« L’ouverture à l’autre chemin vers Dieu »

Publié le par Père Maurice Fourmond

Halte-Prière de St Pierre de Montrouge-Communauté des soeurs de l'Assomption de Notre-Dame de Bon Secours

Le 18 novembre 2017


« L’ouverture à l’autre chemin vers Dieu »

1- Pourquoi parlons-nous d’un chemin « vers » Dieu ?
    Pourquoi parlons-nous d’un chemin « vers » Dieu, N’avons-nous pas déjà une relation réelle avec Dieu, notre vie n’est-elle qu’un chemin qui  nous conduit peu à peu vers une rencontre dont nous ne bénéficions pas et que nous ne soupçonnons pas ? En fait comme ce qui est essentiel, toute vie humaine est sous le signe du paradoxe, du « déjà là » et du « pas encore » selon la formule du Père Yves Congar. Nous sommes humains dès notre conception mais nous avons aussi  le devenir chaque jour ; nous sommes chrétiens au jour de notre adhésion à Jésus Christ et nous avons à le devenir chaque jour.


    Dans le prologue de l’évangile de Jean, nous lisons « Personne n’a jamais vu Dieu ; Dieu Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l’a dévoilé ». On pourrait donc comprendre qu’à partir du Christ, nous avons une véritable connaissance de Dieu et donc que nous avons déjà une relation réelle avec Dieu. Toutefois Jésus a une autre parole qui nuance notre accès à Dieu : « Nul ne va au Père sans passer par moi » ; il convient donc d’aller vers le Père et donc que notre relation bien réelle avec Dieu, est toutefois imparfaite et donc que nous avons un chemin à parcourir.


    C’est d’ailleurs l’expérience de toute relation humaine aimante. La relation est vraie mais elle se construit tous les jours. Dans une rencontre avec deux jeunes qui se préparaient au mariage, je leur avait dit : le jour où l’un de vous dira de l’autre « je le connais comme ma poche, vous êtes au bord du gouffre ». En effet, nous n’avons jamais fini de découvrir l’autre et c’est pourquoi, déjà dans la vie humaine, il faut tenir le paradoxe : « je te connais mais aussi je ne te connais pas ».


    Ce qui est vrai pour les relations ente humains, l’est davantage lorsqu’il s’agit de la relation avec Dieu. En effet dans notre vie quotidienne, l’autre que j’aime est de la même nature humaine que moi et les relations entre nous se manifestent en particulier à travers tous nos sens, la vue, l’ouïe, le toucher. Il n’en est pas de même pour Dieu, car dans son être il est le tout Autre. C’est bien ce que veut nous dire saint Jean dans la phrase du prologue que nous citions il y a un instant : « Dieu, personne ne le connaît».


    Puisque Dieu est le Tout Autre, nous ne pouvons l’approcher que s’il vient lui-même à notre rencontre. Et il ne peut le faire qu’en employant notre langage, le langage humain. C’est ainsi que nous ne connaissons Dieu qu’à travers des médiations humaines. C’est une des raisons les plus justes et les plus profonde de l’Incarnation ;  l’Incarnation est la manifestation la plus décisive du désir de Dieu de vivre une relation aimante avec nous. Ainsi, c’est par un homme, Jésus de Nazareth, que quelque chose de Dieu nous est révélé. C’est par un homme en tout semblable à nous que quelque chose de Dieu nous parvient. Dans sa première lettre Jean le dit clairement : « Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie... ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons » (1 Jn 1, 1…3).
    Nous pouvons donc comprendre le sens de notre propos « chemin ve
rs Dieu ». Dans le chapitre 17 de l’évangile selon saint Jean, Jésus au début de sa prière parle de la vie éternelle qu’il souhaite donner à ses amis : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé Jésus Christ » (Jn 17, 3). Dans la Bible, la connaissance désigne le partage de l’intimité d’un être comme dans les relations conjugales (voir la parole de Marie à l’ange : je ne « connais » pas d’homme). Or l’être même de Dieu échappe à notre compréhension humaine : nous ne connaissons pas l’être même de Dieu ; nous pouvons dire en vérité « je ne connais pas Dieu ». Toutefois, il nous est donné d’en avoir une approche, une approche humaine  donc partielle et imparfaite, mais vraie. Cette approche est vécue en particulier à travers les paroles et la vie de l’homme Jésus. Nous avons la chance d’avoir accueilli le mystère de Jésus dans notre vie, ce Jésus qui a dit : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 1-6).
    
2- L’autre est habité par Dieu
    L’ouverture à l’autre est un chemin vers Dieu car l’autre est habité par Dieu et donc laisse d’une manière ou d’une autre transparaître quelque chose de Dieu. Cette affirmation prend sa source dans le récit de la Genèse où il est question de la création. À propos de l’humain, il est dit : « Dieu dit : « Faisons l’humain à notre image, selon notre ressemblance. Qu’il soit le maître des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, des bestiaux, de toutes les bêtes sauvages, et de toutes les bestioles qui vont et viennent sur la terre. » Dieu créa l’humain à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme » (Gn 26-27). Que veut dire « à la ressemblance de Dieu » ? Si la parole de la Genèse contient une vérité essentielle, il faut dire qu’il y a en tout être humain quelque chose de divin. Certes, on ne connaît pas Dieu et nous n’en avons que des représentations humaines. Toutefois, dans leur approche de Dieu, les humains se sont donné des représentations de Dieu à partir de leur expérience. Comme ils pensent que Dieu est parfait, ils ont cherché dans leur expérience humaine ce qui leur paraissait le meilleur, le plus parfait. Parmi toutes les qualité humaines, il en est deux particulièrement importantes et comme le sommet de ce qu’il y a de plus grand et de meilleur dans l’homme : c’est d’une part la capacité à faire naître, à créer et d’autre part comme principe primordial, un amour gratuit.


    Que Dieu par sa parole soit créateur est exprimé à travers tout le premier chapitre de la Genèse. « Dieu dit » et l’univers existe, commence à naître. Cette parole de la Genèse ne se rapporte pas au passé, mais se dit dans le présent de l’univers. Ainsi ce qui existe l’est par la puissance de la parole créatrice de Dieu. C’est ainsi que l’univers qui nous entoure parle de Dieu à celui qui sait y voir la main d’une transcendance que certains nomment Dieu. Notre ressemblance avec Dieu porte donc la marque d’une naissance. Jésus l’avait indiqué à un Nicodème qui avait bien du mal à comprendre les paroles de Jésus. Rappelons-nous dans l’évangile selon saint Jean : « Ce qui est né de la chair est chair ; ce qui est né de l’Esprit est esprit. Ne sois pas étonné si je t’ai dit : il vous faut naître d’en haut. Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit. » Nicodème reprit : « Comment cela peut-il se faire ? » (Jn 3, 6-9). Ainsi l’évangile nous invite à comprendre qu’il y a en chacun une capacité à naître à nouveau : le souffle de l’Esprit qui planait sur les eaux au moment de la création, a été soufflé sur chaque être humain au moment de sa naissance en sorte qu’il puisse s’ouvrir à cette naissance merveilleuse où il découvre qu’il est vraiment fils et fille de Dieu. Saint Jean le dit, toujours dans sa première lettre : « Voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu – et nous le sommes »(1 Jn 3, 1). Ainsi nous pouvons dire en vérité que notre ressemblance avec Dieu vient de cette filiation avec lui. Il y a en tout être humain comme des « gènes » divin, des « gènes » de Dieu.


    C’est pour cela que Jésus n’a cessé de nous dire que Dieu est le Père de tous les humains. Lui-même ne s’adressait à Dieu qu’en le nommant « mon Père ». Et lorsque ses amis lui ont demandé de leur apprendre à parler à Dieu, Jésus leur recommande de dire « Notre Père ». Nous portons en nous la trace de cette filiation divine et cela que nous soyons croyants ou non.


    Nous voyons donc que toute personne humaine dit quelque chose de Dieu en référence consciente ou non à ce Père commun dont nous sommes « engendrés ». Bien sûr nous pouvons dire que cet engendrement est un cadeau gratuit qui n’enlève rien à notre situation de créature - contrairement à Jésus Christ, comme il est dit dans le credo de Nicée-Constantinople « engendré non pas créé ». En vérité nous sommes tous « nés de Dieu » (1 Jn 4, 7). Cette naissance divine, fruit de l’Esprit Saint qui nous habite, nous dit, comme d’ailleurs toute naissance, qu’il va falloir grandir ou, pour garder l’image de la naissance, qu’il nous faut naître tous les jours à la réalité de notre filiation divine.

 
    Nous comprenons donc que toute personne humaine, de par son existence même, laisse transparaître quelque chose de Dieu qui peut être reconnu par ceux qui croient.

    Venons-en maintenant à cette autre représentation de Dieu, la plus essentielle, et qui affirme que Dieu est l’amour même. Que Dieu soit désigné comme étant la perfection de l’amour est indiqué clairement dans la première lettre de saint Jean : « Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour vient de Dieu. Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour » (1 Jn 4, 7). C’est sans doute une des plus belles définitions de Dieu qui nous est donné. Mais si l’être de Dieu n’est qu’amour, cela veut dire que, créés à la ressemblance de Dieu, il y a en chaque être humain une aptitude à aimer, une capacité à aimer comme Dieu. Dans le passage que je vous citais à l’instant il est dit  « celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu ». Certes il y a beaucoup de façon d’aimer de la plus noble à la plus mauvaise comme lorsqu’on prétend aimer alors que nous ne recherchons que notre plaisir, l’autre n’étant qu’un objet que l’on utilise. Heureusement nous connaissons tous des personnes dont l’amour est généreux, gratuit, total, même si cet amour est toujours plus ou moins mélangé de retour sur soi.


    Chaque fois que quelqu’un aime en vérité, il ressemble à Dieu, même s’il n’en a aucune conscience et même s’il en refuserait l’idée. Comme le disait Jésus à Nicodème, chaque fois qu’il naît d’en haut, il se construit, et en même temps il construit sans même le savoir le Royaume de Dieu. Ains toute personne qui aime en vérité dit réellement quelque chose de Dieu, nous révèle quelque chose de Dieu.

3- Le sacrement du frère
    Au sens large, un sacrement est « un signe sensible à travers lequel Dieu parle, agit, se dit ». Dans ce sens on peut dire que la création tout entière est sacrement. Bien sûr seul le croyant peut reconnaître dans cet univers la trace de Dieu. Mais ce qui est dit de la création doit être dit de façon plus éminente de l’être humain. Tout être humain est sacrement c’est-à-dire est un signe sensible qui laisse transparaître Dieu pour celui qui sait voir.


    C’est dans ce sens que nous pouvons comprendre cette affirmation « l’ouverture à l’autre est un chemin vers Dieu ». Pour dire les choses autrement : dans toute relation aimante vraie, Dieu est présent étant l’amour même et la source de tout amour. Dans l’amour que je donne et que je reçois, quelque chose de Dieu m’est transmise. Dans cet amour reçu et donné s’élève une parole qui nomme Dieu et nous met en relation avec la vérité de Dieu. On comprend pourquoi l’amour est considéré comme la perfection de la Loi, comme contenant tout l’enseignement de la Loi et des prophètes. On comprend également pourquoi Jésus en a fait l’essentiel de la vie humaine et son commandement suprême : « Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13, 34-35). Cette parole est tellement essentielle que Jésus la répétera, toujours dans le dernier entretien avec ses amis : « Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15, 12). Jésus avait ajouté que c’est à l’amour qu’on pourra reconnaître ceux qui le suivent. N’est-ce pas dire en substance qu’à l’amour on peut reconnaître chez quelqu’un un frère en Jésus Christ, un fils de Dieu. Dans ce frère, Dieu qui est l’amour même vient se révéler et nous révéler à nous-mêmes. Dans ce frère qui aime, Dieu nous dit qui il est et qui nous sommes. Le frère est ainsi un vrai chemin vers Dieu.

4- La fermeture à l’autre, chemin de mort
    Si l’ouverture à l’autre est un chemin vers Dieu, nous faisons douloureusement l’expérience que ce chemin est difficile. S’ouvrir à l’autre n’est pas une démarche facile, pourquoi ? Parce que chaque être humain est, qu’il le veuille ou non, en rivalité avec l’autre. C’est ce que René Girard (anthropologue et philosophe français, 1923-2015) a longuement développé dans ses livres (« La violence et le sacré », « Le bouc émissaire »). Il a développé les conséquences du désir mimétique, la reconstruction du groupe par la désignation d’un bouc émissaire montrant ainsi les risques de mort quand les relations humaines sont perverties. Pour donner un exemple, nous sommes deux a vouloir le même et unique objet. Comme cet objet ne peut appartenir qu’à une seule personne, les deux vont se battre à mort afin de savoir qui va l'emporter. Lorsqu’il s’agit d’un groupe social, ce combat entraîne la mort du groupe ; pour l’éviter et maintenir le survie du groupe, celui-ci va désigner une personne comme coupable de la division du groupe ; cette personne pourtant innocente, le bouc émissaire, sera exclue du groupe qui retrouvera alors son unité dans la condamnation unanime d’une seule personne. 


    Or cette rivalité est constitutive de notre vie humaine. Dans le dernier entretien de Jésus rapporté dans l’évangile de Jean et dont nous avons cité un extrait tout à l’heure, le commandement de l’amour est suivi de cet lourde affirmation : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15, 13). Qui est prêt à donner sa vie ? La gratuité du don de soi est certes source de bonheur, mais combien difficile tant notre ego refuse de se perdre dans le don fait à l’autre. Pourtant c’est bien ce que Jésus nous enseigne : « Appelant la foule avec ses disciples, il leur dit : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive » Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera » (Mc 8, 34-35). C’est justement ce que Dieu a fait pour nous : il a perdu sa vie en Jésus. suivre ainsi le Christ est un long et dur travail. Pourtant c’est le seul chemin du bonheur. L’expérience nous montre combien la rivalité entre les humains conduit à la destruction de l’homme. Seul cet amour gratuit peut construire un « être ensemble » heureux.

5- Toute relation aimante est à l’image de la Trinité
    Nous conclurons cette réflexion en montrant que nos relations humaines source de bonheur sont à l’image de la Trinité.


    Je considère que les chrétiens ont une chance formidable de croire en un Dieu qui est relations aimantes dans son être même, ces relations qu’avec nos mots humains nous désignons sous les mots de « Père, Fils et Esprit ». C’est dans cette circulation d’un amour infini que nous a été présenté le Dieu de Jésus Christ. C’est dans ces relations aimantes que nous pouvons dire quelque chose de Dieu : Dieu est un amour qui se donne et se reçoit dans une existence éternelle. Créés à la ressemblance de Dieu, toute relation humaine porteuse à la fois d’amour et de vérité dit cette relation première qu’est Dieu lui-même. Ces relations humaines sont donc à la fois parole sur Dieu et chemin vers Dieu.


    Il donc de la responsabilité du chrétien d’être témoin de cette relation trinitaire dans l’espérance qu’au moment de notre mort, nous serons pleinement et définitivement en Dieu, partageant en plénitude cette relation divine, partage qui n’était que partiel et obscur ici-bas selon la parole de saint Paul aux chrétiens de Corinthe : « Nous voyons actuellement de manière confuse, comme dans un miroir ; ce jour-là, nous verrons face à face. Actuellement, ma connaissance est partielle ; ce jour-là, je connaîtrai parfaitement, comme j’ai été connu » (1 Co 13, 12).
 

Publié dans Conférences

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