Ce Dieu que j'aime et que je ne connais pas

Publié le par Père Maurice Fourmond

 

Halte spirituelle 

Saint Jacques du Haut Pas

Le dimanche 25 novembre 2012

 

1er entretien

«Ce Dieu que j’aime et que je ne connais pas»

 

Lorsque nous échangeons avec des personnes non croyantes, nous entendons parfois cette remarque à propos de notre foi : «Vous croyez parce que cela vous arrange : cela vous permet d’évacuer vos peurs, de trouver une porte de sortie devant ce que vous ne comprenez pas, vous vous réfugiez dans la foi comme l’enfant dans les jupes de sa mère...» Même si parfois il y a du vrai dans ces remarques, l’adhésion de foi a des motivations tout autres, sans rapport avec ces caricatures. Si on veut parler de facilité,  personnellement, je dirais qu’il est bien plus facile de ne pas croire que de croire. En effet, il parait plus simple de s’en tenir à ce que l’existence présente nous offre en acceptant les joies et les épreuves comme inhérentes à toute vie humaine, même si les grandes questions «d’où je viens», «où je vais», «qu’est-ce que je fais là ?», «quel est le sens d’une vie humaine» peuvent créer des angoisses qu’on va chercher à assumer auprès des psychologues ou des psychanalystes. Par contre la foi qui est confiance en Dieu est bien plus difficile dans la mesure où cette confiance et tout ce qu’elle entraîne ne peuvent s’appuyer sur des preuves scientifiques irréfutables. Même si nous avons des raisons de croire, il y a un aspect d’obscurité dans la foi telle qu’il faut franchir un pas décisif, beau mais difficile pour dire à Dieu «Je crois en toi».

 

1- Toute manifestation de Dieu est sous le signe du paradoxe.

Une des difficultés du croire chrétien est que, comme la plupart des choses vivantes d’ailleurs, la démarche chrétienne est sous le signe du paradoxe. Nous trouvons le paradoxe à chaque pas de notre vie de foi. Si nous cherchons dans le dictionnaire, la première définition du paradoxe est la suivante : un paradoxe (du grec paradoxos, « παράδοξος » : « contraire à l'opinion commune », de para : « contre », et doxa : « opinion »), est une idée ou une proposition à première vue surprenante ou choquante, c'est-à-dire allant contre le sens commun. Il est une autre définition plus répandue où le paradoxe est une proposition qui contient ou semble contenir une contradiction logique et qui aboutit à une apparente absurdité. D’où la difficulté de donner sa foi tant ces paradoxes peuvent obscurcir notre façon de voir.

 

L’ensemble de la foi chrétienne est sous le signe du paradoxe. Commençons par regarder ce que nous disons de la Parole de Dieu. Celle-ci est un ensemble de livres que l’Église a reconnu comme ayant été écrits sous l’inspiration de l’Esprit Saint. La notion chrétienne d’inspiration est très particulière. Elle se démarque fondamentalement des autres Écritures religieuses comme le Coran. Ce dernier est considéré comme ayant été entièrement écrit par Dieu. Ceci a pour conséquence que seule la version originale est valable, elle est intouchable et d’autre part rend très difficile une interprétation. Par contre, dans la pensée chrétienne, les Écritures sont à la fois totalement de Dieu et totalement de l’auteur humain. Quel paradoxe : il n’y a pas des mots de Dieu et des mots de l’homme, ou encore l’homme n’a pas écrit sus la dictée de Dieu. L’auteur comme le dit Christoph Théobald est autant auteur que Cicéron, Racine ou Victor Hugo. Mais en même temps la totalité de l’écrit est «Parole de Dieu» et contient dans tout le texte, un message de Dieu. Et nous pouvons continuer les paradoxes de la foi chrétienne. Quel paradoxe que le monothéisme chrétien : un seul Dieu en trois personnes. Ou encore la vérité de l’Incarnation  : Jésus de Nazareth est vrai Dieu et vrai homme «sans séparation et sans confusion» comme le dit le Concile de Chalcédoire (451). Mais le massage de Jésus est tout aussi paradoxal. Pour ne citer que quelques exemples : «Qui veut sauver sa vie la perdra» (Lc 9, 24), «Si quelqu’un veut être le premier parmi vous, qu’il soit votre esclave» (Mt 20, 27), ou encore : «Aimez vos ennemis» (Mt 5, 44)... Il ne faut donc pas s’étonner si notre relation à Dieu est également sous le signe du paradoxe.

 

2- Une relation à Dieu sous le signe du paradoxe.

Si toute manifestation de Dieu est sous le signe du paradoxe, on peut comprendre que notre relation avec Dieu sera aussi sous le signe du paradoxe. Pourquoi ? Bernard Sesboüé écrivait que vouloir une relation évidente avec Dieu supposerait «que l’homme pourrait être capable d’enfermer Dieu dans le réseau de ses connaissances, de le connaitre aussi bien que l’on se connait entre hommes, bref de le maitriser ou même de le domestiquer (comme dans certaines formes de superstition). Or cela n’ est pas possible, tout simplement parce que Dieu est Dieu et que l’homme est l’homme. Comme le disait avec à-propos Augustin : «Si tu le comprends, ce n’est plus Dieu». Ainsi, notre relation avec Dieu est sous le signe du paradoxe, du mystère parce Dieu est Dieu c’est-à-dire le Tout-Autre, l’Invisible, l’Indicible. Le prophète Osée faisait dire à Dieu, déçu dans son amour de père : «Comment te traiterai-je... Mon coeur est bouleversé en moi, en même temps ma pitié s’est émue...car je suis Dieu et non pas homme» Os 11, 8-9. Dieu est Dieu, c’est pourquoi dans notre petite tête humaine, nous n’arrivons pas à le comprendre et ce qui nous en est dit réunit toujours des éléments apparemment contraires. À Pierre qui ne pouvait pas accepter le dessein de Dieu sur Jésus, celui-ci répond avec vivacité et conclut : «Tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes» Mt 16,23. Paradoxe car Dieu est le Tout-Autre et en même temps il est le tout proche. Dieu s’est fait tout proche de nous à travers ces deux réalités étonnantes : d’une part cette réalité majeure qu’est l’Incarnation et d’autre part cette réalité spirituelle fondatrice qu’est la présence en nous de son Esprit Saint. La présence en nous de l’Esprit Saint est signifiée déjà dans l’acte créateur lorsque l’humain est créé à la ressemblance de Dieu. Cette ressemblance, qui n’est autre qu’une capacité à aimer comme Dieu aime, est la présence en nous de l’Esprit de Dieu, elle est le signe caché d’une proximité de Dieu à chacun de nous. Cette proximité est réaffirmée par Jésus lorsqu’il promet la présence de son Esprit filial à tous ses amis. Mais l’Incarnation est le signe le plus éclatant de cette proximité de Dieu à notre humanité. Comment Dieu dont la vie et l’être nous dépasse non pas beaucoup, mais infiniment, comment s’est-il fait proche de nous au point de prendre notre condition humaine dans sa totalité, au point que nous puissions le rejoindre en touchant cet homme Jésus, en écoutant cet homme, en le suivant. Quelle proximité de Dieu que d’avoir, en Jésus, assumé la totalité de notre existence humaine, y compris la rupture de la mort. Et comme si cette proximité de Dieu à l’humanité n’était pas suffisante, il a voulu se «donner» tout entier en nourriture sous le signe du pain et du vin dans l’eucharistie.

 

Dieu est le Tout-Autre, au plus loin et au plus proche de notre humanité, mais il est aussi l’invisible. Saint Jean le dit en tête de son évangile : «Personne n’a jamais vu Dieu,  le Fils unique qui est tourné vers le sein du Père, lui l’a fait connaître» Jn 1, 18. Le monde de Dieu est invisible à nos yeux mais aussi à notre compréhension humaine. C’était le secret que le renard confie au «Petit Prince» de Saint -Exupéry : «L’essentiel est invisible pour les yeux». Mais nous avons beaucoup de mal à accepter ce paradoxe de voir sans voir. C’est une des grandes leçons de Jésus. À la fin du récit de la guérison de l’aveugle né, Jésus  parle avec tristesse de l’attitude de certains pharisiens : «Jésus dit alors : « Je suis venu en ce monde pour une remise en question : pour que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles». Des pharisiens qui se trouvaient avec lui entendirent ces paroles et lui dirent : « Serions-nous des aveugles, nous aussi ? » Jésus leur répondit : « Si vous étiez des aveugles, vous n'auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : 'Nous voyons !' votre péché demeure» Jn 9, 39-41. Ou encore ce que Jésus dit à son ami Thomas après la résurrection: «Parce que tu m’as vu, Thomas, tu as cru ; bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru» Jn 20, 29. Citant plusieurs passages de l’Ancien Testament (Is 64, 3 et Jr 3, 16), l’apôtre Paul parle aux Corinthiens de cette réalité cachée qu’est Dieu : «Ce que l’oeil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, et ce qui n’est pas monté au coeur de l’homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment» 1 Co 2,9. Notre Dieu est un Dieu caché. Ce mot revient sans arrêt en particulier chez les prophètes et dans les psaumes : «Seigneur, tu as caché ta face et je fus épouvanté» Ps 30 (29) 8. Ou chez Isaïe : «Mais pour sûr, tu es un Dieu qui se tient caché» Is 45, 15. Et en terre d’exil, Ézéchiel, à cause de l’infidélité du peuple fait dire à Dieu : «C’est pourquoi  je leur ai caché mon visage» Ez 39, 24. 

 

Il nous faut accepter dans notre foi ce paradoxe : Dieu est un Dieu caché et en même temps il est plus proche à moi que moi-même. C’est cette lumière obscure qui conduit notre vie.

 

Enfin notre relation à Dieu est sous le signe du paradoxe  car Dieu est «indicible». Ce n’est pas sans raison si nous ancêtres dans le foi, les juifs, ne pouvaient pas prononcer le nom de Dieu. Ce n’était pas seulement par respect, mais surtout parce que Dieu ne pouvait pas se réduire à une dénomination humaine. Dieu ne se laisse connaître que dans la mesure où il se dit lui-même. La Révélation de Dieu ne peut être qu’une «auto-révélation» de Dieu. Dieu seul peut dire Dieu. Mais Dieu ne peut se dire qu’à travers des médiations humaines et toute représentation humaine dit et cache. Elle dit quelque chose sur Dieu, mais elle cache la réalité de l’être de Dieu. C’est ainsi qu’il ne convient pas d’identifier nos représentations de Dieu, les mots humains que nous avons à notre disposition pour dire quelque chose de Dieu, il ne convient pas d’identifier nos représentations de Dieu avec son être même. Il y aura toujours une distance immense entre ce que je dis de Dieu et ce qu’il est dans la vérité de son être. Les mots humains pour dire quelque chose de Dieu sont nécessaires à notre relation avec Dieu. Ils nous ont été particulièrement donnés à travers l’Écriture et surtout à travers la vie et la mort de Jésus. Regardons donc ce que Jésus nous dit de Dieu.

 

3- Ce que Jésus nous dit de Dieu.

Lorsque nous parcourons les évangiles, nous pouvons repérer deux types de messages : l’un est la parole de Jésus sur Dieu et l’autre est la vie et les actes de Jésus qui disent Dieu. Mais d’abord que dit Jésus de Dieu. Le mot essentiel que nous livre Jésus sur Dieu est le nom de Père. Dans le seul évangile selon Saint Jean, Jésus désigne Dieu115 fois  du nom de Père. Il s’agit donc d’un aspect essentiel, central pour désigner Dieu. Et les évangiles synoptiques ne sont pas en reste. La paternité de Dieu est donc un élément clé pour désigner toute relation avec Dieu. Par voie de conséquence notre relation à Dieu doit être fondamentalement une relation filiale. Bien sûr, «père», «fils» sont des mots humains et nous ne pouvons les comprendre qu’à travers notre propre expérience humaine. Même si parfois l’expérience d’un père ou d’une mère est douloureuse, comme le laissent voir certains enfants au catéchisme, notre relation filiale à Dieu nous dit des choses importantes sur Dieu. Même si le monde culturel dans lequel Jésus a vécu attribuait à Dieu la dénomination de Père, Nous savons qu’il n’y a pas en Dieu de sexualité qui en ferait un être masculin. Notre référence à Dieu inclut en Dieu cette double parenté, Dieu est à la fois père et mère de notre humanité. Aussi lorsque Jésus parle à Dieu en l’appelant «Père», il entend simplement nous dire que Dieu est au principe de la vie, qu’il a en lui ces sentiments de tendresse et de sécurité que les parents sont censés offrir à leurs enfants.

 

En disant à Dieu «notre Père», comme le désignait Jésus dans sa culture, nous disons quelque chose de profondément vrai de Dieu sans pour autant en mesurer ni la profondeur ni comment cela est vécu en Dieu. Cependant cela nous permet de vivre avec Dieu une belle relation de fils et de filles pour lui.

 

 

Jésus nous parle aussi de la sollicitude de Dieu pour le monde et pour chacun de nous : «C'est pourquoi je vous dis : Ne vous faites pas tant de souci pour votre vie, au sujet de la nourriture, ni pour votre corps, au sujet des vêtements. La vie ne vaut-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que les vêtements ? Regardez les oiseaux du ciel : ils ne font ni semailles ni moisson, ils ne font pas de réserves dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu'eux ?» Mt 6, 25-26. Ou encore :  «Est-ce qu'on ne vend pas deux moineaux pour un sou ? Or, pas un seul ne tombe à terre sans que votre Père le veuille. Quant à vous, même vos cheveux sont tous comptés. Soyez donc sans crainte : vous valez bien plus que tous les moineaux du monde» Mt 10, 29-31. Chez le même Matthieu au chapitre 18, Jésus nous dit la sollicitude de Dieu particulièrement pour les plus petits : «De même on ne veut pas, chez votre Père qui est aux cieux, qu’un seul de ces petits se perde» Mt 18, 14. Là encore nous ne pouvons que transposer en Dieu la sollicitude des hommes pour leurs semblables, sans atteindre le comment de l’action divine qui reste toujours la liberté mystérieuse de Dieu.

 

 

Jésus parle aussi abondamment de la bonté de Dieu. Vous connaissez par coeur les trois paraboles de la miséricorde au chapitre 15 de Luc avec la parabole de la brebis égarée, de la pièce de monnaie perdue et plus encore du retour de l’enfant prodigue. On a dit à juste titre que l’image du père dans cette dernière parabole était sans doute la plus belle représentation de Dieu, nous montrant Dieu comme purement attentif à son enfant et seulement heureux pour l’avoir retrouvé en vie : «Le fils lui dit : 'Père, j'ai péché contre le ciel et contre toi. Je ne mérite plus d'être appelé ton fils...' Mais le père dit à ses domestiques : 'Vite, apportez le plus beau vêtement pour l'habiller. Mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds. Allez chercher le veau gras, tuez-le ; mangeons et festoyons. Car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé.' Et ils commencèrent la fête» Lc 15, 22-24. Cette image du père qui ne pense même pas à la peine que le départ de son enfant lui a infligée, mais seulement à la joie de le retrouver, nous dit quelque chose de vrai sur notre Dieu et dicte notre attitude qui ne peut jamais être de crainte, mais seulement de confiance et d’amour.

 

Non seulement les paroles de Jésus nous disent quelque chose de profond et de vital sur Dieu, mais la vie même de Jésus, dévoile quelque chose de Dieu puisque Dieu assume pleinement tout ce que l’homme Jésus a vécu. En effet, nous croyons dans notre foi que Jésus est vraiment Dieu et vraiment homme «sans séparation et sans confusion» comme le dit le Concile de Chalcédoine (451). Cette divinité de Jésus nous permet d’affirmer que tout ce que vit l’homme Jésus est assumé par Dieu en sorte que nous pouvons dire en vérité que Dieu revendique pour lui-même ce que Jésus a vécu dans sa vie et donc sa pensée, ses actes et même sa mort. Ce que nous savons de Jésus concerne surtout les deux ou trois ans de vie publique. S’il est un trait majeur de toute l’action de Jésus, c’est bien ses gestes de libération. Jésus n’a cessé de chercher à libérer les hommes. Cette libération se situe à tous les niveaux : libération du mensonge et de l’hypocrisie. On connaît ses reproches aux pharisiens : «Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous payez la dîme sur la menthe, le fenouil et le cumin, mais vous avez négligé ce qu'il y a de plus grave dans la Loi : la justice, la miséricorde et la fidélité. Voilà ce qu'il fallait pratiquer sans négliger le reste» Mt 23, 23. Cette libération par la vérité constitue l’essentiel de  la mission de Jésus comme il le dira à Pilate : «Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité» Jn 18, 37. Libération du mal moral et physique comme dans le récit de l’homme paralysé, porté devant Jésus par quatre hommes : «Et voilà qu'on lui apportait un paralysé, couché sur une civière. Voyant leur foi, Jésus dit au paralysé : « Confiance, mon fils, tes péchés sont pardonnés. » Or, quelques scribes se disaient : « Cet homme blasphème. » Mais Jésus, connaissant leurs pensées, leur dit : « Pourquoi avez-vous en vous-mêmes des pensées mauvaises ? Qu'est-ce qui est le plus facile ? de dire : 'Tes péchés sont pardonnés', ou bien de dire : 'Lève-toi et marche' ? Eh bien ! pour que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir, sur la terre, de pardonner les péchés...» alors, il dit au paralysé : « Lève-toi, prends ta civière, et rentre chez toi. » L'homme se leva et rentra chez lui» Mt 9, 2-7. À travers ce récit nous voyons Jésus remettre l’homme debout dans la vérité de sa vie, avec comme signe sa guérisons physique.

 

Ainsi la vie de Jésus dit quelque chose de Dieu en particulier que Dieu désire des hommes et des femmes libres à son image. Cette libération demande de chacun un effort permanent à la fois de discernement et de courage. Créés à l’image de Dieu nous avons en nous cet Esprit de liberté qui nous entraîne et nous soutient dans cette quête. 

 

Jésus est donc celui qui nous permet d’approcher Dieu, mais il s’agit toujours d’une médiation humaine, c’est dire que quelque chose de vrai nous est dit de Dieu, mais sans que, pour autant nous puissions connaître ce qu’est Dieu dans son être profond. Nous ne rejoignons Dieu qu’à travers des représentations humaines qui tout à la fois disent et cachent Dieu. Au plan spirituel cette constatation nous pousse d’une part à une certaine humilité devant Dieu : nous ne serons jamais propriétaires de Dieu ni de ce qu’il est, ni de ce qu’il entend faire dans notre monde. Nous avons à respecter le mystère de Dieu et sa liberté que ce soit par rapport au regard qu’il porte sur chacun de nous, que nous soyons chrétiens ou non, par rapport au salut éternel de chacun des habitants de ce monde, par rapport aux modes d’auto-communication qu’il entend offrir à notre humanité. Nous pouvons toutefois être remplis d’action de grâce pour le don qu’il nous a fait de son Fils Jésus de Nazareth.

 

4- Aimer dans la nuit 

«Dieu que j’aime et que je ne connais pas», c’était le titre de cet entretien. Cette connaissance imparfaite voire obscure de Dieu ne nous empêche pas de l’aimer en vérité. Nous connaissons l’amour de Dieu pour nous en particulier à travers Jésus, à travers ses paroles et sa vie, même si nous sommes obligés de passer par le témoignage de ceux qui l’ont connu. Cet amour dans l’obscurité, Jésus l’a vécu vis à vis de son Père, il l’a vécu pleinement jusque dans l’agonie au jardin des Oliviers et sur la croix. Aimer Dieu et son prochain est en effet le coeur de ce que Dieu attend de nous. Jésus, reprenant deux paroles de l’Ancien Testament (Dt 6, 5 et Lv 19, 18), l’a dit clairement à un scribe en Marc, à un légiste en Matthieu et Luc : «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta pensée. C’est là le grand, le premier commandement. Un autre est aussi important : Tu aimeras ton prochain comme toi-même». Et Jésus conclut en affirmant que toute la Loi et les Prophètes étaient résumés dans le double commandement de l’amour.

 

Saint Paul au chapitre 13 de sa première lettre aux Corinthiens nous explique que les plus hautes activités humaines, la connaissance, la foi, la solidarité ne sont rien si toutes ces activités ne sont habités par l’amour : «Si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien». Et Saint Jean dans sa première lettre le redit avec force : «Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l'amour vient de Dieu.Tous ceux qui aiment sont enfants de Dieu, et ils connaissent Dieu. Celui qui n'aime pas ne connaît pas Dieu, car Dieu est amour». 1 Jn 4, 7-8. Et un peu plus loin, Jean nous demande d’aimer dans l’obscurité de la foi :  «Dieu, personne ne l'a jamais vu. Mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour atteint en nous sa perfection» v. 12.

 

La vérité de notre existence que ce soit dans la relation aux autres ou dans notre relation à Dieu prend son sens dans la qualité d’amour qui nous habite. Il s’agit donc de tenter d’aimer en vérité. Mais pour cela deux conditions sont nécessaires : accepter d’aimer dans la nuit et faire confiance au Dieu que Jésus nous a appris à aimer. C’est le saut de la foi.

 

Aimer dans la nuit. Tout amour vrai se vit dans la gratuité ou encore il nous est demandé d’aimer «sans garanties». C’est d’ailleurs comme cela que Dieu nous aime. Toute l’histoire de l’Alliance dans l’Ancien Testament et toute la vie de Jésus nous montrent que Dieu aime sans garanties. Déjà l’infidélité du peuple de l’Alliance contraste avec le tenace fidélité de Dieu. Mais c’est surtout l’incroyable volonté de Dieu de nous aimer jusqu’à donner son propre fils qui nous dit cet amour inconditionnel de notre Dieu. Le début de l’évangile selon Saint Jean l’affirme clairement : « La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas comprise... Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas accueilli». Et le prologue se conclut par cette espérance : «Personne n’a jamais vu Dieu ; Dieu Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l’a dévoilé» Jn 1,5.11.18.

 

Nous réfléchirons plus longuement cet après midi sur l’obscurité de notre foi. Retenons simplement ce matin qu’aimer est l’essentiel de notre vie. C’est cet amour authentique qui donne du sens à toute existence humaine et pour reprendre les mots de Saint Paul si je n’aime pas, je ne suis rien. 

 

Pour revenir à notre relation avec Dieu, l’essentiel est de pouvoir dire en vérité : Je suis sûr que Dieu m’aime et cela me suffit, même si je ne puis comprendre qui il est. Certes, il convient d’une part de tenter de vivre dans la logique de cet amour en reprenant les paroles de Saint Jean toujours dans sa première lettre : «Mes enfants, nous devons aimer : non pas avec des paroles et des discours, mais par des actes et en vérité. En agissant ainsi, nous reconnaîtrons que nous appartenons à la vérité, et devant Dieu nous aurons le coeur en paix» 1 Jn 3, 16. Et d’autre part il convient de continuer à chercher Dieu c’est-à-dire à chercher sans cesse pour accueillir son mystère. Mais il nous faut accepter de l’aimer dans la nuit en faisant seulement confiance à cet amour infini qu’il porte à chacun de nous. C’est le saut de la foi qui n’est nullement un acte de faiblesse mais l’accueil d’une présence qui me fait vivre et me rend heureux.

 

La conclusion de ce premier entretien est qu’être aimé de Dieu et, à notre tour, l’aimer de tout notre coeur constitue l’essentiel de la foi et cela malgré ou plus exactement avec l’obscurité de toute approche pour comprendre ce Dieu qui est tellement au-delà de toute représentation humaine.

 

 

 

 

Publié dans Conférences

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