Que se passe-t-il à la Messe ?

Publié le par OverBlog

“L’Eucharisite fait le Corps du Christ, l’Église est le Corps du Christ : 

que se passe-t-il à la Messe ?”

 

La phrase qui sert de titre à notre rencontre a en son centre le “Corps du Christ”. Cette expression est particulièrement mise en avant dans la pensée de Saint Paul. C’est lui qui a développé la théologie du “Corps du Christ”, cette réalité spirituelle qui entend signifier cette union étonnante entre le Christ et tous ses frères les hommes, union désirée, voulue par Dieu. C’est le Corps du Christ qui est au coeur et de l’eucharistie et de l’Église. On ne peut pas dissocier l’Église et l’Eucharistie car dans les deux, il est question du Corps du Christ. Le titre de notre rencontre fait écho à la parole du Père de Lubac, un des grands théologiens du Concile Vatican II qui écrivait : “L’Église fait l’Eucharistie et l’Eucharistie fait l’Église”. C’est une manière différente mais très proche de dire le lien qui existe entre l’Eucharistie, l’Église et le corps du Christ.


Nous diviserons notre propos en quatre points D’abord sur l’importance du corps dans la pensée chrétienne. Dans une deuxième partie, nous verrons qu’à la Messe cette réalité du Corps est signifiée sacramentellement. Puis en troisième partie, nous regarderons ce qui se passe à la Messe et comment le corps se construit. Enfin nous tirerons quelques conclusions importantes de cette affirmation que l’Église est le corps du Christ.


1- Importance du corps dans la pensée chrétienne.

Je commencerai donc mon propos par une réflexion sur cette réalité mystérieuse qu’est le Corps du Christ. Le corps est en effet au centre de l’Incarnation et au centre du lien entre le Christ Jésus et son Église. Le corps est au centre de l’Incarnation comme le mot même d’incarnation le dit : “in-carnation” “dans un corps”. C’est aussi un élément majeur de notre credo dans le symbole de Nicée-Constantinople : “Il a pris chair (“il a pris corps”) de la Vierge Marie”. Dieu aurait pu se révéler et dire son projet d’amour pour l’humanité par une manifestation d’ordre spirituel, mais prendre un corps d’homme lui a semblé le moyen le plus parfait pour dire la dignité de l’homme et ce à quoi il est appelé, vivre un partenariat d’amour qui respecte totalement la liberté humaine. Certes, l’Incarnation n’était pas de l’ordre de la nécessité pour Dieu, mais elle apparaît comme le moyen le plus parfait pour réaliser le désir de Dieu sur l’humanité.


Curieusement au cours des siècles, l’Église est apparue comme particulièrement méfiante par rapport à la place du corps, sans doute influencée par le dualisme platonicien qui oppose le corps et l’âme. Cette conception est totalement contraire et à la pensée juive et à l’univers chrétien. L’importance du corps est exprimé à tous moments dans les évangiles, en particulier dans l’attitude de Jésus face à toutes ces maladies qui défigurent le corps, empêchant la personne de déployer ses possibilités et entravant sa liberté. Pensons à la parole de Jésus citant le prophète Isaïe lorsque les envoyés de Jean Baptiste viennent lui demander s’il est bien le Messie attendu : “Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent, la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres” Lc 7, 22. Tous ces corps malades, les sourds, les boiteux, les aveugles, les lépreux touchent le coeur de Jésus qui ne peut s’empêcher d’y voir son propre corps souffrant. Il le dira d’ailleurs explicitement lors du jugement lorsqu’il affirme que les gestes fait pour les malades, pour ceux dont le corps avait faim, pour ceux qui souffraient, étaient comme si ces gestes étaient faits à lui-même. Jésus identifie son corps aux corps souffrants de ses frères.


C’est aussi cette importance du corps qui est à l’origine justement du dernier repas de Jésus, source du repas eucharistique, avec ces paroles étonnantes de Jésus : “Voici mon corps livré... voici mon sang versé” faisant référence à sa passion et à sa mort sur la croix.


Mais c’est bien sûr Saint Paul qui a exprimé le plus fortement et le plus clairement la place du corps dans la pensée chrétienne. Vous connaissez par coeur ce passage de la première lettre aux Corinthiens au chapitre 12 : “Frères, prenons une comparaison : notre corps forme un tout, il a pourtant plusieurs membres ; et tous les membres, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps. Il en est ainsi pour le Christ. Tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, nous avons été baptisés dans l’unique Esprit pour former un seul corps. Tous nous avons été désaltérés par l’unique Esprit.

Le corps humain se compose de plusieurs membres, et non pas d’un seul.

Le pied aura beau dire : « Je ne suis pas la main, donc je ne fais pas partie du corps », il fait toujours partie du corps. L’oreille aura beau dire : « Je ne suis pas l’oeil, donc je ne fais pas partie du corps », elle fait toujours partie du corps. Si, dans le corps, il n’y avait que les yeux, comment pourrait-on sentir les odeurs ? Mais, dans le corps, Dieu a disposé les différents membres comme il l’a voulu. S’il n’y en avait qu’un seul, comment cela ferait-il un corps ? Il y a donc à la fois plusieurs membres comme il l’a voulu. Il y a donc à la fois plusieurs membres, et un seul corps. L’oeil ne peut pas dire à la main : « Je n’ai pas besoin de toi » ; la tête ne peut pas dire aux pieds : « Je n’ai pas besoin de vous ». Bien plus, les parties du corps qui paraissent les plus délicates sont indispensables, c’est elles que nous traitons avec le plus de respect ; celles qui sont moins décentes, nous les traitons plus décemment ; pour celles qui sont décentes, ce n’est pas nécessaire. Dieu a organisé le corps de telle façon qu’on porte plus de respect à ce qui en est le plus dépourvu : il a voulu qu’il n’y ait pas de division dans le corps, mais que les différents membres aient tous le souci les uns des autres. Si un membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance ; si un membre est à l’honneur, tous partagent sa joie. 

Or, vous êtes le corps du Christ et, chacun pour votre part, vous êtes les membres de ce corps”. 


De ce passage nous pouvons retenir quelques affirmations essentielles pour notre foi. D’abord la diversité du corps. Chacun est unique avec sa personnalité, son histoire, ses charismes ; mais chacun est important pour l’ensemble, non seulement important, mais indispensable comme le pied ou la main ou l’oeil ou l’oreille pour le corps. C’est ainsi , nous en reparlerons, que chacun est indispensable à la célébration de l’eucharistie comme à la vie de l’Église. D’autre part les fonctions sont différentes, il n’est pas demandé à chacun de tout faire ou de faire ce pour quoi il n’est pas fait, la main n’est pas l’oeil ou l’oreille ou le coeur. Un troisième élément qui découle de l’allégorie du corps est la solidarité entre tous les membres du corps : aucun ne peut dire qu’il n’a besoin de personne, qu’il n’a pas besoin des autres : “L’oeil ne peut pas dire à la main : « Je n’ai pas besoin de toi » ; la tête ne peut pas dire aux pieds : « Je n’ai pas besoin de vous ». De plus, Saint Paul nous rappelle que dans le corps personne ne peut se dire supérieur aux autres : “Dieu a organisé le corps de telle façon qu’on porte plus de respect à ce qui en est le plus dépourvu”. Ces caractéristiques du corps selon Saint Paul doivent marquer profondément la vie de notre Église. Nous avons sans cesse à réfléchir sur la façon dont vivent les membres du corps en référence à la leçon magistrale de Saint Paul.


Enfin, mais c’est sans doute la parole la plus importante du passage, Paul affirme en conclusion que nous sommes en vérité le corps du Christ et membres les uns des autres. Il nous faut garder en mémoire tous ces éléments lorsque nous parlons de l’Église comme de l’Eucharistie. Ils nous aident à comprendre comment notre Église doit vivre.


Ajoutons que le “corps” selon les conditions dans lesquelles il est placé, modifie nécessairement les comportements de la personne et par voie de conséquence sa vision du monde et des autres. Dans l’introduction au livre “De la subversion en religion”, l’exemple des prêtres-ouvriers montre que l’immersion du “corps” dans une situation ouvrière modifie la vison que l’on a de soi-même, de l’institution à laquelle on appartient, du monde. Nous sommes des êtres situés corporellement dans ce monde.


2 - A la Messe cette réalité du Corps est signifiée sacramentellement.

 

Reprenons le récit de la dernière Cène. Nous le trouvons dans les évangiles de Matthieu, de Marc et de Luc avec quelques nuances. Voici le récit de Luc : “Puis il prit du pain et, après avoir rendu grâce, il le rompit et le leur donna en disant : Ceci est mon corps donné pour vous. Faites cela en mémoire de moi. Et pour la coupe, il fit de même après le repas, en disant : Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang versé pour vous”.


Saint Paul dans la première lettre aux Corinthiens reprend le récit de ce dernier repas : “Voici ce que moi j’ai reçu du Seigneur, et ce que je vous ai transmis : le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain, et après avoir rendu grâce, il le rompit et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous, faites cela en mémoire de moi. ». Il fit de même pour la coupe, après le repas, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang ; faites cela, toutes les fois que vous en boirez, en mémoire de moi.». Car toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. C’est pourquoi celui qui mangera le pain ou boira la coupe du Seigneur indignement, se rendra coupable envers le corps et le sang du Seigneur. Que chacun s’éprouve soi-même avant de manger ce pain et de boire cette coupe ; car celui qui mange et boit sans discerner le corps mange et boit sa propre condamnation” 1 Co 11, 23-29.


Si nous relions ce que nous dit Paul du corps dans le chapitre 12 cité plus haut avec le récit de l’eucharistie que nous venons de rappeler à travers le récit de Luc et de Paul, nous sommes conduits à une vision neuve de l’eucharistie. En effet, si nous sommes le corps du Christ, nous sommes avec le Christ en train de dire : “Ceci est mon corps”. C’est pourquoi, Saint Augustin avait raison quand il disait à ceux qui venaient communier : “Recevez ce que vous êtes”. Si c’est le ministre ordonné qui prononce les paroles de l’institution, il le fait au nom de l’assemblée et en communion avec les paroles de Jésus à la dernière Cène. Dans l’expression “Faites cela en mémoire de moi”, le mot “mémoire” ne doit pas être entendu comme un souvenir ; on ne se contente pas de se souvenir du dernier repas de Jésus. Le mot se traduit littéralement par “mémorial”. Un mémorial rend présent l’événement fondateur au moment où il est posé. En disant “Ceci est mon corps”, l’assemblée rend présente l’événement fondateur qu’est la mort et la résurrection de Jésus en même temps qu’elle désigne, rend présente et construit cette Église qui est le corps de Jésus et dont il est, comme on dit, la tête.

 

Ainsi, quand on dit avec le Père de Lubac : “C’est l’Église qui fait l’Eucharistie, mais c’est aussi l’Eucharistie qui fait l’Église” (“Méditations sur l’Église” 1953 p.5), on dit que c’est le même corps qui est rendu présent sacramentellement dans l’Eucharitie et c’est le même corps qui rend témoignage de la mort et de la résurrection de Jésus dans la vie quotidienne des membres de l’Église.

Restons quelques instants sur cette énorme affirmation : on ne peut dissocier le Christ de son Église puisqu’il s’agit d’un même corps dont il est la tête et nous les membres.

Nous disions que c’est un même corps qui est rendu présent sacramentellement dans l’Eucharistie et dans l’Église. Les chrétiens sont “sacrement” du Corps du Christ en tant que  membres de ce corps, comme le pain et le vin consacrés sont “sacrement” du Corps du Christ en tant que tête de ce Corps. 

 

 Disons d’abord un mot sur le sens de cette réalité qu’on nomme “sacrement”. Notre vie humaine est marquée par des actions symboliques dont une ou plusieurs constitueront un rite. Contrairement à certaines opinions courantes, l’action symbolique non seulement ne s’oppose pas au réel, mais l’action symbolique est ce qu’il y a de plus réel dans nos vies car elle éclaire nos vies et lui donne du sens. Prenons un exemple : lorsqu’un mari, le jour anniversaire de son épouse rentre le soir avec un beau bouquet de fleurs, ce bouquet offert est une action symbolique en ce sens qu’au-delà de l’apparence, au-delà des fleurs si belles soient-elles, c’est l’amour de ce mari pour sa femme qui est dit à travers le cadeau. Mais plus encore ce n’est pas seulement l’amour d’un moment qui est signifié par le geste, mais le bouquet vient donner du sens à tout ce qui est vécu par ce couple, donne du sens à tout l’amour qui se déploie au long des jours et que le geste du bouquet rend présent, authentifie, confirme. Ainsi la réalité de ce geste tout simple déborde le moment où ce geste est posé. Le geste symbolique du bouquet manifeste la réalité de l’amour plus fortement que toutes les paroles qui tenteraient de l’exprimer. Il signifie et confirme ce qui est vécu dans ce couple.


C’est ainsi que le rite eucharistique signifie la réalité du corps du Christ qui est un corps filial, déjà dans la gloire en sa tête et en même temps appelé à la gloire pour la totalité du Corps. C’est le “déjà là” et le “pas encore” dont parlait le Père Congar. Corps du Christ, nous sommes déjà fils ou filles dans le Fils. Cependant comme le dit Saint Paul ce que nous sommes n’a pas encore été manifesté, mais “quand le Christ, votre vie, paraîtra, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire” Co 3, 4. Ainsi, dans cette action symbolique qu’est l’Eucharistie est signifiée l’unité du corps, est signifiée cette réalité filiale que nous tentons de vivre au jour le jour en communion avec notre frère Jésus.  C’est ainsi que l’Eucharistie manifeste et anticipe la réalité eschatologique de notre gloire éternelle, la gloire éternelle du Corps du Christ en Dieu.


3 - Ce qui se passe à la Messe.

Selon les récits de la dernière Cène, on voit que le but du rite eucharistique concerne les disciples de Jésus et au-delà les hommes et les femmes dans le monde. En effet Jésus dit “Ceci est mon corps livré pour vous... Ceci est mon sang versé pour vous et pour la multitude”. Le don du corps et du sang est bien “pour vous” et “pour la multitude”. Certes, l’eucharistie que nous célébrons est la prière du Christ à son Père en communion avec nous, mais il reste que l’eucharistie a comme but principal de nourrir le corps. L’eucharistie est donc le mystère du don de la vie ressuscitée de Jésus à son Corps, c’est-à-dire à l’humanité tout entière et en particulier au Corps de ses amis qui participent à cette célébration. La tête du Corps nourrit les membres du Corps. Ainsi, l’eucharistie est pour le monde. Nous dirions, elle est pour le salut du monde comme l’a été toute la vie terrestre de Jésus, comme l’ont été sa mort et sa résurrection.


Comment comprendre ce salut que Jésus est venu apporter au monde et qui est signifié dans l’eucharistie ? Nous pouvons le comprendre à travers deux paroles fondatrices de Dieu telles que la Révélation nous l’a fait découvrir. C’est la parole créatrice de Dieu et la parole d’amour de Dieu relevant Jésus de la mort.

 

Dès l’aube de l’humanité, l’homme a cherché à savoir d’où il venait et où il allait. C’est comme cela qu’il pouvait se situer dans l’existence. Il a ainsi fabriqué des mythes lui permettant d’élaborer un discours où il pourrait donner du sens à sa vie. Il a inventé des rites à travers lesquels il sortait du banal, du quotidien pour rejoindre une réalité plus profonde, plus signifiante de lui-même et du monde. La célébration rituelle, symbolique est précisément l’effort de l’homme pour se situer dans l’univers, se sentir rattaché à une dimension universelle, cosmique, embrassant d’un même mouvement l’origine et la fin. Toute célébration dira l’homme à la recherche de son unité originelle et l’homme à la recherche de son avenir. Le salut, c’est ce qui permet à l’homme de se situer dans son origine comme dans sa fin, son avenir.

 

 La célébration eucharistique désigne la source et l’accomplissement de l’humanité en Jésus. Elle est liée à un double rythme, celui de la Genèse et le rythme de Pâques : le rythme de la Genèse, cette parole d’amour de Dieu qui éveille à la vie, et le rythme pascal qui est passage vers la résurrection, qui est accomplissement. Ces deux éléments se trouvent à l’intérieur de toute célébration chrétienne renouant ainsi avec les racines de l’homme à la recherche de la signification totale de sa vie. En ce sens ils sont les fondements du salut de l’homme.

 

 Dans le rythme de la Genèse, il y a la parole d’amour de Dieu, parole qui est efficace, qui éveille réellement, qui suscite une vie et, en ce qui concerne l’homme, une vie libre, capable d’offrir une réponse à Dieu. Dans le rythme pascal, mystère du Christ, il y a une liberté qui se donne. Ce don apparaît comme une sortie de soi-même, comme une perte, comme une mort. Mais parce qu’elle est don, cette sortir de soi, cette perte, cette mort va basculer en accomplissement, en plénitude de soi, en plénitude de communion, en plénitude de résurrection.

 

 Toute célébration chrétienne, toute eucharistie doit vibrer à ce double rythme. L’eucharistie est donc un moment où nous écoutons battre notre propre vie, où le Corps du Christ entend battre sa vie. Nous écoutons battre la vie du Christ, la vie du corps du Christ, notre vie. Notre véritable vie est donc cette double pulsation qui nous fait naître à cause de la Parole de Dieu et qui nous fait advenir à cause de la résurrection du Christ. Dans l’eucharistie, nous sommes portés par ces deux rythmes essentiels : un rythme de naissance par la parole de Dieu créatrice et un rythme d’accomplissement dans la partie eucharistique qui nous associe à la résurrection de Jésus. Dans toute célébration et particulièrement dans la célébration eucharistique, on « nait » et on « devient » au rythme de la Genèse qui est éveil et au rythme de Pâques qui est promesse.

 

 Ce double rythme du corps du Christ donne le sens de la mission de Jésus et de la nôtre. Jésus n’a rien fait d’autre que faire naître à la vie divine et donc à la vie humaine parfaite tous ceux qu’il a rencontré sur sa route, l’humanité tout entière. Et  sa mission se poursuivait par la participation à sa Pâques, à sa résurrection. La mission qu’il nous est donnée de poursuivre n’a pas d’autres objectifs : aider nos frères et sœurs à naître à ce qu’ils sont en vérité c’est-à-dire à leur humanité la plus profonde et ainsi orienter leur vie vers la vie ressuscité qui est partage éternel de la vie de Dieu en et par notre frère Jésus. 

 

 Ainsi quand nous posons la question : qu’est-ce qui se passe à la Messe, nous pouvons répondre : à la Messe le corps du Christ que nous sommes naît et ressuscite en communion avec le Seigneur ressuscité, présent à travers le rite de la Parole proclamée et du pain consacré mangé. À la Messe c’est notre vie qui est manifestée dans la plénitude de notre communion au Christ Jésus. À la Messe nous sommes en train de naître à notre vie qui est divine et nous sommes en train de percevoir ce vers quoi nous nous acheminons.


4 - “Recevez ce que vous êtes, devenez ce que vous recevez”


Dans une dernière partie, je voudrais tirer quelques conclusions de ce regard de foi que nous avons porté sur le Corps du Christ. Saint Augustin disait : “Recevez ce que vous êtes, devenez ce que vous recevez”. Cette parole de Saint Augustin résume bien le propos de notre rencontre d’aujourd’hui. L’affirmation : “l’Église est le Corps du Christ” découle immédiatement de la parole de Paul citée plus haut : “Vous êtes le corps du Christ”. “Vous êtes” et donc vous les disciples de Jésus. Si l’Église se définie selon le Concile Vatican II comme “le Peuple de Dieu”, nous pouvons en vérité affirmer que le “vous êtes” s’applique au Peuple de Dieu et donc à l’Église. De cela découle un certain nombre de conséquences : la première est un lien fort et indissociable entre le Christ et l’Église. La seconde conséquence est que l’Église est le signe au milieu des hommes du désir de Dieu de rassembler l’humanité tout entière dans son amour. Enfin la troisième conséquence est que la mission de l’Église est la même que la mission de Jésus , elle en est le prolongement.  Reprenons ces trois aspects de l’affirmation : “L’Église est le corps du Christ”.


a) L’Église, corps du Christ suppose un lien étroit entre elle et la personne de Jésus. Ce lien ne donne pas à l’Église la perfection de la personne du Christ. En effet, l’Église reste humaine avec ce que l’humanité comporte de faiblesses et d’erreurs, ce qui ne l’empêche pas de témoigner du ressuscité au cours des siècles. Cette faiblesse a été marquée dès le début par la faiblesse de ses amis les plus proches : l’abandon de ses apôtres au jardin de Gethsémani ou le reniement de Pierre dans la cour du grand prêtre. Cette faiblesse humaine s’est manifestée dans l’Église tout au cours des siècles, suivant les aléas de son histoire qui est  humaine dans ses membres. Et en même temps, le monde était assurée qu’à travers cette Église, malgré ses faiblesses, la Bonne Nouvelle de Jésus serait annoncée jusqu’à la fin des temps. Jésus n’a-t-il pas dit et c’est le dernier mot de l’évangile selon Saint Matthieu : “Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps” Mt 28, 20. Cette présence  de la tête du corps dans ce corps qu’est l’Église, fait que, malgré les insuffisances de son humanité, l’Église est assurée que l’Esprit du Christ insuffle à cette Église ce qui lui est nécessaire pour que la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu transparaisse et rejoigne ce monde que Dieu aime. L’Église a donc une double exigence : S’ouvrir à l’Esprit Saint pour trouver et redécouvrir sans cesse sa fidélité à cette présence du Christ son Seigneur. Et d’autre part purifier sans cesse sa vie et ses représentations de Dieu afin d’être fidèle à la mission qui est la sienne.


b) L’Église, corps du Christ se doit d’être signe au milieu du monde d’un Dieu qui ne cesse de désirer le bonheur des hommes. Ceci veut dire que sa parole, ses gestes, ses directives, ses décisions doivent être toujours pour le bonheur des hommes puisque c’est le désir le plus profond de Dieu tel que Jésus n’a cessé de nous le révéler. Il ne devrait pas y avoir d’opposition entre la recherche d’une humanité heureuse et l’effort de l’Église pour annoncer le Christ et son évangile. Il n’y pas d’opposition entre la quête humaine et la gloire de Dieu puisque, selon saint Irénée, la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant. Certes, le bonheur de l’homme selon Jésus passe par toutes les exigences de l’évangile depuis l’amour du prochain jusqu’au don de sa vie, depuis l’attention à l’autre jusqu’à être son serviteur et lui laver les pieds comme Jésus lors de son dernier repas. Ces exigences ne vont pas dans le sens d’une vie repliée sur elle-même à la recherche d’un bonheur égoïste. D’autre part, les propositions de l’Église peuvent aller à l’encontre d’un certain nombre de manières de vivre du monde. Nous savons que Jésus a fait la différence entre le monde obscur qui favorise les instincts les plus vulgaires et ce monde de lumière appelé par Dieu au bonheur éternel. L’Église doit être signe de ce monde qui apporte la véritable joie.


c) Enfin la troisième conséquence de l’Église, corps du Christ,  est que la mission de l’Église est la même que la mission de Jésus, elle en est le prolongement. Il y a un seul corps, il y a une seule mission. C’est pourquoi, l’Église aura toujours à s’interroger pour savoir si ce qu’elle dit et ce qu’elle fait sont au plus près de l’exemple qu’a donné son Seigneur. Bien sûr, au cours des siècles, l’Église doit s’organiser. Elle développe, et c’est légitime, une stratégie pour se maintenir et communiquer cette Bonne Nouvelle selon la prescription du Christ. Toutefois, il y a des circonstances où la miséricorde doit prévaloir sur la règle, où l’attitude extrême peut être plus proche du Christ que la prudence.  Nous avons vu au cours des siècles que par “prudence” l’Église a souvent manqué des rendez-vous avec un monde plus touché par la miséricorde, par l’accueil des pécheurs, par un cri contre l’injustice, contre les blessures faites à l’homme que par les règlements ou les principes si justes soient-ils. Nous voyons que des chrétiens, des communautés chrétiennes, aujourd’hui encore acceptent le martyre plutôt que de renoncer à leur attachement au Christ. Bien sûr, qui peut exiger le martyre d’un frère chrétien ? Il reste que la mission de l’Église peut appeler certains de ses membres et parmi eux les plus responsables à une position qui met en cause sa vie. Toutefois, ne nous trompons pas de combat. Ne confondons pas notre idéal personnel avec l’idéal évangélique et restons modestes dans les jugements que nous sommes amenés à porter.

Bien sûr, les formes de la mission portée par les disciples de Jésus, varient selon les temps et les circonstances. Le monde change, les questions des hommes se modifient appelant de nouvelles réponses. Il reste que c’est la figure de Jésus qui doit rester le modèle permanent puisque c’est Jésus qui est la tête de ce corps qu’est l’Église et qu’on ne peut les séparer.

 

 

Sainte Marie des Batignolles

25 mars 2010

Publié dans Conférences

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