« Sortir, s’ouvrir sur l’extérieur »

Publié le par Père Maurice Fourmond

Retraite d'Avent chez les Spiritains 
samedi 2 décembre 
Topo 1 

« Sortir, s’ouvrir sur l’extérieur »


    Pour notre journée de récollection, nous avons choisi deux thèmes qui sont au centre de notre vocation missionnaire. Le premier, que nous méditerons ce matin, est sur le fait que la mission par définition nous oblige à « sortir » puisque nous sommes « envoyés » vers autrui. L’autre thème que nous méditerons cet après-midi sera sur l’espérance, cette espérance qui habite celui qui, à la suite de Jésus, prend le risque de « partir ». Mais réfléchissons ce matin sur cette exigence qui consiste à « sortir».

1 - L’amour vrai demande de sortir pour aller vers l’autre. 
    L’expérience nous montre que celui qui aime vraiment doit sortir de lui-même pour rencontrer l’autre.Tout amour vrai demande de s’ouvrir sur l’autre, de quitter sa seule façon de voir pour entrer dans l’univers de l’autre seul chemin pour un véritable échange. Un amour fermé sur lui-même est narcissique comme Narcisse qui contemplait dans l’eau son propre visage. Cet amour-là n’a aucune fécondité et conduit à la mort. Tout au contraire l’amour vrai est un amour qui se donne, un amour qui est don de soi à autrui. Mais le don suppose par définition de lâcher quelque chose et s’il s’agit de se donner soi-même, de se quitter pour rejoindre l’autre. Comment se donner en restant enfermer sur soi, en gardant pour soi ce qu’on voudrait offrir ?

  Le don de soi exige paradoxalement de se perdre pour se gagner. N’est-ce pas d’ailleurs ce que Jésus n’a cessé de dire et de faire : « Celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la trouvera » (Mt 16, 25). C’est l’aspect fondamental de toute relation d’amour : on choisit de se donner à l’autre, de donner quelque chose de soi-même, de sa propre vie ; alors, on découvre que dans cette perte de soi, on se retrouve meilleur. N’est-ce pas l’expérience de tout don authentique ? Chaque fois que nous nous donnons, nous recevons bien plus que nous n’avons donné. C’est bien ce que Jésus disait à ses amis : « Amen, je vous le dis : nul n’aura quitté, à cause du royaume de Dieu, une maison, une femme, des frères, des parents, des enfants, sans qu’il reçoive bien davantage en ce temps-ci et, dans le monde à venir, la vie éternelle » Lc 18, 29-30. Oui, en sortant de soi, en quittant nos sécurités, en se donnant, nous recevons dès maintenant au centuple, nous construisons notre propre vie, nous devenons ce que nous sommes vraiment, nous nous retrouvons nous-mêmes dans la vérité de ce que nous sommes devant Dieu.

    Créés à l’image de Dieu, nous retrouvons en Dieu lui-même de don de soi absolu. Ce don total de soi est déjà ce que la Bible nous dit de Dieu lui-même quand il nous montre que Dieu n’est que relation d’amour. Un petit récit souligne cet aspect essentiel de notre foi. Ce récit met en scène un sage venu d’orient dans notre capitale parisienne. Il interroge les passants : « Où puis-je trouver résumé, l'essentiel de la foi chrétienne ? » On lui dit qu'à la Bibliothèque Nationale, il trouvera tous les livres qu'il désire. Notre sage se rend donc à la Bibliothèque et réitère sa demande. L'employé est perplexe : « Cher Monsieur, il y a des milliers de livres sur la foi chrétienne ». « Pouvez-vous m'indiquer un auteur qui fasse autorité ? » Le préposé qui ne manque pas de culture lui indique ce grand théologien que fut Saint Thomas d'Aquin « mais, ajoute-t-il, il a écrit de nombreux ouvrages ». « Indiquez m'en un particulièrement important ». L'employé va chercher dans la Somme Théologique de Saint Thomas le livre sur la Trinité et le tend au vieux sage. Celui-ci va s'asseoir à une petite table, ouvre le livre et tombe sur le chapitre intitulé : « Dieu est relation ». Le vieux sage reste un moment en silence, puis il rend le livre au bibliothécaire en lui disant « Merci, cette phrase me suffit ». Ce petit récit souligne un aspect capital de notre foi chrétienne comme ce qui en fait la beauté ;  les chrétiens représentent Dieu comme étant une relation d’amour dans son être même.

    Nous l’affirmons en nous fondant sur ce qui est dit dans la première lettre de saint Jean « Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour vient de Dieu. Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour » (1 Jn 4, 7-8). Mais si Dieu est l’amour même, il ne peut être que don absolu de lui-même, son être se définit comme don total et absolu. L’amour, le don de soi suppose un autre à aimer, suppose de se donner à quelqu’un, quelqu’un qui est aimé. Cette affirmation au sujet de Dieu, tout en restant un profond mystère, souligne la cohérence de notre foi en un Dieu trinitaire. En nommant Dieu « Père, Fils et Esprit », nous entendons dire que Dieu est don parfait de lui-même, il est un don de vie et d’amour donné et reçu :  le Père se donne au Fils qui se donne lui-même au Père, dans une communion que nous nommons l’Esprit. Un petit livre de Jean-Noël Besançon était intitulé « Dieu n’est pas solitaire », montrant par là que si Dieu est amour, il ne peut que partager cet amour et cela déjà en lui-même. Avec nos mots humains, nous nommons ce partage d’amour en Dieu avec les mots de « Père, Fils et Esprit ».

    Mais la définition de Dieu comme l’amour même nous permet de comprendre  l’Incarnation et donne toute sa cohérence à ce grand mystère. C’est saint Thomas d’Aquin qui rappelait que l’amour est diffusif de lui-même. Autrement dit qu’un amour véritable tend à se répandre sans rien perdre de son identité comme de sa force ; nous disons la même chose d’ailleurs de la lumière et du feu. Il est de la nature de l’amour de se communiquer. C’est ce qui a amené Dieu à « sortir » si je puis dire de sa condition divine pour communiquer cette vie divine à autre que lui et c’est ainsi qu’il a voulu prendre notre condition humaine en Jésus de Nazareth. Saint Paul le dit clairement dans sa lettre aux Philippiens :  « Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix » (Ph 2, 6-8). Les mots utilisés dans ce passage : « anéanti », « abaissé », « obéissant », disent ce mystère infini d’un Dieu qui est « sorti » pour venir partager notre condition humaine fragile afin de montrer aux humains le chemin du don gratuit à l’image de ce Dieu qui donne gratuitement sa vie, comme il entend partager avec nous sa propre vie. Ainsi, « sortir » est l’expression merveilleuse d’une vie divine faite de don et de partage. C’est l’exigence de tout amour authentique, c’est le sens même de toute vie chrétienne, de toute vie missionnaire.

    Si notre vie humaine est marquée fondamentalement par le don de cet amour qu’est Dieu, si nous sommes créés « à l’image de Dieu », l’accomplissement de notre vie ne pourra se faire sans que nous-mêmes nous soyons à l’image de cet amour divin et donc que nous acceptions de sortir de nous-mêmes afin de vivre vraiment. C’est d’ailleurs le grand commandement qui est sans cesse répété dans les évangiles : « Les pharisiens, apprenant qu’il avait fermé la bouche aux sadducéens, se réunirent, et l’un d’entre eux, un docteur de la Loi, posa une question à Jésus pour le mettre à l’épreuve : « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? » Jésus lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. » (Mt.22, 34-40). Et, en saint Jean, Jésus précise comment aimer en se donnant lui-même comme exemple : « Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13, 34-35). Ainsi le sens profond de notre vie humaine n’est autre qu’aimer à la manière de Dieu, c’est-à-dire en se donnant aux autres, en abandonnant notre tendance au repli sur soi, bref en sortant de notre environnement sécurisant pour prendre le risque du don de soi.

2 - Jésus n’a pas cessé de « sortir » pour annoncer la bonne nouvelle du Royaume.
    Non seulement Dieu est « sorti » pour nous rejoindre en l’homme Jésus, mais Jésus, image de Dieu, n’a cessé de sortir pour partager avec tous ceux qu’il rencontrait  cet amour divin, parcourant ainsi les villages de son pays natal et même bien au-delà, dans les pays païens de Tyr et de Sidon.
    Contrairement aux rabbi de son époque, Jésus n’est pas rester sur place ; il n’a pas été comme Gamaliel assis à la porte du Temple pour enseigner ses disciples, ou comme son cousin Jean Baptiste situé au bord du Jourdain pour accueillir les gens repentants et leur donner un baptême de conversion. Jésus n’a cessé d’aller de village en village. C’était sa mission comme il le dira à ses amis qui voulaient le retenir chez eux. C’est au début de sa vie publique ; il était venu chez Simon Pierre dont il avait d’ailleurs guéri la belle-mère et le soir de nombreux malades ; il avait couché chez son ami, mais le matin il était sorti très tôt pour prier : « Le lendemain, Jésus se leva, bien avant l’aube. Il sortit et se rendit dans un endroit désert, et là il priait. Simon et ceux qui étaient avec lui partirent à sa recherche. Ils le trouvent et lui disent : « Tout le monde te cherche. » Jésus leur dit : « Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti. » (Mc 1, 35-38). Jésus a résisté à la tentation de rester avec ses amis dans le cocon amical sécurisant, il a pris le risque d’affronter le monde avec ses attentes mais aussi avec ceux qui le persécutaient, en s’attachant à la lettre de la Loi  et refusant d’en suivre l’esprit. « Allons ailleurs » dit Jésus, mais cet ailleurs n’est pas d’abord géographique, il est dans le choix de s’ouvrir à d’autres et pour cela de remettre en question nos habitudes de pensée et de comportement.

    Cette sortie de Jésus était exigée par sa mission : il devait ouvrir la porte du Royaume à tous les coeurs sincères quels qu’ils soient, ce qui lui faisait dire : « Amen, je vous le déclare : les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu », non que Jésus approuve le péché ou la prostitution, mais il accueille le pécheur qui se tourne vers lui. C’est ainsi que Jésus va aller chercher tous ceux qui sont perdus comme il le dit : « Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs » (Mt 9, 13). Et nous connaissons bien les grandes paraboles de la miséricorde. Dans la première, nous voyons le berger qui abandonne son troupeau pour partir à la recherche de la brebis perdue : « Alors Jésus leur dit cette parabole : « Si l’un de vous a cent brebis et qu’il en perd une, n’abandonne-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller chercher celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il la retrouve ? Quand il l’a retrouvée, il la prend sur ses épaules, tout joyeux » (Lc 15, 3-5). Cette parabole est bien significative de l’attitude missionnaire où nous voyons le bon berger qu’est Jésus lui-même sortir du bercail laissant là les brebis fidèles, pour s’aventurer dans la montagne à la recherche de sa brebis égarée ; nous voyons qu’il n’arrête pas de la chercher jusqu’à ce qu’il la trouve pour la prendre sur ses épaules et la ramener au bercail. 

   C’est l’attitude missionnaire par excellence. Mais Jésus nous indique les conditions. Dans la parabole du bon berger en saint jean, Jésus a cette parole décisive : « Je suis le bon berger : le bon berger se dessaisit de sa vie pour ses brebis » (Jn 10, 11). Nous retrouvons l’attitude fondamentale de celui qui aime : sortir de soi, se donner, se dessaisir de sa vie pour l’autre. Quelle perspective exigeante mais si proche de l’attitude de Dieu lui-même.

    Développant l’image du bon berger, Jésus va aller plus loin en se désignant comme la porte de la bergerie. Or cette porte n’est pas là pour enfermer les brebis, mais au contraire pour les laisser aller et venir  : « Celui qui entre par la porte, c’est le pasteur, le berger des brebis. Le portier lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix. Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom, et il les fait sortir. Quand il a poussé dehors toutes les siennes, il marche à leur tête, et les brebis le suivent, car elles connaissent sa voix... Jésus employa cette image pour s’adresser à eux, mais eux ne comprirent pas de quoi il leur parlait. C’est pourquoi Jésus reprit la parole : « Amen, amen, je vous le dis : Moi, je suis la porte. Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra entrer ; il pourra sortir et trouver un pâturage » (Jn 10, 2-9). Jésus est la porte, mais afin de permettre aux brebis d’aller et venir, « d’entrer et de sortir », certes d’être en sécurité dans l’enclos mais aussi de sortir en prenant le risque de la route incertaine afin de pouvoir, en vérité, rencontrer l’autre.

3 - Il faut sortir pour naître et entrer dans le Royaume
    Jésus utilise un autre mot pour inviter chacun de ses disciples à « sortir », c’est le mot « naître ». Il faut « naître à nouveau pour entrer dans le Royaume de Dieu. Cette affirmation est de Jésus lui-même dans son dialogue avec Nicodème. Vous connaissez bien ce passage au chapitre 3 de l’évangile selon saint Jean. Je vous cite les premiers versets : « Il y avait un homme, un pharisien nommé Nicodème ; c’était un notable parmi les Juifs. Il vint trouver Jésus pendant la nuit. Il lui dit : « Rabbi, nous le savons, c’est de la part de Dieu que tu es venu comme un maître qui enseigne, car personne ne peut accomplir les signes que toi, tu accomplis, si Dieu n’est pas avec lui. » Jésus lui répondit : « Amen, amen, je te le dis : à moins de naître d’en haut, on ne peut voir le royaume de Dieu. » Nicodème lui répliqua : « Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il entrer une deuxième fois dans le sein de sa mère et renaître ? » Jésus répondit : « Amen, amen, je te le dis : personne, à moins de naître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu ».

    Selon la parole de Jésus il y a donc notre naissance biologique et notre naissance à ce que nous avons à devenir, à ce que nous sommes en vérité. Cette naissance peut seule dire qui nous sommes vraiment. Cette seconde naissance commence dès le premier instant de notre vie, mais elle ne cesse de se construire au fil du temps. Certes il serait sans doute plus juste de parler de gestation plutôt que de naissance, notre naissance définitive devant se faire dans l’instant de notre mort. Dans l’histoire de l’Église, parlant de quelqu’un qui est mort, en particulier des saints, on parlera de leur naissance au ciel. Il convient donc, comme chrétiens, de réaliser que chacun est en train de naître à sa véritable vie tous les matins même si notre naissance définitive est encore à venir dans l’éblouissement de la rencontre lumineuse avec Dieu, dans le face à face éternel. Cette naissance progressive a aussi le nom de résurrection, ces deux termes étant très proches l’un de l’autre. 
    Or le principe même de toute naissance est précisément de sortir. Il faut sortir du ventre maternel pour vivre et nous savons que cette sortie est difficile pour le petit être qui naît ; il était tellement bien, en toute sécurité dans le ventre de sa mère. Et pourtant s’il était resté dans le cocon maternel, il n’aurait jamais développé sa propre vie. Ainsi en est-il de notre naissance spirituelle. Si nous n’acceptons pas de sortir de notre communauté chaleureuse, de franchir les frontières de notre Église pour aller, comme le dit le pape François aux marges de la société, aux “périphéries”, nous manquons à l’essentiel de notre vocation missionnaire comme aussi d’ailleurs de notre vocation de chrétien et d’hommes créés à l’image de Dieu. C’est ce que vous avez fait en entrant dans cette congrégation missionnaire et c’est ce que vous voulez continuer à vivre ici à Paris. Bien sûr la communauté chaleureuse est indispensable pour se ressourcer, mais tout comme l’Église, elle n’est pas une fin en soi. Déjà en mission à l’étranger, il est nécessaire de sortir de notre culture afin d’entrer et de comprendre la culture des autres, différents de nous, mais cela est tout aussi vrai lorsque nous sommes ici à Paris pour des tâches qui, apparemment, ne sembleraient pas exiger de sortir de soi. Et pourtant « à moins de naître d’en haut, on ne peut voir le royaume de Dieu ». Essayons de voir comment nous pouvons naître à nouveau dans le contexte qui est le nôtre aujourd’hui.

4 - Sortir : sens de la mission
    « Sortir » est d’abord une attitude spirituelle. C’est l’attitude spirituelle demandée à tout chrétien que le baptême a constitué témoin de l’évangile et donc missionnaire, le déplacement géographique n’en étant qu’une vocation particulière. Certes Dieu a demandé à Abraham de quitter son pays d’origine : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront ; celui qui te maudira, je le réprouverai. En toi seront bénies toutes les familles de la terre. » (Gn 12, 1-3). Mais c’est surtout un déplacement spirituel qui est demandé à Abraham et ce déplacement spirituel consiste pour Abraham et ses descendants à vivre une alliance avec le Dieu unique en se détournant des dieux païens. 

    Nous retrouvons la même exigence spirituelle dans les paroles de Jésus à ses apôtres lorsqu’il demande à ses amis de tout quitter pour le suivre. L’apôtre Pierre demandait à son maître quelle serait sa récompense pour avoir tout quitté afin de le suivre. et Jésus de répondre : « Jésus déclara : « Amen, je vous le dis : nul n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle » (Mc 10, 29-30). Notons le parallèle avec la parole de Jésus que j’ai cité tout à l’heure :  « Celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la trouvera » (Mt 16, 25). Ce que nous quittons par amour de l’Évangile, ce que nous perdons, nous le retrouvons au centuple dès maintenant, Jésus dit « en ce temps déjà ».

    Mais que veut nous dire Jésus en nous demandant de tout quitter pour le suivre ? Il entend nous dire que le don de soi, l’ouverture à l’autre, le témoignage d’une vie évangélique doit être placée avant toute autre considération d’attache si normales et naturelles soient-elles. Nous, missionnaires spiritains, avons de fait quitté nos attaches familiales, notre pays d’origine, mais le Seigneur nous demande d’aller plus loin et de nous détacher même de nos habitudes de penser, de vivre afin de nous ouvrir sur l’autre en particulier l’autre, pauvre, malade, abandonné. C’est ce que Jésus a fait comme il le dit aux envoyés de son cousin Jean :  « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » Jésus leur répondit : « Allez annoncer à Jean ce que vous entendez et voyez : Les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle » (Mt 11, 3-5). À chacun de voir quelle sortie il lui faut vivre pour témoigner de cette volonté missionnaire de Jésus…

    Dans un article des « Études » de ce mois de novembre 2017, Étienne Grieu, jésuite, écrivait que nous avons à être des « veilleurs aux bords du monde » et il ajoutait : « C’est vis-à-vis de ceux-là, qui peuvent basculer, soit du côté de notre monde commun, soit de l’autre côté, c’est-à-dire vers la mort, vers le chaos, vers la folie, vers le non-sens, que la question se pose : que devons-nous faire ? Leur faire signe qu’ils ont vraiment leur place dons notre monde commun ou les laisser à leur triste sort ?... Dans l’Évangile, c’est à partir du laissé-pour-compte que les liens se tissent entre tous » (p. 76-77).

    Cette sortie de soi pour rejoindre l’autre, le plus démuni, est précisément ce que le pape François nous demande dans sa magnifique exhortation apostolique « Évangelii Gaudium ». Dans le chapitre premier intitulé « Une Église en sortie » je citerai quelques lignes en conclusion de notre propos. Le pape François écrit : « La communauté évangélisatrice expérimente que le Seigneur a pris l’initiative, il l’a précédée dans l’amour (cf. 1Jn 4, 10), et en raison de cela, elle sait aller de l’avant, elle sait prendre l’initiative sans crainte, aller à la rencontre, chercher ceux qui sont loin et arriver aux croisées des chemins pour inviter les exclus. Pour avoir expérimenté la miséricorde du Père et sa force de diffusion, elle vit un désir inépuisable d’offrir la miséricorde. Osons un peu plus prendre l’initiative ! En conséquence, l’Église sait “s’impliquer”. Jésus a lavé les pieds de ses disciples. Le Seigneur s’implique et implique les siens, en se mettant à genoux devant les autres pour les laver. Mais tout de suite après il dit à ses disciples : « Heureux êtes-vous, si vous le faites » (Jn 13, 17). La communauté évangélisatrice, par ses œuvres et ses gestes, se met dans la vie quotidienne des autres, elle raccourcit les distances, elle s’abaisse jusqu’à l’humiliation si c’est nécessaire, et assume la vie humaine, touchant la chair souffrante du Christ dans le peuple. Les évangélisateurs ont ainsi “l’odeur des brebis” et celles-ci écoutent leur voix. Ensuite, la communauté évangélisatrice se dispose à “accompagner”. Elle accompagne l’humanité en tous ses processus, aussi durs et prolongés qu’ils puissent être. Elle connaît les longues attentes et la patience apostolique. » (§ 24).

    Demandons à l’Esprit Saint de nous aider à vivre cette sortie de soi, ce don de soi, perdre un peu sa vie dans la certitude que l’Esprit de Jésus nous comblera de sa vie et de sa joie.


 

Publié dans Conférences

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