraternel est un des moyens les plus forts pour témoigner autour de nous de l’espérance dont la source est le Seigneur Jésus.


 

Publié dans Conférences

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